Eglises d'Asie

Vive déception de l’Eglise catholique après l’annonce de la relance du nucléaire civil

Publié le 17/11/2016




« Nous sommes tristes et déçus. » C’est par ces mots que l’évêque du diocèse catholique de Balanga a accueilli l’annonce, le 10 novembre dernier, par la présidence Duterte de recourir à l’énergie nucléaire et de relancer la centrale électrique de Morong, dans la province de Bataan, …

… une installation construite dans les années 1970 mais jamais mise en fonctionnement.

« Si cette annonce représente le dernier mot du président, nous sommes tristes et déçus » sont les mots exacts prononcés par Mgr Ruperto Santos, évêque de Balanga, sur le territoire duquel se trouve la centrale. Membre du Conseil permanent de la Conférence des évêques catholiques des Philippines, le prélat réagissait à la volte-face du gouvernement philippin. Le 4 novembre en effet, le président Duterte affirmait que, sous son mandat, aucune centrale nucléaire n’entrerait en fonctionnement dans le pays, mais, le 10 novembre, son ministre de l’Energie, Alfonso Cusi, surprenait tout le monde en déclarant que l’énergie nucléaire était « une option possible pour les Philippines ». Le ministre précisait que l’exécutif avait donné le coup d’envoi à la réactivation de la centrale de Bataan, tout en promettant que « les mesures de sécurité les plus strictes [seraient] respectées ».

« Notre position n’a pas changé »

« Notre position n’a pas changé : [la centrale de Bataan] est dangereuse et lourde de menaces pour la santé publique. Elle portera mort et destruction. Il faut rappeler que la centrale a été bâtie sur une zone où se situe un volcan en activité », a affirmé Mgr Santos dans un communiqué daté du 14 novembre. L’Eglise invite le gouvernement à « prendre en considération la vie et l’avenir de notre peuple et de l’environnement plutôt que le profit et les avantages matériels », a encore affirmé l’évêque, qui avait, quelques jours plus tôt, félicité publiquement le président Duterte pour son renoncement au nucléaire. Mgr Santos a enfin ajouté que la mise à jour de la centrale, d’un coût annoncé d’un milliard de dollars, ne ferait qu’alimenter la corruption, « comme cela avait déjà été le cas lors de sa construction ». Selon différentes enquêtes, Ferdinand Marcos (au pouvoir de 1965 à 1986) aurait touché 80 millions de dollars de pot-de-vin à l’occasion de la construction de la centrale.

La centrale nucléaire de Bataan, d’une puissance de 620 MW, est un serpent de mer de la politique philippine. Construite à une centaine de kilomètres à l’ouest de la capitale, elle avait été voulue par le dictateur Ferdinand Marcos en réponse au choc pétrolier de 1973. Financée par un emprunt d’un milliard de dollars, sa construction – qui ne devait initialement pas coûter plus de 600 millions de dollars – débuta en 1976 pour s’achever en 1984, avec une facture totale de 2,3 milliards de dollars. Très rapidement, des doutes furent émis sur le choix de son emplacement – la centrale est construite sur une faille sismique – et sur sa fiabilité – conçus par la firme américaine Westinghouse, ses plans reprennent ceux de la centrale de Three Miles Island, victime d’un grave accident en 1979. En 1986, peu après avoir accédé au pouvoir, après la chute de Marcos et l’explosion de la centrale de Tchernobyl, la présidente Corazon Aquino décidait de ne pas mettre en service la centrale de Bataan, les emprunts contractés pour sa construction étant néanmoins honorés et la dernière échéance payée en 2007, plus de trente ans après le premier coup de pioche. A compter de 2009, le Parlement philippin a étudié de près la mise en service de la centrale et le président Benigno Aquino, au pouvoir de 2010 à 2016, a déclaré à plusieurs reprises que les Philippines n’avaient pas abandonné un éventuel recours à l’énergie nucléaire pour la production électrique.

L’Eglise catholique n’est pas la seule à dénoncer la relance de la centrale de Bataan. L’ONG Kalikasan People’s Network for the Environment, a mis en garde sur « les milliards » et le coût environnemental que représentent la mise en marche et la connexion au réseau électrique de l’installation nucléaire. « In fine, c’est le peuple philippin qui paiera le prix de ces risques massifs, en impôts supplémentaires ou pire en vies humaines », a dénoncé Clemente Bautista, coordinateur national de l’ONG.

D’importants besoins en énergie et en infrastructures

A Manille, les observateurs se posent des questions pour expliquer le revirement du président Duterte sur la centrale de Bataan. Certains mettent en exergue le récent voyage effectué du 18 au 21 octobre dernier par le président en Chine populaire : alors qu’avant la présidence Duterte, Manille était en conflit avec Pékin sur les questions liées à la souveraineté en mer de Chine méridionale, le spectaculaire rapprochement opéré avec la Chine à l’occasion de la visite présidentielle à Pékin pourrait être le prélude à une coopération économique renforcée, une coopération qui irait jusqu’à la vente de centrales nucléaires chinoises aux Philippines.

Avec une économie en forte croissance, les Philippines ont besoin d’investir dans la production d’énergie. Sur la scène internationale, au sein des conférences sur le changement climatique, le gouvernement philippin est un ardent avocat de la réduction des gaz à effet de serre, mais, sur la scène domestique, la situation est légèrement différente. Pour répondre aux besoins d’une économie et d’une population en forte croissance, les pouvoirs publics ont fait porter l’accent, ces dernières années, sur les énergies renouvelables et, de fait, la géothermie, les installations hydroélectriques et d’autres procédés tels la biomasse, l’éolien et le solaire fournissent aujourd’hui près de 30 % de la production électrique. Mais le plan de 2011 de l’ancien président Benigno Aquino prévoyant d’atteindre 50 % d’électricité produite à partir de sources renouvelables à l’horizon 2030 ne sera pas réalisé, font valoir les spécialistes du secteur. Sur le terrain, les autorisations de nouvelles centrales thermiques au charbon se multiplient, tandis que, désormais, le nucléaire est redevenu une option possible.

(eda/ra)