Eglises d'Asie – Inde
Meurtre du recteur du séminaire de Bangalore : deux prêtres et un ex-séminariste ont avoué le crime, affirme la police
Publié le 25/03/2014
… sauvagement assassiné le 31 mars dernier. Toujours selon la police, entre cinq et dix autres personnes sont soupçonnées d’avoir participé au crime et vont être interpellées sous peu.
Vendredi 21 mars, c’est dans une salle bondée de journalistes que la police a fait part de ses conclusions dans cette enquête hors norme. Selon l’un des chefs de la police criminelle à qui a été confiée l’enquête, le commissaire Pranab Mohanty, alors que plus de 2 000 personnes ont été interrogées dans le cadre de l’enquête et que les analyses des réseaux de téléphonie mobile ont été poussées très loin afin de trouver les auteurs du meurtre, c’est le recours à la narco-analyse (le fameux « sérum de vérité », ou injection par intraveineuse de Penthotal) qui a permis de concentrer les investigations sur une personne en particulier, le P. Elias (ou Illyas), prêtre catholique.
Ce prêtre fait partie des cinq personnes qui ont été soumises à une narco-analyse dans le cadre de l’enquête sur le meurtre du P. Thomas. Si un tel procédé ne peut être mis en œuvre que dans le cadre d’un protocole très précis et que ses résultats sont sujets à caution, il n’en est pas moins régulièrement utilisé par la police en Inde. Selon le commissaire Mohanty, les trois personnes arrêtées font partie des cinq personnes qui ont été soumises à une narco-analyse. « Soumises à un interrogatoire détaillé, elles ont avoué le crime », a déclaré le policier.
Le P. Elias, 35 ans, est membre de l’ordre des Carmes (OCD). Arrêté semble-t-il il y a plusieurs jours déjà, il était auparavant recteur d’une école à Gulbarga, dans le nord de l’Etat du Karnataka. Le deuxième prêtre arrêté est le P. William Patrick, 46 ans, prêtre du diocèse de Bangalore et curé de la paroisse de Kengeri, ville nouvelle située dans la grande banlieue de Bangalore ; il est apparenté au P. Patrick Xavier, économe du Saint Peter’s Institute, lui-même un temps soupçonné par la police d’avoir été impliqué dans le meurtre du P. Thomas. La troisième personne à avoir été placée en garde à vue est un certain Peter, 22 ans, proche du P. Elias et ancien séminariste, sans avoir pour autant jamais étudié au Saint Peter’s Institute.
Selon les enquêteurs, les trois hommes se sont réunis, le soir du meurtre, à Yeshwantpur, à un kilomètre du séminaire, avant de s’y rendre « armés de barres de fer et d’autres armes létales ». Pour pénétrer dans les vastes bâtiments du séminaire, ils avaient pris soin de choisir la nuit du dimanche de Pâques, sachant que l’institution serait alors quasi vide. A la recherche de « documents », ils ont été surpris dans leurs recherches par le P. Thomas et, interrogés par celui-ci sur la raison de leur présence dans les murs du séminaire, ils l’ont « attaqué et frappé à mort », a expliqué le chef de la police, Raghavendra Auradkar, qui a ajouté : « Ils n’ont laissé aucune trace ou indice derrière eux en commettant cet acte horrible. »
Concernant le mobile du meurtre, le policier a précisé que le P. Thomas dirigeait le séminaire depuis longtemps et que le P. Elias et ses deux acolytes « n’en étaient pas contents ». « Ils éprouvaient un fort ressentiment du fait qu’ils estimaient être systématiquement tenus à l’écart des postes importants [au sein du séminaire] et que seul un petit nombre de personnes, dont ils n’étaient pas, occupaient les postes importants », a ajouté le responsable de police, sans plus de précisions.
En tenant de tels propos, le policier a donné corps à une rumeur qui court depuis le meurtre du P. Thomas, à savoir que son assassinat serait lié aux rivalités opposant différentes factions présentes au sein du séminaire. Il a ainsi aussi confirmé la conviction première des enquêteurs, qui a été d’orienter les investigations sur une querelle interne au séminaire.
