Eglises d'Asie – Inde
Frère Roger (de Taizé) et la spiritualité asiatique : la quête d’un sens existentiel plus profond
Publié le 08/09/2016
… du colloque organisé du 31 août au 5 septembre 2015, à Taizé. Ces actes du colloque sont parus aux Presses de Taizé, en 2016.
Né le 22 octobre 1936, à Pala, en Inde, de spiritualité salésienne (SDB), Mgr Menamparampil a été, en Assam, évêque de Dibrugarh pendant onze ans, puis archevêque de Guwahati pendant vingt ans. En janvier 2012, il a pris sa retraite, puis, en février 2014, le pape François l’a rappelé pour le nommer administrateur apostolique du diocèse de Jowai, dans l’Etat du Meghalaya.
Frère Roger s’est rendu plusieurs fois en Asie. Il est allé en Inde, au Bangladesh, en Thaïlande, à Hongkong et aux Philippines. Bien que ces séjours aient été courts, il semble avoir perçu la profondeur des peuples asiatiques d’un point de vue religieux. C’est en effet ce continent oriental qui a donné naissance à la plupart des religions du monde : non seulement le christianisme, le judaïsme et l’islam, mais également l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme, la religion parsi, le confucianisme, le taoïsme et le shinto, auxquelles sont encore fidèles des milliards de gens. Qu’il en ait eu conscience ou qu’il ait été sensible aux vibrations religieuses de l’Asie, frère Roger semblait désireux de construire un lien particulier avec ce continent, en envoyant des frères de la communauté, vivre en petites fraternités au Bangladesh et en Corée, en participant à des rencontres de jeunes et à des célébrations à Chennai (Madras) et à Manille, en confiant à des frères un ministère itinérant dans beaucoup de pays d’Asie, y compris la Chine.
Recherche de profondeurs
Alors qu’à l’époque actuelle, il est extrêmement difficile de créer un sens du sacré au cours de rassemblements religieux, d’aider les gens à entrer dans la perception du Mystère, frère Roger y est parvenu avec un succès surprenant. Je ne prétendrai pas qu’il a développé le style de prière de Taizé et la capacité de créer une telle atmosphère, en observant simplement les religions asiatiques. Mais il me semble que tous ceux qui cherchent à entraîner les personnes vers une réflexion au plus profond d’eux-mêmes, arrivent à trouver des points de rencontre. Beaucoup de croyants des religions orientales seraient à l’aise dans une célébration sans voix ni personnalités dominantes, où la concentration sur l’invisible et l’exploration des profondeurs seraient accentuées.
Le sens du sacré
Le sens du sacré apparaît comme un don d’en-haut, mais il est aussi invoqué, communiqué et partagé. Le non-dit joue un grand rôle dans l’accès à cette ressource spirituelle. Les chants sacrés y contribuent aussi. L’usage d’un symbolisme puissant, des lumières, des lampes, des gestes et des mouvements (inclinaisons et prostrations), le fait même de s’asseoir par terre pour s’adresser au Divin (que l’on soit d’un milieu aisé ou non), nous invite à chercher au-delà du visible.
Comme les religions orientales, les Eglises orientales ne sont pas très enclines à s’interroger sur des vérités informulables, mais préfèrent reconnaître leur profondeur et se tenir devant elles avec une admiration craintive et une fervente adoration. Frère Roger semble avoir compris ces dimensions cachées des traditions orientales de manière assez intuitive, y compris à travers l’usage des icônes.
La puissance du silence
Ce n’est pas à la portée de tous de reconnaître que le silence peut être éloquent. Frère Roger fait parti de ceux qui ont senti les forces qui s’y cachent. Le silence n’est pas seulement absence de communication. Au contraire, il est communication intense. Il peut atteindre et transformer le monde intérieur des personnes, l’inconscient collectif des communautés.
Frère Roger entraînait les gens dans le silence, afin qu’ils puissent se découvrir eux-mêmes, en prenant conscience à la fois de leurs fragilités et de leurs atouts. Il est bien possible qu’il se soit référé à d’anciennes traditions chrétiennes. « Demeurez en silence, et reconnaissez que moi je suis Dieu. » Il savait apprécier les temps de silence, quelle que soit leur durée.
