Eglises d'Asie

Une police peu motivée pour réprimer les violences perpétrées par les fondamentalistes musulmans

Publié le 13/07/2015




C’est un haut responsable de la police indonésienne qui l’affirme. Si les actions violentes ou les menaces proférées par les groupes extrémistes religieux sont si mal réprimées par la police en Indonésie, c’est parce que les forces de l’ordre s’estiment peu soutenues, mal récompensées, voire …

… même menacées lorsqu’elles s’avisent de faire respecter l’ordre et le droit.

John Hendri a le grade de commandant dans la police indonésienne ; il est à la tête des services juridiques de la Police nationale et il s’est entretenu début juillet avec un journaliste du Jakarta Globe. Dans un article daté du 6 juillet, le journal rapporte l’analyse de ce haut gradé d’une situation amplement documentée ces dernières années, à savoir le fait que des groupes fondamentalistes musulmans, tel le Front des défenseurs de l’islam (FPI), jouissent d’une large impunité dans leurs actions violentes à l’encontre des minorités religieuses.

« La vérité est que les policiers qui sont témoins de tels incidents devraient rédiger un rapport [lequel déclencherait l’ouverture d’une enquête], mais s’abstiennent de le faire parce qu’ils estiment ne pas avoir de garantie pour leur sécurité personnelle au cas où ils le feraient ou bien parce qu’ils ne voient pas le bénéfice qu’ils pourraient en tirer », explique John Hendri.

Bien que le haut gradé de la police n’a pas spécifié ce qu’il entendait par ‘bénéfice’, le journaliste du Jakarta Globe précise qu’« il est quasiment universellement admis qu’un policier s’attend à recevoir de l’argent de quiconque le sollicite pour déposer une plainte ou que lui-même n’ouvrira pas d’enquête sans avoir demandé de l’argent au plaignant ».

Selon le policier, la solution à ce problème connu de tous passe par la mise en place d’un cadre législatif offrant une protection spécifique aux policiers amenés à gérer les affaires concernant les « discours de haine » ou les pressions à caractère religieux. « Nous espérons qu’avec un tel texte, nos hommes ne seront plus intimidés. Dans l’état actuel des choses, les policiers ne peuvent agir que dans le cadre existant des lois, lequel requiert [à propos des discours de haine] qu’une plainte soit déposée par un membre de la communauté visée par ces discours. Mais chacun sait qu’il est très difficile d’imaginer un membre d’une communauté victime de ces discours venir déposer au commissariat contre un leader religieux qui le menace », explique encore John Hendri.

Pour le journaliste du Jakarta Globe, l’affirmation selon laquelle la police doit être protégée des personnes qui profèrent des discours de haine est « parfaitement ironique », étant donné que ceux-là mêmes qui tiennent ces discours violents, à l’instar du FPI, agissent de notoriété publique en lien avec la police. Et le journaliste de citer des télégrammes diplomatiques américains de 2006, révélés par Wikileaks, selon lesquels le FPI a reçu des fonds de la police et a agi comme « un chien d’attaque » de la police, notamment contre la minorité chrétienne et les ahmadis, communauté issue de l’islam mais tenue pour hérétique par l’islam majoritaire en Indonésie. De fait, durant des années, des responsables de la police nationale et de la police à Djakarta ont qualifié les membres du FPI de « partenaires » alors même que ce groupe était pointé du doigt pour ses agissements violents contre les minorités religieuses ou les tenants d’une pratique non rigoriste de l’islam.

Pour Adrianus Meliala, membre de la Commission de la police nationale, un organisme officiel de supervision des activités policières, la perspective de doter la police d’un nouveau texte pour la protéger des extrémistes religieux n’est pas sérieuse. La police doit cesser de chercher des excuses pour elles-mêmes et commencer à sérieusement protéger les minorités. « Le problème, ce n’est pas que les fauteurs de troubles ne peuvent pas être contrôlés, ou bien que la législation en place n’est pas suffisante, c’est bien plutôt les policiers eux-mêmes », affirme Adrianus Meliala.

Si cette affaire met à jour le problème de la corruption au sein des forces de police ainsi que leur collusion avec des groupes tels le FPI, elle intervient alors que la Commission nationale pour les droits de l’homme (Komnas HAM) a, dans son dernier rapport trimestriel, souligné à nouveau les atteintes à la liberté religieuse que font peser les agissements des groupes fondamentalistes.

Publié le 3 juillet dernier, le rapport cite 14 cas de persécution d’ahmadis dans la région de Djakarta, de fermeture d’églises chrétiennes à Aceh (à Banda Aceh, capitale de la province, et à Aceh Singkil, dans le sud de la province), et de pénalisation des pratiques religieuses de la minorité chiite à Bogor (Java-Ouest). « Ces affaires sont le symptôme d’un grave problème, a affirmé Imadadun Rahmat, membre de la Komnas HAM, en conférence de presse. Quand elles se produisent année après année, ce ne sont plus simplement des événements isolés. Elles témoignent d’un problème plus profond à l’échelle du pays tout entier. »

Selon Imadadun Rahmat, les affaires mentionnées dans le rapport de la Commission, « notamment les fermetures de lieux de culte », ne sont « que la partie émergée de l’iceberg ». Pour Ismail Hasani, chercheur à l’Institut Setara pour la paix et la démocratie, « le défi auquel la liberté de religion fait face en Indonésie demeure année après année : il existe des groupes intolérants, à savoir le FPI, le Front populaire de l’islam (FUI), et d’autres, et ils sont de plus en plus répandus à Djakarta et au-delà, (…) Ces groupes intolérants sont comme un virus : leur influence rend la population tout entière plus intolérante. » Et Jayadi Damanik, coordinateur du rapport de la Komnas HAM, de préciser : « Pour ce qui concerne les permis de construire ou de fonctionner des lieux de culte, le problème est que bon nombre de responsables administratifs ou policiers ne parviennent pas à distinguer ce qui relève de leur devoir en tant que membre de la fonction publique, et ce qui ressort de leurs intérêts en tant que fidèles d’une religion particulière. »

Selon les observateurs, alors que l’ancien président Susilo Bambang Yudhoyono, au pouvoir de 2004 à 2014, avait été critiqué pour la faiblesse de ses engagements en faveur de la liberté religieuse, les attentes sur la nouvelle équipe restent fortes. Elu en juillet dernier, au pouvoir effectivement depuis le 20 octobre 2014, le président Joko Widodo doit encore faire ses preuves sur ce plan. Mais les pressions des milieux islamiques sont fortes. Récemment, à l’occasion du Ramadan, le ministre des Affaires religieuses, Lukman Hakim Saifuddin, a été vivement critiqué pour avoir seulement appelé au respect mutuel entre les communautés religieuses. Il avait notamment demandé que les musulmans ne forcent pas les vendeurs ambulants de nourriture à cesser leur activité durant la journée lors du mois sacré de l’islam. La réplique des milieux conservateurs et des personnalités de l’islam radical avait été immédiate : « La minorité doit respecter la majorité. Le ministre tient des propos qui n’ont pas de sens. Les fidèles à Java-Est ne se comporteront pas comme il l’a dit », avait ainsi déclaré Ali Badri Zaini, chef du Forum de la propagation de l’islam pour la province de Java-Est.

(eda/ra)