Eglises d'Asie – Philippines
L’enterrement en héros de Marcos, nouvelle atteinte à la démocratie selon l’Eglise catholique
Publié le 14/11/2016
… président des Philippines, le sulfureux Rodrigo Duterte, au grand dam des victimes de la loi martiale.
Le 8 novembre dernier, après avoir repoussé par deux fois son jugement, la Cour suprême des Philippines a finalement autorisé l’inhumation de Ferdinand Marcos au Cimetière des Héros, situé à Manille et réservé aux grands hommes de la nation.
Dans le principal pays catholique d’Asie, l’Eglise s’oppose à cette inhumation. Durant la loi martiale (1972-1981), plus de 30 000 personnes ont subi des exactions, selon les historiens. Le régime est accusé d’être à l’origine du meurtre d’au moins 3 000 personnes. Au pouvoir de 1965 à 1986, Ferdinand Marcos est même considéré comme le deuxième dirigeant le plus corrompu de l’Histoire, selon l’ONG Transparency International. A l’étranger, plusieurs décisions judiciaires ont été prises pour sanctionner la corruption du régime Marcos. La Cour suprême de Singapour et celle de la Suisse ont ainsi chacune statué que les 683 millions de dollars déposés par les époux Marcos sur des comptes bancaires suisses provenaient de fonds mal acquis.
Vive réaction de l’épiscopat
« C’est une avanie alors que nous luttons pour sauver la démocratie. Je suis à la fois désemparé, meurtri et outré », a réagi le président de la Conférence des évêques philippins, Mgr Socrates Villegas, archevêque de Lingayen-Dagupan (nord de Manille), dans un communiqué diffusé le 10 novembre par CBCP News, le service d’information de la Conférence épiscopale.
Il y a trente ans, en février 1986, deux millions de personnes manifestaient dans la capitale, à l’appel du cardinal Jaime Sin, archevêque de Manille à l’époque et figure emblématique de l’opposition à la dictature. Dès le lendemain, cette mobilisation sans effusion de sang, baptisée « la révolution du peuple de 1986 » (‘People power Revolution’), aboutissait à l’exil des époux Marcos à Hawaï. Ferdinand Marcos y décède en 1989. Rapatriée peu après, sa dépouille est depuis exposée dans un mausolée d’une propriété de la famille Marcos ouvert au public dans le nord du pays, à Batac, ville natale de Ferdinand Marcos.
Selon le président Rodrigo Duterte, l’inhumation de Marcos du Cimetière des Héros permettra de « guérir » la nation. Elu sur un discours ultra-sécuritaire, le président au pouvoir depuis le 30 juin dernier ne s’en est jamais caché : il est un admirateur de Ferdinand Marcos et un ami personnel de la famille, laquelle aurait figuré au nombre des financeurs de sa campagne électorale. Récemment, Rodrigo Duterte n’avait également pas eu peur de citer Adolf Hitler, ou encore l’Ougandais Idi Amin Dada, l’un des plus sanguinaires dictateurs africains.
« Nous faisons appel à davantage de courage pour rétablir et faire connaître la vérité de la dictature Marcos », écrit le président de l’épiscopat, Mgr Socrates Villegas, dans son communiqué du 10 novembre. Pour sa part, Mgr Arturo Bastes, évêque de Sorsogon (sud-est de l’île de Luçon), se déclare « extrêmement déçu et consterné » par la décision de la Cour suprême, allant jusqu’à l’assimiler à une « forme de révisionnisme historique, équivalent à une imposture dont est témoin le reste du monde ».
Des relations Eglise – Etat tendues
Depuis l’arrivée au pouvoir du président Rodrigo Duterte, les relations se sont tendues entre l’Etat et l’Eglise catholique, avec de plus en plus de motifs de désaccord : guerre antidrogue meurtrière, projet de loi pour rétablir la peine de mort, aujourd’hui soutien à l’inhumation d’un ancien dictateur, sans compter les dérages verbaux présidentiels.
« Les stigmates des atrocités commises par les époux Marcos ne pourront jamais être effacées des esprits et des âmes des milliers de victimes de la loi martiale », poursuit Arturo Bastes. De son côté, Mgr Honesto Ongtioco, évêque de Cubao (banlieue de Manille), dit prendre acte du jugement : « L’autorité judiciaire la plus haut placée a pris une décision. » Avant d’ajouter : « Prions avec plus de ferveur encore pour notre pays et notre peuple. Œuvrons pour ce qui nous rapprochera plutôt que pour ce qui nous divisera. »
« La cour a ignoré les revendications des victimes des abus », se désespère l’évêque auxiliaire de Manille, Mgr Broderick Pabillo. A la tête de la Commission épiscopale pour les laïcs, il est également l’instigateur de la campagne « Tu ne tueras point » lancée par l’épiscopat, en opposition à la campagne antidrogue gouvernementale jugée meurtrière.
En aucune manière, l’inhumation au Cimetière des Héros de Manille n’exonère le clan Marcos de ses responsabilités, ajoute Mgr Broderick Pabillo. Le prélat réclame que la famille Marcos admette publiquement les abus commis sous la dictature. Pour le président de l’épiscopat, Mgr Socrates Villegas, cette étape est indispensable à la « guérison » de la nation évoquée par Rodrigo Duterte. « Les victimes d’abus n’ont toujours pas été correctement dédommagées, se désespère Mgr. Socrates Villegas. Il s’agit d’une question de justice. »
Dans le même temps, la Commission épiscopale pour la catéchèse et l’éducation a enjoint les établissements d’enseignements catholiques à enseigner aux élèves que Ferdinand Marcos n’était pas un héros. Mgr Roberto Mallari, évêque de San Jose, s’inquiète du risque de confusion sur la juste signification de la notion même de héros : « Il est important pour les écoles catholiques de parler d’une même voix en condamnant cette inhumation de Marcos dans ce cimetière. Il ne devrait pas être enterré là-bas car tout le monde est loin de le considérer comme un héros. »
La décision de la Cour suprême a provoqué plusieurs manifestations, avec la participation pour certaines de religieux, dont l’ordre des franciscains. Au moins sept pétitions avaient été déposées en amont pour s’opposer à cette inhumation au Cimetière des Héros. « Jusqu’à mon dernier soupir, je bataillerai contre ceux qui ont assailli notre village et nous ont traîné hors de nos maisons, pour nous torturer », témoigne Meling Florentino, lors d’un rassemblement dans la ville de Quezon (banlieue nord de Manille). A l’origine de l’une des pétitions, l’écrivain Bonifacio Ilagan s’est adressé à la foule des manifestants : « On nous crache dessus. » Edith Burgos, veuve de l’opposant et journaliste Jose Burgos, a déploré « la mémoire courte du peuple philippin ». « Ce soir, montrons que nous continuons à nous souvenir », a poursuivi Edith Burgos, dont le fils, Jonas, n’est jamais réapparu après son enlèvement par des agents d’Etat, en avril 2007.
(eda/md)