Eglises d'Asie

Mobilisation de responsables religieux contre la déforestation de la Papouasie occidentale

Publié le 23/09/2016




Appel adressé par des catholiques au président de la République, fatwa contre les musulmans provoquant des incendies de forêts, des responsables religieux se mobilisent contre la déforestation des forêts tropicales indonésiennes, et soutiennent la cause des Papous, victimes directes de la …

… déforestation massive de leurs terres ancestrales par de grandes sociétés productrices d’huile de palme.

Un appel au président indonésien

« J’ai lancé un appel au président de la République afin que cesse la destruction des forêts vierges par les sociétés d’exploitation d’huile de palme ; c’est notre dernière chance pour faire entendre la cause des peuples aborigènes », explique le P. Anselmus Amo, missionnaire de la Congrégation du Sacré-Cœur de Jésus et président de la Commission ‘Justice et paix’ de l’archidiocèse catholique de Merauke, diocèse situé sur la côte Sud de la Papouasie occidentale (1). « Toutes nos pétitions auprès du gouvernement local, des militaires et de la police sont restées sans réponse », précise le prêtre catholique, qui ajoute avoir également déposé un recours auprès de la Commission nationale des droits de l’homme, espérant ainsi que la cause des aborigènes soit présentée au plan national.

Une fatwa édictée par le Conseil des oulémas

Le 13 septembre dernier, la plus haute instance musulmane d’Indonésie, le Conseil indonésien des oulémas (MUI, Majelis Ulama Indonesia), par l’entremise de son président, Huzaemah Yanggo, a publié une fatwa concernant les incendies des forêts et des terres. « Tout acte volontaire d’incendier des forêts ou des terres qui peut engendrer de graves dégâts écologiques et économiques, une pollution environnementale et des problèmes de santé pour la population, va à l’encontre des enseignements de l’islam, […] et est, donc haram [interdit] », a déclaré Huzaemah Yanggo.

L’édit interdit également aux musulmans de favoriser ou de tirer profit d’activités liées aux incendies de forêts ou de terres. « Cette fatwa est une décision morale car la destruction de l’environnement appelle à un changement urgent de comportements. A présent, les mauvais comportements doivent se transformer en comportements meilleurs. […] Si la communauté peut échapper aux jugements de ce monde, elle ne pourra échapper après la mort au jugement et aux lois d’Allah », a ajouté Huzaemah Yanggo.

D’après la station de télévision CNA, le Conseil des oulémas a travaillé étroitement avec le ministère de l’Environnement et des Forêts, avant de prendre cette fatwa dont le but est de dissuader les sociétés d’exploitation d’huile de palme de continuer à multiplier les incendies pour défricher les forêts. Dans le premier pays musulman au monde, où 85 % des 240 millions d’habitants sont considérés comme musulmans, le ministère de l’Environnement indonésien espère ainsi que cette fatwa aura davantage d’impact sur les comportements des Indonésiens, qu’une simple loi interdisant les incendies de forêts pour déforestation.

L’Indonésie, premier producteur mondial d’huile de palme

Les enjeux sont de taille car l’Indonésie est le premier producteur mondial d’huile de palme, avec une production annuelle de 28,5 millions de tonnes en 2012, devançant depuis quelques années la Malaisie.

Le 1er septembre dernier, un rassemblement international d’ONG de protection de l’environnement (Mighty, Pusaka et la Fédération européenne pour les transports et l’environnement), a rendu publics les résultats d’une enquête montrant que le groupe industriel indonésien Korindo a détruit en quelques années quelque 50 000 hectares de forêts en Indonésie pour développer son activité économique d’exploitation d’huile de palme. « Cela doit cesser. L’enquête a réuni suffisamment de preuves, avec des images satellites, des photos aériennes et des enquêtes sur le terrain », affirme le P. Amo. « Le groupe Korindo accuse souvent les autochtones de brûler la forêt lorsqu’ils chassent, ce qui est complètement ridicule ! », s’offusque-t-il encore.

Ce rassemblement d’ONG a déposé une requête auprès du ministère de l’Environnement, ainsi qu’auprès de l’Assemblée régionale de Papouasie occidentale et du gouverneur de Papouasie, afin qu’ils viennent constater sur place la destruction massive des terres ancestrales papoues.

