Eglises d'Asie – Philippines
Les évêques philippins s’opposent à un projet de loi sur le mariage homosexuel
Publié le 26/10/2016
… premier maire à avoir fait signer une ordonnance « anti-discrimination » dans sa ville de Davao (Mindanao).
Le 3 octobre, le président de la Chambre philippine des représentants (équivalent de l’Assemblée nationale française), Pantaleon Alvarez, a annoncé son intention de déposer une proposition de loi légalisant le mariage homosexuel, « afin de montrer respect et dignité » aux Philippins homosexuels. « Si vous regardez dans la Constitution, il existe un alinéa garantissant le bonheur des Philippins. Pourquoi en priver les personnes homosexuelles ? », a défendu Pantaleon Alvarez. La Constitution philippine stipule que « l’Etat estime la dignité de chaque être humain et garantit le plein respect des droits de l’homme ». Selon Alvarez, proche du président Rodrigo Duterte, libre à l’Eglise catholique de s’opposer à sa proposition. Son projet concerne d’abord les unions civiles et les clauses de la propriété conjugale : « Ma proposition est relative aux unions civiles. On ne s’immisce pas dans les affaires de religion. Ce n’est pas un problème si l’Eglise n’en veut pas », ajoutant : « La beauté de la démocratie, c’est que nous pouvons être favorable ou non, mais au bout du compte, c’est la majorité qui prévaut ».
En réaction, les représentants de l’Eglise catholique ont maintenu que le mariage homosexuel était non seulement contraire à la loi divine, mais également aux lois naturelles et humaines. « Selon la volonté de Dieu, un mariage a lieu entre un homme et une femme », rappelle Mgr Honesto Ongtioco, évêque de Cubao, dans la banlieue nord de la capitale. Le prélat a affirmé respecter l’opinion de Pantaleon Alvarez, mais en tant que « pasteur de l’Eglise », il maintiendra sa position. « Le but du mariage est de fonder une famille, d’avoir des enfants, mais si le couple est du même sexe alors ceux qui en souffriront le plus seront leurs enfants et ce n’est pas normal », poursuit Mgr Ramon Arguelles, archevêque de Lipa (au sud de Manille). « Aux yeux de Dieu, un couple marié est composé d’un homme et d’une femme », a-t-il ajouté.
Pour Mgr Jose Francisco Oliveros, évêque de Malolos, l’opposition de l’Eglise au mariage homosexuel « n’est pas une question de droit, mais plutôt une question de ce qui est contraire à la nature du mariage ». « C’est contre notre culture », estime de son côté Mgr Arguelles, « et ce n’est pas parce que d’autres pays l’ont fait, que nous devons faire de même. »
Le mois dernier, des représentants de l’Eglises ont annoncé la mise en place de ministères au sein des diocèses afin « d’aider à comprendre la réflexion de l’Eglise au sujet de l’attirance pour quelqu’un du même sexe », rapporte l’agence Ucanews. Pour Mgr Gilbert A. Garcera, évêque de Daet (sud de l’île de Luzon), président de la Commission épiscopale pour la famille et la vie, l’objectif du ministère vise également à expliquer aux catholiques la position de l’Eglise sur le mariage. Citant l’exhortation apostolique du pape François, « Amoris lætitia », Mgr Garcera est convaincu que les individus attirés par d’autres personnes du même sexe « méritent l’aide et les conseils de l’Eglise ».
Dans la banlieue nord de Manille, à Quezon City, la LGBT Christian Church (Eglise chrétienne LGBT pour Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres) se présente comme une « église œcuménique indépendante », qui rassemblerait une centaine de fidèles. Depuis 2012, plusieurs « mariages homosexuels » symboliques y ont été célébrés, notamment à l’occasion de la Gay Pride.
