Eglises d'Asie

Rodrigo Duterte annonce le retour de la peine de mort, les évêques réagissent

Publié le 19/05/2016




Les hostilités auraient-elles commencé ? Le 15 mai dernier, six jours après avoir été élu président des Philippines et avant même sa prise de fonction, le 30 juin prochain, Rodrigo Duterte a déclaré, en conférence de presse, que sitôt aux affaires, il demandera au Congrès de remettre en œuvre la peine de mort. L’épiscopat philippin, qui avait promis …

sa « collaboration vigilante » au nouvel élu, a immédiatement réagi, Mgr Ruperto Santos déclarant que « seul Dieu avait le pouvoir de prendre une vie ». « Dieu donne la vie et Dieu prend la vie. Personne ne peut se prendre pour Dieu », a affirmé le prélat, qui préside la Commission épiscopale pour la pastorale des migrants et des gens du voyage.

Rodrigo Duterte, qui a fait campagne notamment sur sa détermination sans faille à lutter contre la criminalité, y compris en recourant à des méthodes expéditives et extrajudiciaires, a précisé qu’il demanderait au Parlement de mettre en vigueur la peine de mort par pendaison. « Une mise à mort qui fait peur aux criminels », a-t-il affirmé, ajoutant qu’il visait les trafiquants de drogue, les tueurs à gage, le crime organisé ou bien encore les auteurs de « crimes haineux ».

Les Philippines ont aboli la peine de mort en juin 2006, sous la présidence de Gloria Macapagal-Arroyo, après avoir prononcé en 2001 un moratoire sur les exécutions capitales. A cette date, 1 230 condamnés à mort avaient vu leur sentence commuée en peine de prison à vie. Depuis cette date, les évêques philippins se sont vivement opposés à toute remise en œuvre de la peine capitale.

Selon Mgr Santos, plutôt que de réintroduire la peine de mort, Rodrigo Duterte serait bien inspiré de réformer le système pénitentiaire ainsi que le fonctionnement de la justice. Pour sa part, Mgr Ramon Arguelles, archevêque de Lipa, a déclaré qu’il se porterait volontaire pour prendre la place d’un éventuel premier condamné à mort. « N’est-ce pas ce que le Christ a fait ? », a-t-il lancé, mettant en garde la future Administration Duterte en ces termes : « Les Philippines catholiques seront sans merci [sur le sujet] en cette Année de la miséricorde. »

Faut-il pour autant s’attendre à ce que le nouveau président se montre aussi impitoyable qu’il l’a annoncé lors de la campagne électorale ? Vis-à-vis du pape qu’il avait copieusement insulté, lui reprochant d’avoir causé de gigantesques embouteillages dans les rues de Manille lors de sa visite dans le pays en janvier 2016, Rodrigo Duterte a déjà annoncé qu’il souhaitait se rendre en visite au Vatican « pour présenter ses excuses en personne au pape et demander son pardon », a expliqué son porte-parole. Vis-à-vis des pouvoirs institués à Manille, que Rodrigo Duterte, maire de Davao, dans le Sud philippin, durant vingt-deux ans, avait promis de bousculer, le ton semble, là aussi, avoir quelque peu changé. A l’heure où le décompte électoral n’a pas encore permis de déterminer avec certitude le nom de celui – ou celle – qui sera le vice-président, les Philippins attendent de voir quelle va être la politique réellement menée par leur président.

On lira ci-dessous une analyse parue le 16 mai 2016 sur le site d’Asia Sentinel. Elle est signée de Criselda Yabes, journaliste basée à Manille. La traduction en français est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.

 

Dans l’attente du vice-président

Une semaine après la victoire de Rodrigo Duterte à l’élection présidentielle, son équipe de campagne a commencé à établir une liste des futurs membres du gouvernement. Ce qui est crucial cependant est de savoir qui sera le vice-président, un poste d’une grande importance dans un pays où, à plusieurs reprises, le président a dû céder le pouvoir ou en a été chassé, comme cela a été le cas avec, par exemple, Joseph Estrada, remplacé par en 2001 par sa vice-présidente d’alors, Gloria Macapagal-Arroyo. (…)

C’est Leni Robredo, la candidate du parti de l’administration sortante, qui devrait être la future vice-présidente. Après le décompte de 96 pour cent des bulletins de vote, elle détient une mince avance d’environ 200 000 voix sur Ferdinand Marcos Jr., le fils unique du défunt dictateur qui cherchait à ressusciter politiquement le nom de son père en briguant la vice-présidence.