Des populations aborigènes anéanties

Les incendies opérés par les sociétés d’exploitation d’huile de palme en Papouasie ont de multiples conséquences : outre que les terres tenues pour sacrées par les populations papoues se réduisent à grande vitesse, les feux détruisent une faune et une flore unique qui rassemblent de nombreuses espèces protégées, tout en menaçant la survie alimentaire des autochtones, lesquels se nourrissent principalement de sagou, une fécule produite à partir des troncs de sagoutiers, des palmiers très présents en Papouasie, et détruits dans ces incendies. Le problème est ancien et n’est pas cantonné à la seule Papouasie. Par le passé, des responsables religieux s’étaient déjà mobilisés pour cette cause, sans beaucoup de résultats cependant.

Selon le directeur de la Pusaka Foundation, pour la seule année 2013, Korindo a détruit 30 000 hectares de forêts (dont la moitié portait des forêts primaires), provoquant des fumées massives qui ont engendré un coût sanitaire énorme pour la Papouasie, du fait de la multiplication des problèmes respiratoires chez les habitants. « Des enfants sont décédés prématurément suite à cette tragédie. Et aujourd’hui, ils menacent d’exploiter encore quelque 75 000 hectares de forêts primaires qui font partie de leur contrat de concession, signé avec les autorités locales », dénonce-t-il.

Selon certains responsables aborigènes, les militaires ou des milices privées viennent intimider ou menacer les populations locales, pour qu’elles cèdent leurs terres aux sociétés d’exploitation d’huile de palme. « Je pleure lorsque je vois ces forêts détruites. C’est sadique. Dieu a créé la nature de manière à ce qu’elle soit belle, et les êtres humains la détruisent », confie Elisabet Ndiwen, une responsable aborigène de Merauke. « Les forêts de Papouasie sont traditionnellement habitées par des centaines de tribus différentes. Détruire ces forêts, c’est déraciner ces tribus de leur vie quotidienne et de leur culture, déplore-t-elle. Le gouvernement local est responsable de cette situation car il n’a pas consulté les autochtones lorsqu’il a attribué ces concessions d’exploitation. Les forêts doivent être protégées car elles sont notre seul moyen de subsistance. »

« Nous ne voulons pas que des gens cupides viennent toucher à notre forêt, qu’ils détruisent nos terres ou nos lieux sacrés », s’offusque pour sa part Klemens Mahuze, un aborigène de la région de Merauke.

 

Un projet de loi pour protéger le patrimoine humain et culturel des aborigènes ?

Selon Moses Yeremias Kaibu, parlementaire papou, l’Assemblée législative de la province est en train de rédiger un projet de loi pour protéger les droits coutumiers des aborigènes, en incluant la protection des personnes, des forêts et de l’habitat. « Le Parlement travaille sur ce projet et aura terminé avant la fin de l’année », indique-t-il.

Pour Luwy Leunufna, porte-parole de Korindo, lui-même papou, les accusations portées contre le groupe industriel Korindo sont fausses. « Depuis le début des opérations en Papouasie, la société a suivi les instructions du gouvernement et n’a rien fait en dehors du permis délivré par le ministère de l’Environnement et des Forêts. Il n’y a pas de déforestation, ce n’est pas vrai. Je pense que c’est un malentendu sur les termes utilisés », explique-t-il à l’agence Ucanews, précisant que la société travaille à 350 km de Merauke et qu’elle contribue ainsi au développement des infrastructures, dans des régions restées longtemps très isolées.

 

Des conséquences régionales

Selon des chercheurs des universités de Harvard et de Columbia, aux Etats-Unis, les incendies survenus en Indonésie, à l’automne 2015, seraient à l’origine de près de 100 000 décès prématurés, un chiffre bien éloigné des statistiques officielles indonésiennes évoquant 19 morts… En 2015, plus de 2,5 millions d’hectares de forêts tropicales ont été détruits par des incendies pour défricher les terres destinées à la production d’huile de palme, provoquant en Indonésie, à Singapour et en Malaisie d’épais brouillards et une pollution de l’air plusieurs mois d’affilée. Selon ces chercheurs, ces incendies ont provoqué une surmortalité à laquelle peuvent être attribués le décès de 2 200 personnes à Singapour, 6 500 en Malaisie et 91 600 en Indonésie.

(eda/nfb)