Dans son discours à la chambre des représentants, Pantaleon Alvarez a également dit défendre les droits des bisexuels et transsexuels. En mai dernier, les Philippines ont élu, en même temps que Rodrigo Duterte, leur première députée transsexuelle, Geraldine Roman, à la suite de sa mère qui siégeait déjà au Congrès. Mariée à un ressortissant espagnol en Europe, Geraldine Roman, 49 ans, se déclare catholique et vient elle-même de déposer un projet de loi « anti-discrimination » à l’égard de la communauté LGBT.
Avant de devenir président des Philippines, Rodrigo Duterte, a été le premier maire à avoir signé, en 2012, une ordonnance anti-discrimination envers les minorités dans la ville de Davao (île de Mindanao). Le texte, qui vise à protéger les minorités – la communauté LGBT, les musulmans, les personnes avec un handicap et les peuples indigènes – impose des sanctions en cas d’infraction. Cela va d’une amende de 1 000 pesos (20 euros) jusqu’à 15 jours de prison en cas de récidive. Lors de la campagne présidentielle, Rodrigo Duterte s’était prononcé en faveur du mariage homosexuel mais contre la légalisation du divorce, encore interdit aux Philippines et pour lequel l’archipel constitue encore une exception mondiale, avec le Saint-Siège.
Au sein de l’Eglise catholique philippine, les témoignages de prêtres homosexuels restent tabous. En août, le site d’information Rappler en a un publié un, sous un nom d’emprunt. « Le P. KJ », 36 ans, prêtre depuis quatre ans et membre d’une des principales congrégations de l’archipel. Il y assure, malgré son anonymat, que « l’homosexualité n’est plus un problème au sein du clergé catholique ». En détail, il raconte avoir découvert sa vocation après une rupture amoureuse avec un homme. L’article ne précise pas les raisons exactes de cet anonymat.
Dans ce même article de Rappler, le sociologue Jayeel Serrano Cornelio de l’Université jésuite Ateneo de Manille assure que le cas du P. KJ n’est pas isolé. « Un prêtre homosexuel n’est pas inhabituel. Beaucoup de prêtres, je pense, sont dans la même situation », croit savoir l’universitaire. En parallèle, il juge la position de l’Eglise catholique constante sur le sujet : « L’Eglise a toujours déclaré condamner le péché et non le pécheur ». Selon lui, « cela signifie également que l’Eglise accepte les homosexuels mais désapprouve l’acte homosexuel porteur du péché ». Pour le P. Eduardo Apungan, missionnaire clarétain, l’enseignement essentiel de l’Eglise, est « la reconnaissance et le respect de la personne et de sa personnalité. Reconnaître une personne et sa personnalité n’est pas une question de genre. Le Christ nous dit d’aimer la création. Dans un contexte d’amour et de respect, le Christ n’exclut personne », explique le P. Eduardo Apungan. Néanmoins, comme n’importe quelle autre institution, l’Eglise catholique dispose de ses propres codes, d’un ensemble de règles à respecter. « En fonction de la tradition de l’Eglise et du droit canon, il y a des conditions pour qu’un individu puisse accéder à la prêtrise. Si une personne homosexuelle désire devenir prêtre, techniquement l’Eglise ne peut l’accepter à cause de son propre droit, ce qui ne veut pas forcément dire que l’Eglise pose un regard discriminatoire sur l’orientation sexuelle ».
Interrogé sur le cas du P. KJ qui volontairement n’a pas mentionné son homosexualité à l’entrée au séminaire, Le P. Apungan précise : « Si un prêtre admet qu’il est homosexuel, l’Eglise ne le condamnera pas pour avoir dit la vérité. Mais le prêtre en question ne doit pas commettre d’offense violant la loi de l’Eglise (…) Il doit rester fidèle à son vœu de chasteté et de célibat (…) » Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire de Manille, partage le même avis : « Aucun genre n’est prérequis pour servir Dieu mais l’Eglise doit rester ferme sur ses propres lois, lesquelles assurent les fondations de l’Eglise et sa longévité depuis plus de 2 000 ans ». A propos du P. KJ, le prélat déclare : « S’il est homosexuel et chaste, cela ne doit pas poser problème. »
(eda/md)