Dans le système électoral philippin, un système unique et que d’aucuns qualifient de dysfonctionnel, le président et le vice-président ne sont pas élus sur un même « ticket », comme c’est le cas aux Etats-Unis. Une situation qui aboutit régulièrement à des situations délicates, comme cela a été le cas avec le vice-président sortant, Jejomar Binay, qui a été un adversaire résolu pendant des années du président Benigno Aquino.

Rodrigo Duterte a toutefois déjà déclaré qu’il serait heureux que Leni Robredo devienne une « présidente adjointe ».

Une vice-présidente pondérée et respectée

Personnalité pondérée, militante de la cause sociale, Leni Robredo est l’antithèse de l’image donnée par Rodrigo Duterte. Certains suggèrent qu’elle deviendra présidente en temps opportun si Rodrigo Duterte venait à quitter le pouvoir. Ce dernier a affirmé qu’il démissionnerait s’il était incapable de tenir sa promesse de réduire la criminalité en l’espace de six mois ; de plus, âgé de 71 ans, il a aussi dit qu’il pourrait ne pas être en mesure de terminer son mandat [de six ans]. Son état de santé réel est inconnu. Longtemps gros fumeur, il a, en tant que maire de Davao, interdit de fumer dans sa ville.

Mais rien aux Philippines n’est jamais simple. Des scénarios sont échafaudés, les rumeurs vont bon train et toute pensée rationnelle cède la place à l’émotion. Si les Philippins ont sauté dans l’inconnu en élisant un populiste, un président qui se dit socialiste, il doit bien y avoir quelque part une assurance contre l’inconnu.

Pour commencer un tandem Duterte-Robredo, si tel est ce qu’il se révèle être, serait avant tout une nouveauté par rapport au règne sans partage de « Manille l’Impériale », des élites de l’île de Luzon et des dynasties familiales qui contrôlent le Congrès depuis des lutres. Rodrigo Duterte comme Leni Robredo sont tous deux issus de la politique locale, lui à Mindanao et elle à Bicol, dans le sud de Luzon, où son mari était maire de la ville de Naga et plus tard un membre du cabinet du président Benigno Aquino, avant de trouver la mort dans un accident d’avion en 2012. Ils ont tous deux très rapidement pris de l’importance au plan national, Rodrigo Duterte en parlant haut et fort et Leni Robredo par l’émotion suscitée par son veuvage dramatique.

Ceux qui ont voté pour eux pourraient bien être les voix venues de la base. En tant que maire de Davao pendant deux décennies, Rodrigo Duterte a transformé une ville qui avait la réputation d’être livrée à des insurgés et des escrocs en tout genre pour en faire une cité prospère économiquement. Ses instructions étaient simples : ordre et discipline avant tout et à tout prix.

« Je suis vraiment un dictateur quand il s’agit de criminalité, vous pouvez parier votre vie sur ce point », a-t-il déclaré peu de temps après que les résultats du dépouillement le plaçaient très en avance sur les autres candidats aux élections du 9 mai. « Mais sur les autres sujets, vous pouvez vous détendre », a-t-il aussi affirmé, cherchant ainsi à apaiser les craintes suscitées par certaines de ses déclarations à propos des mesures extrajudiciaires qu’il souhaitait prendre, à propos de la fermeture du Congrès ou bien encore à propos de la mise en place d’un gouvernement révolutionnaire – des mesures qu’il a dit qu’il prendrait une fois au pouvoir.

Ceux qui « peuvent faire bouger les choses »

Rodrigo Duterte a dit tant de choses qu’il est difficile de détecter ce qui pourrait passer pour des déclarations officielles. Son programme mentionne une mise en place du fédéralisme, mais on ne sait pas comment cela pourrait être mis en œuvre ou si la Constitution devrait pour cela être révisée. Un pas dans cette direction serait certainement de donner plus de pouvoir aux régions, en rupture par rapport au rôle central joué par Manille depuis l’indépendance acquise des Etats-Unis en 1946. Une certaine dose de fédéralisme est sans doute ce qui est le plus attendu par les marges du pays.

Une certitude : peu importe ce qu’il a dit et prononcé comme insanité ou vulgarité, l’opinion publique a prêté l’oreille à ce candidat inattendu. Rodrigo Duterte exprime ce que les autres ne peuvent pas ou ne veulent pas dire. Il est l’homme fruste venu de la province, éructant en visayan, la langue prédominante à Davao venue de la partie centrale de l’archipel philippin. Les Philippins, déçus et furieux des promesses non tenues par les hommes et les femmes politiques du pays, l’ont choisi en le prenant au mot, c’est-à-dire de faire à l’échelon de la nation ce qu’il prétend avoir fait pour Davao, une ville, mi-urbaine, mi-rurale, de deux millions d’habitants.

