Eglises d'Asie

GPA : après les réglementations adoptées pour éviter les abus, des réseaux souterrains se développent

Publié le 04/07/2016




Madhumati Thakur, une jeune Indienne de 22 ans, a été assassinée mi-juin à Hadapsar, près de la ville de Pune, au Maharashtra (ouest de l’Inde). Selon la police, son assassinat est lié à un réseau de trafiquants d’ovules et de voleurs d’enfants. Issue d’un milieu pauvre, la jeune femme aurait été approchée par des femmes qui auraient cherché à la convaincre de donner ses ovules contre rémunération. Face à son refus, …

 …  elles l’auraient assassinée et lui auraient volé son bébé âgé d’à peine un mois. Celui-ci a été retrouvé sain et sauf par la police dix jours après la date présumée du meurtre de sa mère. La police poursuit son enquête, afin de savoir si un réseau plus vaste de trafic d’enfants et d’ovules ne se cache pas derrière cette affaire.

Le trafic d’ovules ainsi que la gestation pour autrui (GPA) prospèrent en Inde. Ils permettent à des femmes pauvres d’aider leurs familles à sortir de la misère, à certains couples de devenir parents, et aux cliniques et aux intermédiaires de s’enrichir.

En 2002, une loi autorisant la GPA et la rémunération des mères porteuses a été votée en Inde. Des cliniques se sont très vite spécialisées dans cette « industrie », répondant aux nombreuses demandes d’adoption domestiques et étrangères. En juillet 2015, Le Journal International rapportait que 25 000 couples étrangers se rendaient chaque année en Inde pour utiliser les services de mères porteuses, représentant 85 % des clients de cette industrie. « C’est un énorme business, rapporte Jose K. George, professeur du droit de la famille à la Christ University de Bengalore. L’économie de certaines localités du nord-ouest de l’Inde repose entièrement sur cette activité. »

Des ovules « de qualité » proposés à des prix défiant toute concurrence

Si la GPA est interdite dans de nombreux pays (notamment en France, en Allemagne, et en Espagne), elle est autorisée aux Etats-Unis et en Inde, mais, dans ces deux pays, les frais engagés pour une GPA n’atteignent pas les mêmes plafonds. Là où une GPA peut coûter jusqu’à 80 000 dollars aux Etats-Unis, elle revient à « seulement » 30 000 dollars en Inde. Aux yeux des étrangers, les cliniques spécialisées indiennes présentent de forts atouts : des médecins qualifiés et anglophones, des donneuses d’ovules qui sont présentées comme ayant été soigneusement sélectionnées – d’un âge généralement inférieur à 25 ans, de rang social élevé, ayant réalisé de bonnes études –, et des mères porteuses dont les tarifs sont cinq fois inférieurs à ceux qui se pratiquent aux Etats-Unis, rapporte une enquête publiée le 1er avril dernier par le quotidien britannique The Guardian.

La rémunération proposée à une mère porteuse en Inde tourne aux alentours de 8 000 dollars, une somme qui équivaut à environ sept années de revenu en milieu rural. En Inde, où 21,9 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté selon les chiffres 2011 de la Banque mondiale, cette somme attire de nombreuses femmes. Il n’est pas rare que ces femmes acceptent, plus ou moins contraintes par leur entourage, de porter un enfant pour rembourser des dettes contractées par ailleurs. De plus, si les cliniques mettent en avant l’excellence de leurs services, dans la réalité, les conditions réelles faites aux femmes dont l’utérus est ainsi utilisé sont loin d’être reluisantes.

Enfin, la « compensation financière » proposées aux mères porteuses ou à celles qui vendent leurs ovules est minime par rapport aux bénéfices retirés par les cliniques et les agents intermédiaires. Dans l’affaire du meurtre de Madhumati Thakur, c’est une femme qui semble être à la tête du petit groupe qui a tué la jeune femme. Ayant elle-même vendue autrefois ses ovules et porté un enfant pour autrui, Nikita Sanjay Kangne approchait les femmes pauvres ou ayant besoin d’argent pour les convaincre d’entrer à leur tour dans ce « business ». Selon l’enquête de police, Nikita Sanjay Kangne touchait 20 000 roupies (300 dollars environ) de la vente d’ovules d’une femme, qui ne retirait de cette somme qu’une compensation de 5 000 roupies.

Devant les proportions considérables du marché et pour éviter les abus, une première loi a été votée en 2012 interdisant aux célibataires et aux couples homosexuels étrangers d’avoir recours à des mères porteuses en Inde. En octobre 2015, le gouvernement indien a fait part de son intention d’interdire complètement aux étrangers la possibilité de recourir aux services de mères porteuses. A ce jour, si aucune autre loi n’a été votée, des mesures ont été prises. Les étrangers ne peuvent ainsi plus obtenir de visas médicaux leur permettant d’entrer dans le pays en vue d’une GPA, et le Conseil indien de recherches médicales (Indian Council of Medical Research) interdit aux cliniques d’offrir des services de GPA aux étrangers.

Mgr Thomas Dabre, évêque catholique de Pune, avait approuvé en 2015 ces mesures de restriction prises par le gouvernement indien, déclarant notamment : « Quelle que soit la situation, l’Eglise est opposée à la GPA car une telle pratique va à l’encontre des lois éthiques et morales. (…) Louer son corps n’est pas moral car cela participe de la marchandisation du corps humain ».

Cependant, ces restrictions favorisent le développement de réseaux souterrains, étant donné l’ampleur des profits en jeu. « Mettre un terme à l’industrie des mères porteuses par une loi peut s’avérer compliqué dans une société qui vénère la fortune et perçoit l’argent comme le bonheur ultime », précise encore le professeur Jose K. George.

Les candidates restent nombreuses, malgré des conditions plus difficiles : risque d’être moins bien payées, suivi médical des grossesses illégales moins accessible.

Le trafic d’enfants, qui ne date pas de la GPA – 135 000 enfants disparaissent tous les ans en Inde –, connaît aussi un nouvel essor. Des enfants, parfois volés au berceau comme dans le cas du fils de Madhumati Thakur, sont vendus pour devenir des domestiques, voire pour être prostitués. Mais certaines petites filles sont maintenant vendues pour devenir de véritables « machines à bébés », mettant parfois, une fois devenues pubères, plus de dix enfants au monde pour le compte d’autrui.

« Malgré des stratégies marketing ratées qui ont tenté de présenter le ‘business’ autrement que comme une marchandisation du corps humain, l’industrie des mères porteuses dessert la vie. On ne considère plus l’enfant comme un don mais comme un produit à fabriquer », déclare Pascoal Carvalho, médecin catholique à Mumbai (Bombay) et membre de l’Académie pontificale pour la vie, à l’agence AsiaNews. « Les dizaines de milliers d’embryons détruits et les dangers encourus par les parents engagés dans ces trafics, le meurtre de cette femme à Pune, révèlent la triste réalité qui se cache derrière tout ce système de mères porteuses – la défaite des valeurs intrinsèques de la vie humaine. »

(eda/mj)