Des chants répétitifs (Bhajans)
Certaines sphères de notre être intérieur ne sont pas touchées dans le quotidien de notre vie, même durant la prière. Des affirmations clairement énoncées vous éblouissent par leur clarté, mais elles vous enferment par leur réalisme, leur précision et leur sens évident. Parfois vous ne parvenez pas à en saisir la signification profonde, à en toucher les différents degrés de signification ou leurs connotations subtiles. Le sens évident peut parfois empêcher une sensibilité qui vibrerait à ce qui n’est pas si évident.
Chaque fois que vous répétez certaines paroles avec attention, une nouvelle dimension de leur sens pénètre un autre niveau de votre être intérieur et suscite une réponse. Cela arrive quand vous chantez en chœur, répétez une prière, récitez une litanie, répondez à une salutation, réaffirmez un enseignement chrétien ou répétez un verset de la parole de Dieu. « Vivante en effet est la Parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur » (He 4,12). C’est là le niveau d’une rencontre spirituelle.
Quand les mots sont accompagnés par une musique puissante, ils acquièrent une puissance irrésistible. C’est pourquoi les peuples asiatiques ont toujours aimé réciter des versets sacrés et chanter des chants répétitifs, depuis des temps immémoriaux. Alors que le monde occidental semble fatigué de la prière répétitive, frère Roger a réinterprété cette attitude de manière créative et l’a rendue communicative. Les chants de Taizé rejoignent la psyché collective d’une communauté. Les messages arrivent à leur destination, les émotions sont éveillées et les attitudes reconstruites. Ils purifient et guérissent, ils stimulent et transforment.
Soigner les blessures et les mémoires collectives
Les gens redoutent de descendre au plus profond d’eux-mêmes. Ils ont peur d’être confrontés à des blessures invisibles en surface. Mais celles-ci sont des réalités et elles ont besoin d’être abordées. Certaines d’entre elles sont des blessures récentes, d’autres sont plus anciennes. Certaines sont de nature personnelle et peuvent être guéries par un effort personnel, par un accompagnement et une assistance spirituelle. D’autres dépendent d’autres personnes et sont beaucoup plus difficiles à soigner. J’ai moi-même été témoin de la colère des membres d’une communauté par rapport à des blessures relatives à un conflit ethnique. C’était terrible.
La blessure qui demeure dans la mémoire d’une communauté (société, nation) après des décennies, voir des siècles, est plus terrible encore. Très peu arrivent à percevoir en profondeur ce type de blessure, moins nombreux encore sont ceux qui savent comment y réagir. Frère Roger est toujours resté profondément malheureux de l’état de division de la communauté chrétienne et a toujours désiré apporter une guérison aux relations entre les Eglises. Ses initiatives ont été bien accueillies par les Eglises occidentales et, peu à peu, aussi par celles d’Orient.
On se souvient comment le Mahatma Gandhi a travaillé toute sa vie pour améliorer les relations entre les hindous et les musulmans, en les aidant à dépasser les souvenirs négatifs de leur passé. Il a fait quelque chose de semblable pour les dalits (ceux qu’on appelait autrefois les intouchables, les hors-castes) et les peuples indigènes assujettis et dominés par les plus hautes castes pendant des millénaires. Les profondes blessures qui demeurent à ce jour réclament le traitement le plus délicat. C’est vrai des relations entre les Eglises, mais également entre religions différentes, comme par exemple entre l’islam et le christianisme où les blessures n’ont peut-être pas touché qu’une seule partie, ou encore entre les hindous et les musulmans.