Ils l’ont perçu comme le candidat « qui peut faire bouger les choses », explique Vivian Tin, chercheur pour le réseau de télévision ABS-CBN. « Même s’il ne fait qu’une seule chose, ce sera toujours ça de pris. » Sa campagne, dirigée par des amis proches qui étaient autrefois dans le mouvement clandestin communiste, a su créer un élan spontané par le biais des réseaux sociaux.

Leni Robredo, elle aussi, est perçue comme authentique et comme ayant une personnalité suffisamment forte « pour contrebalancer celle de Duterte », analyse encore Vivian Tin. Mère de trois filles, Leni Robredo était pratiquement inconnue au plan national jusqu’à la mort de son mari, Jesse, un homme politique populaire, maire de Naga et connu pour son style « tsinelas », les tongs que portent aux pieds l’homme de la rue. Il faisait également partie de cette tendance à l’œuvre dans le pays qui consiste à faire émerger des talents nouveaux à partir du vivier des élus locaux.

Dans une nation minée par la corruption et le favoritisme, Davao et Naga font figure de villes dotées d’une relativement bonne gouvernance. Rodrigo Duterte vient de déclarer qu’il serait heureux que Leni Robredo fasse partie de son cabinet si elle est proclamée vainqueur ; là, elle gouvernera au sein d’un ensemble passablement hétéroclite, celui que Rodrigo Duterte a dévoilé cette semaine, où se côtoient des personnes venues de la droite, de la gauche, des vétérans des administrations précédentes, et même des membres du mouvement communiste rebelle qui est en guerre avec le gouvernement depuis 1969.

De ce qu’il ressort des nouvelles, il semble que Leni Robredo hériterait du portefeuille du développement et des services sociaux – ce qui correspond à son passé d’avocat engagé auprès des paysans et des ouvriers. Son défunt mari avait été ministre de l’Intérieur et des Affaires locales sous Benigno Aquino. Après sa mort, elle s’est présentée pour être députée de la circonscription de son mari et elle a été élue.

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Leni Gerona Robredo

Selon les études d’opinion et les sondages électoraux, Leni Robredo est perçue comme la mère philippine type que les Philippins révèrent, une femme semblable à Corazon Aquino quand cette dernière menait campagne contre la dictature Marcos. Beaucoup ont d’ailleurs fait un parallèle entre la lutte de Cory Aquino, veuve de Benigno Aquino, contre Marcos père, et le fait que Leni Robredo s’est présentée à la vice-présidence contre un autre Marcos, Marcos Junior cette fois-ci, et qu’elle est en passe de gagner ce combat alors qu’elle aussi est veuve.

Bongbong Marcos, comme il est connu, est sorti en tête du dépouillement des urnes dans la région du grand Manille ainsi que dans la partie nord de Luzon. Pour les personnes qui craignent de perdre les acquis de trente années de démocratie, il a alors paru effrayant de penser qu’un Marcos pouvait à nouveau s’approcher si près du pouvoir. Les partisans de Leni Robredo sont toutefois restés en alerte, priant, implorant et attendant la fin du dépouillement avant de voir, à leur grand soulagement, le décompte basculer en faveur de leur candidate aux petites heures du matin du 10 mai. Leni Robredo a fait ses meilleurs scores dans les Visayas et à Mindanao, des régions où le nom de Marcos n’a jamais été apprécié. Les gens à Mindanao en particulier n’ont pas oublié les guerres civiles qui ont eu cours sous la loi martiale, des guerres attisées par un président Marcos adepte du « diviser pour régner ».

Le jeune Marcos lui-même a fortement contribué à ce que la loi pour l’autonomie de la région musulmane à Mindanao échoue, tandis que Rodrigo en a surpris plus d’un avec ses idées populistes.

Le décompte final n’a pas encore été annoncé, les bulletins de vote des Philippins travaillant à l’étranger devant être comptabilisés. Cependant, les allégations de tricherie proférées par Marcos Junior sont tombées à plat. Malgré une campagne haute en couleurs, où les mots ont été parfois violents, les Philippins sont parvenus à organiser des élections qui s’avèrent être les moins meurtrières de leur histoire récente. Preuve supplémentaire de cette maturité électorale, sinon démocratique, les candidats à la présidence qui ont été battus ont rapidement reconnu leur défaite, là où, lors des scrutins précédents, ils faisaient durer le suspens en organisant des manifestations violentes.

Le résultat du duel Marcos – Robredo reste à écrire, mais le candidat de Rodrigo Duterte pour la vice-présidence, Alan Cayetano, qui a terminé troisième dans la course, a concédé sa défaite. Un signe certain que Rodrigo Duterte se prépare à compter Leni Robredo au sein de son équipe de gouvernement.

(eda/ra)