Eglises d'Asie – Corée du Nord
Pourquoi la plupart des Nord-Coréens réfugiés en Corée du Sud se convertissent-ils au protestantisme ?
Publié le 29/10/2015
… de l’aide de réseaux de passeurs chrétiens, catholiques parfois, protestants le plus souvent. Une fois en Corée du Sud, ces réfugiés choisissent bien souvent de se convertir au christianisme et rejoignent une communauté protestante.
Le chercheur sud-coréen Jung Jin-heon s’interroge dans le texte ci-dessous sur les raisons de ce choix pour le protestantisme. Jung Jin-heon est anthropologue ; le titre de sa thèse était « Free to Be: North Korean Migrants and South Korean Evangelical Church ». Chercheur à Göttingen, en Allemagne, au département pour l’Etude de la diversité ethnique et religieuse du Max Planck Institute, il vient de publier, en septembre dernier, Migration and Religion in East Asia: North Korean Migrants’ Evangelical Encounters (éd. Palgrave MacMillan). Son texte a été publié le 14 octobre 2015 sur les fils de l’agence Ucanews ; sa traduction en français est de la rédaction d’Eglises d’Asie.
La plupart des Nord-Coréens qui ont trouvé refuge en Corée du Sud se disent chrétiens, au sens de membres d’une communauté protestante. Des sondages réalisés au milieu des années 2000 indiquent que, parmi ceux qui ont réussi à gagner la Corée du Sud, près de trois Nord-Coréens sur quatre se déclarent chrétiens, l’écrasante majorité d’entre eux se disant protestants.
Les études montrent aussi que les migrants ayant réussi à passer de l’autre côté de la zone démilitarisée entre les deux Corées, continuent de dépendre de l’aide logistique apportée par les Eglises et les communautés chrétiennes pour s’intégrer à la société sud-coréenne.
On peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé ces personnes ayant fui leur pays à choisir le protestantisme plutôt qu’une autre Eglise ou une autre religion.
Les origines de ces conversions massives au protestantisme remontent à une vingtaine d’années en arrière lorsque la famine des années 1995-1996 a tué un demi-million de personnes en Corée du Nord. Fuyant par dizaines de milliers vers la Chine, franchissant la frontière, les premiers mots chinois que ces Nord-Coréens apprenaient, une fois en Chine populaire étaient « jiaohui », ce qui signifie ‘église’.
La plupart étaient attirés par les croix brillamment éclairées qui trônent au sommet de bon nombre d’édifices dans les villes chinoises proches de la frontière, notamment dans la préfecture de Yanbian, peuplée majoritairement de Chinois ethniquement coréens. Pour passer la frontière, il suffit de franchir le fleuve Tumen, souvent peu profond et relativement facile à traverser.
Ces réfugiés étaient en quête de nourriture et de vêtements secs. Beaucoup ont poussé la porte de ce qui leur semblait être des refuges sûrs et accueillants. La nourriture y était abondante mais les règles strictes : chauqe jour, l’étude de la Bible était au programme. Il était demandé à certains de repartir en Corée du Nord pour y mener un travail missionnaire, par exemple de diffuser des bibles afin de faire pénétrer l’Evangile au cœur de ce qui est très certainement le pays le plus fermé de la planète. Les risques encourus étaient très réels et ceux qui étaient pris étaient condamnés à des peines de camps de haute sécurité, dont on ne revient pas ou presque ; des rapports ayant fait état d’exécutions capitales.
Parmi ceux qui ne retournaient pas en Corée du Nord mais qui restaient en Chine, certains ont travaillé et étudié pendant plusieurs années, notamment à Yanji, principale ville de la préfecture de Yanbian. D’autres ont continué leur chemin vers d’autres grandes villes de Chine, ou bien ont pu partir jusqu’en Mongolie ou en Asie du Sud-Est où ils ont demandé asile auprès des ambassades sud-coréennes.
Le pourcentage des Nord-Coréens qui se convertissent au protestantisme après leur fuite hors de Corée du Nord décline cependant : de 85 % dans les années de la famine de la décennie 1990, le chiffre est tombé à 75 % dans les années 2000, et il est sans doute moindre aujourd’hui.
Ceci s’explique par le contrôle plus étroit exercé par la police chinoise sur les activités missionnaires menées sur le sol chinois le long de la frontière avec la Corée du Nord – des arrestations et des expulsions ayant été rapportées. De plus, pour gagner la Corée du Sud, les réseaux de passeurs, qui étaient au départ quasi exclusivement animés par des chrétiens, se sont élargis et des Nord-Coréens ont fui sans l’aide des missionnaires, ce qui a d’autant diminué le contact entre les réfugiés et les Eglises chrétiennes. Enfin, à mesure qu’a grossi le nombre des Nord-Coréens qui ont réussi à passer au Sud, une plus grande part d’entre eux a tout fait pour faire venir en Corée du Sud les membres de leur famille restés au Nord ; ils ont fait appel pour cela à des passeurs qui agissaient plus par appât du gain que pour des motifs missionnaires ou humanitaires.
