Eglises d'Asie

La minorité musulmane coréenne : une communauté discrète en pleine expansion

Publié le 03/11/2016




« J’ai grandi dans une famille chrétienne, mais dans le christianisme coréen, il existe de fortes discriminations. Les pasteurs ne considèrent pas les pauvres et les riches de la même manière », confie Son Chan-kyung, un Sud-Coréen âgé de 64 ans, converti à l’islam. « J’ai découvert que l’islam était égalitaire. Même les hautes …

… personnalités musulmanes saluent les autres fidèles et mangent comme eux », ajoute-t-il. Yusup, prénom que Son Chan-kyung a choisi en devenant musulman a découvert l’islam, voici 40 ans, lors d’un déplacement professionnel en Arabie Saoudite. Il fait partie de la petite communauté musulmane présente en Corée du Sud, essentiellement composée d’immigrés venus travailler dans la péninsule coréenne.

Une communauté musulmane minoritaire

Estimés à 150 000, les musulmans représentent 0,3 % des 49 millions de Sud-Coréens. En 2010, 29 % des Coréens se déclaraient chrétiens (10 % de catholiques et 19 % de protestants), 23 % bouddhistes, et 46 % sans appartenance religieuse. Selon Kwon Jee-yun, directrice de recherche en islamologie au Torch Trinity Center de Séoul, la plupart des quelque 150 000 musulmans de Corée du Sud sont d’origine étrangère, et principalement issus du Moyen-Orient ou d’Asie du Sud. Dans les années 1990 et 2000, les immigrés venaient essentiellement d’Indonésie et de Malaisie. S’il est difficile de connaître le nombre exact de musulmans d’origine coréenne tant cette partie de la communauté musulmane est numériquement faible, la Fédération musulmane de Corée estime toutefois leur nombre à plus de 50 000, soit un tiers de la communauté musulmane du pays.

Une minorité musulmane en pleine expansion

Selon Kwon Jee-yun, le principal motif de conversion des Coréens à l’islam réside dans le mariage avec un conjoint ou une conjointe musulmane. « Lors du mariage, le conjoint coréen se convertit tout naturellement, et les enfants deviennent ensuite musulmans », analyse-t-elle. Des conversions qui aujourd’hui restent, certes, minoritaires, mais qui sont en forte expansion depuis une dizaine d’années. Depuis 2003 en effet, – la Corée du Sud comptait alors 100 000 musulmans, dont 30 000 Sud-Coréens –, on a assisté à une augmentation de 150 % du nombre de musulmans, avec une augmentation de près de 70 % des convertis d’origine sud-coréenne.

Une minorité qui souffre de préjugés et d’une mauvaise image

Pourtant, dans une société sud-coréenne très codifiée, l’islam souffre d’une mauvaise image et les musulmans doivent faire face à une méfiance généralisée à leur égard, quand ils ne subissent pas une certaine forme de discrimination. « Il n’y a pas de religion officielle en Corée du Sud, mais il est courant que les étrangers soient mésestimés et perçus comme des gens à part, surtout les immigrés musulmans. Avec l’augmentation des crimes commis par les étrangers, on assiste à une montée de la méfiance envers l’islam dans la société sud-coréenne. L’actualité et les guerres au Moyen-Orient, avec les attaques commises en Occident par Daech, ont également contribué à développer une mauvaise image de l’islam en Corée », explique Kim, une Sud-Coréenne qui vit actuellement avec son mari dans les Emirats Arabes Unis, et préfère garder l’anonymat.

Une communauté musulmane coréenne qui peine à vivre sa foi en public
 

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La Grande mosquée de Séoul (©english.visitkorea.or.kr)

Les différences de rites observés par les musulmans peuvent également être source de stigmatisation. Dans l’espace public, le port du foulard par des musulmanes peut parfois être source d’incompréhension. « Au début, je portais le foulard pour sortir. Mais tout le monde me regardait et certains me montraient du doigt, confie Yi Chong-sun, qui s’est convertie à l’âge de 20 ans. A présent, je le mets uniquement pour la prière. » Assister à la prière du vendredi midi en pleine journée professionnelle n’est pas simple non plus, tout comme le respect des interdits alimentaires – alcool, viande de porc –, qui viennent se heurter aux habitudes collectives de la société sud-coréenne. « En tant que commercial, je devais passer six jours par semaine avec mes clients et participer à des soirées bien arrosées. Il m’était impossible de devenir musulman », raconte Kim Kyon-sik, 51 ans, qui, depuis, a démissionné pour pouvoir suivre les préceptes de l’islam.

Idem lors des sorties festives entre amis ou lors des réunions familiales. « Avec des amis, c’était une habitude de manger de la poitrine de porc grillée, accompagnée de soju [alcool de riz]. Difficile de se soustraire en invoquant des raisons religieuses », précise le quinquagénaire. « Au restaurant, les choix sont limités, alors je prends systématiquement du poisson et des légumes. Quand des amis sortent pour boire, ils me laissent de côté. Si je sors avec eux mais ne bois pas d’alcool, alors l’ambiance est bizarre et pesante », explique un étudiant sud-coréen.

Park Dong-sik, un Sud-Coréen devenu musulman qui promeut l’islam via Internet et les réseaux sociaux, se plaint de harcèlement continu sur la toile, depuis la montée en puissance de Daech, ces dernières années.

Pour certains analystes, les pressions et la crainte d’être stigmatisé par la société sud-coréenne expliquent en partie pourquoi un nombre croissant de Coréens convertis à l’islam préfèrent vivre leur foi en privé, sans la pratiquer ouvertement en public. « Dans les faits, le nombre des Coréens qui se convertissent à l’islam ne cesse d’augmenter, mais du fait des difficultés vécues au sein de la société coréenne, la plupart d’entre eux ne disent pas qu’ils sont musulmans », confirme Kim Kyon-sik.

Même impression pour Son Chan-kyung, qui, depuis sa conversion, travaille à la Grande mosquée de Séoul, mégalopole qui rassemble la plus grande partie de la communauté musulmane de la péninsule coréenne. « Auparavant, peu de personnes venaient prier à la mosquée. Mais cette année, 7 000 fidèles en moyenne se sont déplacés pour la prière du vendredi, et 10 000 pour le ramadan », souligne-t-il.

C’est au IXème siècle ap. J-C que l’islam a pour la première fois été introduit en Corée, par l’intermédiaire de commerçants arabes et persans. A partir du XIVème siècle, il a complètement disparu de la péninsule, avec la prédominance du confucianisme. Ce n’est que lors de la guerre de Corée (1950-1953), avec l’arrivée de soldats turcs parmi les forces onusiennes, que l’islam est réapparu. 1955 est d’ailleurs considérée comme l’année officielle de naissance de l’islam en Corée du Sud, avec l’élection du premier imam coréen. La Fédération musulmane de Corée a été fondée en 1967, et la Grande mosquée de Séoul construite en 1975, principalement avec des fonds de la Mission islamique de Malaisie.

(eda/nfb)