Réduire la colère
Nous sommes loin d’avoir découvert la bonne manière de se comporter avec les souvenirs des blessures historiques. Elles demeurent enfouies dans notre inconscient. Si on nous demande si nous sommes en colère à propos d’un évènement, notre réponse sera certainement négative. Mais si on mentionne le nom d’une autre communauté, d’un autre pays, d’un certain groupe religieux ou d’une Eglise à l’égard de laquelle nous avons une certaine réserve, des pensées négatives pourraient rapidement nous venir à l’esprit. On appelle cela des préjugés. Je voudrais en parler comme d’une colère enterrée dans le subconscient. Elle peut exploser n’importe quand. Les distances géographiques et chronologiques sont rapidement franchies lorsque nous entendons parler d’un incident malheureux provoqué par l’autre camp. J’ai déjà parlé des conflits interreligieux, interethniques et internationaux. Nous entendons souvent parler d’islamophobie ou de christianophobie, ou de phobie d’un quelconque groupe controversé.
Les efforts de frère Roger ont surtout porté sur la construction de passerelles entre les Eglises en froid. Il était particulièrement attentif à ne pas rouvrir des blessures par des commentaires rapides sur des traditions, des pratiques ou des symboles d’une autre Eglise, ou sur des événements historiques les concernant. L’effort œcuménique de frère Roger était conduit par son engagement pour la paix dans le monde. Guérir des blessures historiques n’est pas facile. Le Mahatma Gandhi a reconnu qu’il y avait échoué. Des leaders de la stature de Jean-Paul II ou de Mère Teresa ont essayé d’apporter leur contribution à cette mission. Aujourd’hui, cela doit devenir un objectif central dans notre mission évangélisatrice.
J’ai souvent affirmé que beaucoup de gens du Tiers-Monde, même des personnalités religieuses, souffraient de ce que j’ai appelé des « complexes post-coloniaux ». Des personnes douées d’une vraie maturité et d’un sens de la responsabilité doivent apprendre à les dépasser et cela doit comporter un pardon prompt et conscient. Ces personnes rendent un grand service en remplissant cette mission de guérison des sentiments blessés. Ce qu’on appelle les atrocités commises contre les chrétiens ces dernières années, y compris celles en Asie Occidentale, ne trouveront pas de solution tant que nous ne travaillerons pas à « réduire la colère » et à « guérir les blessures historiques » que frère Roger pointait du doigt.
Un autre style de prophétisme
La plupart des gens aimeraient jouer au prophète, en démasquant le méchant et en le dénonçant pour le mal qu’il a commis. Ils oublient que cette façon de faire a une tonalité d’autojustification et qu’humilier l’opposant peut être contre-productif. Au niveau mondial, nous récoltons les fruits de ce genre de leadership.
Il existe une autre manière d’être leader et de jouer au prophète. Respectez l’adversaire. Faites-lui savoir d’emblée que vous le respectez comme personne, que vous appréciez tout ce qu’il y a de bon en lui: les bonnes choses qu’il a faites, qu’il a dites. Que ce soit clair pour lui que vous voyez les contraintes qui l’ont obligé à prendre des décisions difficiles, et les efforts qu’il fait pour agir d’une façon plus acceptable. C’est seulement après avoir fait cela que vous pourrez montrer que vous êtes conduits à être en désaccord avec lui sur certains points. Plus vous lui aurez montré de la sympathie, et plus il est vraisemblable qu’il va être attentif à vous avec respect, même s’il n’accepte pas vos propositions.
Lorsque vous semblez comprendre la raison pour laquelle une personne est fâchée ou a agi de façon erronée et que vous reconnaissez une légitimité (même toute petite) de certains aspects de son action, sa colère baisse un peu. Et lorsque vous commencez à chercher ensemble une solution durable pour l’avenir, et son futur propre à lui aussi, sa colère baisse encore un peu plus. Le dialogue ne peut devenir productif que si la colère est calmée. Toutes les interactions initiales ont pour but d’apaiser les émotions, de calmer les peurs, d’écarter les préjugés. Le cœur d’une mission prophétique est de faire passer le message, d’inviter à la réflexion, de provoquer l’autocorrection et d’invoquer l’intervention de Dieu qui transforme, il n’est jamais d’humilier ou de condamner. C’est une approche sereine et pleine de foi. Il ne s’agit pas de fermer les yeux face au mal qui est fait, mais d’amener le coupable vers une autocorrection. Ce style prophétique s’exprime dans le respect, le souci intense pour le destinataire du message, ce qui crée un sens d’appartenance réciproque.