Le Saint Peter’s Institute, séminaire pontifical depuis 1962, a été fondé en 1778 par les Pères des Missions Etrangères de Paris pour former le clergé diocésain du quart sud-est de l’Inde. Installé à l’origine à Pondichéry, il a été déplacé en 1934 à Bangalore, au Karnataka, et placé sous l’autorité de l’archevêque de Bangalore (Mgr Bernard Moras en est aujourd’hui le chancelier). Avec des enseignements dispensés en trois langues (kannada, tamoul et anglais), il accueille des étudiants destinés à devenir prêtres au Tamil Nadu aussi bien qu’au Karnataka. Depuis des décennies, certains cercles nationalistes pro-kannada réclament que le séminaire soit placé sous la direction exclusive des évêques du Karnataka et n’accueille que des séminaristes issus de cet Etat.
Dès le 22 mars, ces cercles nationalistes pro-kannada ont vivement réagi. Convoquant en urgence les journalistes au Bangalore Press Club, une cinquantaine de prêtres réunis sous la bannière du Karnataka Kannada Dharmagurugala Balaga (‘Forum des prêtres kannada du Karnataka’) ont dénoncé l’arrestation des PP. Elias et Patrick comme étant « un coup monté ». Protestant de « la totale innocence » des deux prêtres et rappelant qu’ils n’ont jamais fait partie du corps enseignant du séminaire, ils ont exprimé leur « peine immense face à l’instrumentalisation éhontée du meurtre du P. Thomas en vue de ruiner quatre décennies de lutte intense menée par les chrétiens kannada pour faire valoir leurs justes droits dans l’Eglise du Karnataka ». Ils ont aussi ouvertement mis en cause Mgr Bernard Moras, demandant sa démission, et le ministre de l’Intérieur du Karnataka, K. J. George, qui est catholique, estimant qu’ils avaient « monté une conspiration » pour cibler les prêtres kannada.
Passé le choc que constitue l’annonce de l’arrestation des deux prêtres catholiques et de l’ancien séminariste ainsi que la violence des attaques contre Mgr Moras, le désarroi est palpable au sein du Saint Peter’s Institute. A Eglises d’Asie, un membre du staff enseignant confie que l’institution traverse « des moments difficiles » mais qu’il est « tout aussi difficile de croire, comme la police semble le faire, que des jalousies et des querelles mortelles existent au sein du séminaire au point de massacrer son recteur ». Lundi 31 mars, l’ensemble des professeurs, des étudiants et du personnel prendra part à une messe à 11h, célébrée pour le repos de l’âme du recteur assassiné un an plus tôt jour pour jour, avant la dispersion de chacun pour les grandes vacances annuelles. Mais tous attendent que soit confirmée ou infirmée la culpabilité des trois personnes arrêtées afin que « soit mis fin aux rumeurs et aux soupçons pour permettre de bâtir à nouveau un avenir, sous la direction des évêques et avec la coopération renouvelée des professeurs exilés par la police depuis le mois d’août dernier ».
Dans l’immédiat, des informations de presse font état du fait que l’archidiocèse de Bangalore a demandé à ses avocats de préparer une demande de remise en liberté sous caution pour le P. William Patrick et l’ordre des Carmes ferait de même avec ses avocats pour le P. Elias. De nombreuses questions restent sans réponse. D’aucuns s’interrogent sur l’annonce soudaine de la police : depuis des mois, l’enquête paraissait en panne ; or, les enquêteurs étaient soumis à une pression intense de leur hiérarchie en vue de produire un résultat avant le premier anniversaire du meurtre. De ce point de vue, l’annonce des aveux des PP. Elias et Patrick ainsi que de Peter arrive à point nommé. Par ailleurs, bien des points semblent devoir être encore éclaircis : les indices matériels incriminant les accusés paraissent ténus, voire, pour l’heure, inexistants, de même que le mobile. S’il apparaît que les meurtriers cherchaient des documents – la chambre du recteur assassiné a été mis sans dessus dessous par eux –, l’idée selon laquelle ils cherchaient des titres de propriété permettant de prouver que le Saint Peter’s Institute appartient bien aux évêques du Karnataka ne semble pas crédible. Ces documents existent ailleurs et ne permettent en rien d’affirmer que cette institution réputée devrait être réservée au seul clergé kannada.
(eda/ra)