C’était là le style prophétique de frère Roger. Il semblait s’occuper surtout du côté émotionnel du travail de réconciliation, en laissant aux chrétiens individuels et aux Eglises, le soin de chercher comment avancer, de chercher à être guidés par Dieu. Il avait le don rare d’être ami avec des gens très différents dans l’Eglise, aussi bien ceux qu’on appelait conservateurs que les progressistes.
Leadership kénotique : devenir un leader serviteur
Quand je parle d’un nouveau rôle prophétique, frère Roger représente pour moi une nouvelle sorte de leader, le « leader serviteur ». Le leadership évangélique c’est exactement cela. Les exemples abondent dans l’Evangile. Et pourtant la tentation de « dominer » (Mt 20, 25) est si grande dans la société humaine. Toute l’histoire de l’humanité raconte le récit de ceux qui sont entrés dans cette tentation et de ceux qui se sont opposés férocement à ce genre de leaders, soit qu’ils aient été leurs concurrents pour obtenir le même pouvoir, soit qu’ils aient été leurs subordonnés.
Une telle sorte de leadership n’a aucun avenir dans le monde post-moderne. Dans la nouvelle société qui émerge – une société « nivelée » par la généralisation de l’éducation et par l’égalité des chances – la règle qui prévaut est celle où le leader serviteur joue le rôle le plus décisif dans le futur. C’est là que le pape François semble exceller. Il nous met en garde contre la mondanité spirituelle, contre les dangers de chercher la prééminence, dans le but également d’un résultat spirituel.
La communauté chrétienne va découvrir en elle-même une nouvelle énergie, grâce à l’émergence à différents niveaux, d’un leadership kénotique (un leadership qui se dépouille lui-même). Le prophétisme et le leadership selon l’ancien modèle ont épuisé leurs possibilités. C’est un nouveau modèle qui va donner un élan de fraîcheur à l’humanité.
Renoncement
Si une valeur est très estimée en Asie, c’est celle précisément du renoncement. Les Asiatiques sont conscients du danger d’être trompés par un étalage de renoncements. Toutefois, en tant que qualité spirituelle, il n’y a rien qui éveille plus de respect en Asie, qu’un renoncement authentique. C’est ce qui a fait de personnalités comme le Mahatma Gandhi ou Mère Teresa, une force morale si étonnante dans la société, tout comme frère Roger.
Cette forme de renoncement n’est pas limitée à un détachement pour arriver à une perfection personnelle. Elle implique une générosité radicale, un altruisme, un oubli de soi en faveur d’une communauté, un engagement radical pour une cause.
Le renoncement n’est pas limité au domaine des biens matériels. C’est une énergie qui apporte un équilibre spirituel, une modération intelligente et responsable par rapport à tous les éléments de la vie : la possession des choses, l’affirmation des opinions, la qualité des relations, et même l’aspiration à l’autonomie, l’exercice de l’autorité, les expressions de zèle pastoral, l’intensité de la ferveur évangélique. Les Asiatiques reconnaissent la valeur d’un renoncement qui a un but, ce que les chrétiens décriraient comme un renoncement pour le Royaume de Dieu.
Perspective holistique, souci de l’universel
Généralement, les Asiatiques aiment l’approche holistique. Ils ne sont pas pressés de définir les personnes, les événements, les perspectives, les attitudes et les théories catégoriques. Ils préfèrent regarder les questions sous différents angles, perspectives, intérêts, disciplines et expériences, avant de prononcer un jugement.
Ils n’aiment pas expliquer les développements humains à travers les catégories « thèse – antithèse – synthèse », mais plutôt avec celles de « thèse – conthèse – synthèse », chacun essayant de compléter l’autre vision, l’autre position, plutôt que de la contredire ou de s’y opposer. Dès le départ, ils souhaitent admettre que tout est juste jusqu’à un certain point. Cette sorte d’ouverture a permis à beaucoup de religions et d’écoles de pensées, de coexister. C’est peut-être plus vrai de l’Asie du Sud, où beaucoup de religions prospèrent et où, ni le communisme, ni le nationalisme n’ont été poussés aux extrêmes. Encore que les tentations subsistent.
L’attitude mentionnée ci-dessus révèle un grand souci et un respect pour l’autre et pour le reste de l’humanité, évidents aux yeux du frère Roger. Ce sens d’appartenance universelle est devenu de plus en plus évident quand Taizé est allé jusqu’aux extrémités de la terre avec des rencontres de prière, et que des jeunes du monde entier ont rempli l’Eglise de la Réconciliation.
« Murmurer l’Evangile à l’âme de l’Asie »
Une phrase que j’ai dite au cours d’une intervention au Synode asiatique, « murmurer l’Evangile à l’âme de l’Asie », a frappé l’imagination de beaucoup. Le mot « murmurer » n’était pas utilisé pour indiquer la peur, l’indifférence ou une absence d’engagement. Cela signifiait un profond respect, une confiance, une proximité, une intimité, une réciprocité et une profondeur. En Asie, les mystères sacrés sont enseignés en privé, avec des mots sacrés. Ils sont évoqués dans une atmosphère de respect et de sérieux.
Dans le contexte où j’ai utilisé ce mot, « murmurer » allait être le sommet d’un long et douloureux processus de préparation personnelle et d’inculturation par rapport au travail d’évangélisation. Aujourd’hui, il est reconnu de façon unanime que l’évangélisateur doit apprendre la langue de la communauté, comprendre sa culture, commencer à penser selon ses catégories, interpréter son esprit à une époque donnée, s’identifier à sa mentalité, chercher à répondre à son attente à un moment donné, s’il veut vraiment chercher à faire passer le Message.
Ce voyage qu’il fait avec un intense amour le conduit près de l’âme de la communauté.
A ce stade, rien n’aura de sens sinon ce paisible « murmure ». Cette manière de murmurer témoigne de l’amour, de l’intimité et de la profondeur. Et c’est dans un tel contexte que le Message est pris au sérieux et compris dans toute sa valeur. L’invitation à prendre une décision est chargée d’une tonalité intérieure intense tout en laissant la personne invitée, libre de prendre une telle décision.
Ici, je ne me réfère pas simplement à un évangélisateur individuel mais à une équipe d’évangélisation. Très peu d’équipes parviennent à vibrer avec une communauté en comprenant sa culture, ses valeurs, ses pensées, son état d’esprit, ses espérances. Les évangélisateurs ne sont jamais assez près de l’âme de la communauté, si bien que leur murmure se perd et que leur proclamation sur les toits paraît déplacée et provocante.
Aujourd’hui, cette approche sensible est devenue importante non seulement pour l‘Asie mais pour le monde entier. Elle complète et approfondit les autres approches, telles que le partage de l’Evangile en public, ou l’usage des médias. S’il y a eu un homme du murmure, c’était bien frère Roger. Il a toujours gardé un profil bas; il parlait d’une voix douce, il permettait à quiconque d’être d’un avis différent, il transmettait un message à travers des paroles non dites. Parce que les mystères les plus profonds ne peuvent pas être enfermés dans des paroles. C’est une perception très asiatique.
Si l’inconscient collectif du monde doit être réveillé aujourd’hui, ce sera par le murmure de l’Evangile, dans le bon contexte et la bonne manière.
Frère Roger n’a peut-être pas développé une théologie de concepts, de définitions et d’argumentations à l’adresse de la famille des intellectuels, mais il a développé une pédagogie de la communication du message évangélique par des images, des symboles, des chants, des silences, des expériences spirituelles, le choix de textes bibliques et des styles de relation qui touchent l’inconscient collectif de la communauté chrétienne et, j’ose le dire, de l’humanité. Une telle pédagogie invite les gens à entrer dans leurs profondeurs. Elle communique, guérit, partage, célèbre, révèle, et elle les introduit dans les mystères indicibles et insondables du Christ. La communication théologique de l’avenir aura peut-être à emprunter massivement à cette pédagogie, si elle veut construire des ponts vers un monde qui se cherche et hésite.
(Traduit de l’anglais)
© Ateliers et Presses de Taizé, 71250 Taizé, France
(eda/ra)