Ces évolutions n’empêchent toutefois pas que des réseaux missionnaires soient toujours actifs du côté chinois et qu’ils sont presque tous animés par des chrétiens protestants.
Une fois arrivés en Corée du Sud, le parcours des réfugiés est parfaitement balisé : ils sont envoyés au Centre d’investigation centrale où les autorités sud-coréennes s’assurent qu’ils ne sont pas des espions nord-coréens ; ils passent ensuite par le Centre de Hanawon où ils reçoivent une formation pour s’adapter à la vie en Corée du Sud. Et dans ce centre, ils ont accès à des services religieux, protestants, catholiques et bouddhistes.
Selon certains observateurs – analyses corroborées par des réfugiés nord-coréens –, les nouveaux pensionnaires du Centre de Hanawon préfèrent souvent ce qui est proposé par les organisations protestantes, tout simplement parce que le repas offert après le service dominical et les cadeaux qui leur sont distribués à cette occasion sont plus généreux que chez les autres organisations. De fait, les protestants consacrent plus de temps et d’argent à ces activités, en comparaison de ce que font les autres organisations religieuses présentes sur place.
Après un sas de trois mois au Centre de Hanawon, les Nord-Coréens reçoivent des papiers d’identité, une somme d’argent et un logement en HLM. A partir de là, ils sont sensés s’adapter à leur nouvelle vie en Corée du Sud et se faire, par exemple, à un système éducatif et un marché du travail hyper-compétitifs. Et là encore, ce sont les Eglises protestantes qui se montrent les plus actives pour venir en aide à ces nouveaux citoyens complètement perdus dans leur nouvel environnement.
Des pasteurs et des laïcs s’occupent d’eux d’un point de vue pastoral ; ils reçoivent des compensations financières s’ils viennent assister aux services religieux, aux groupes d’étude de la Bible, aux sessions de formation à l’emploi et à toute une gamme de services et de propositions diverses.
De nombreux convertis nord-coréens vont à l’église par devoir, pour témoigner de leur reconnaissance et par solidarité ; ils apprécient aussi le contact avec des personnes qui leur témoignent une réelle attention. Mais ils arrivent aussi que l’excès d’attention de la part de leurs nouveaux amis sud-coréens les effraie. Certains d’entre d’eux disent ressentir de troublantes similitudes entre les activités cultuelles au temple et l’adulation forcée à laquelle ils étaient soumis en Corée du Nord envers la dynastie des Kim. L’étude obligatoire en Corée du Nord de l’idéologie du régime, le « juche », présente, à leurs yeux, des ressemblances avec ce qui leur est demandé en Corée du Sud ; ils voient notamment dans la confession des péchés et le témoignage de vie des ressemblances avec les autocritiques qui étaient exigées d’eux en Corée du Nord.
Par ailleurs, ceux qui vivent une véritable conversion se heurtent à l’hostilité déguisée de ceux qui se convertissent par opportunisme pour recevoir un maximum d’aides ; parmi les convertis véritables, il y a aussi des ajustements délicats et difficiles lorsqu’ils réalisent que leurs prières assidues ne suffisent pas à faire cesser les privations et les persécutions pour ceux qu’ils ont laissé derrière eux, en Corée du Nord. Plutôt que de rester un citoyen de seconde zone, assisté en permanence, certains redoublent alors de zèle pour évangéliser les Nord-Coréens. En comparaison de l’Eglise catholique, plus organisée et centralisée, les communautés protestantes, du fait de leur variété et de leur autonomie propre, se montrent bien plus accueillantes à ce type de profil.
Parmi les réfugiés nord-coréens au Sud, la présence catholique est nettement moins visible. En Corée du Sud, parmi les Sud-Coréens, les protestants sont globalement deux fois plus nombreux que les catholiques, mais, parmi les réfugiés nord-coréens installés au Sud, la prédominance protestante est bien plus considérable. Selon une récente étude, seulement 1 % des réfugiés nord-coréens fréquentent régulièrement un lieu de culte catholique, même s’ils sont une majorité à dire qu’ils sont plus à l’aise avec la forme de prosélytisme moins agressive qu’ils y trouvent.
On peut donc se poser la question de ce que l’Eglise catholique pourrait apprendre des communautés protestantes et de leur succès – du moins en termes quantitatifs – auprès des Nord-Coréens ?
La Conférence des évêques catholiques de Corée [du Sud] s’est doté d’un « Comité pour la réconciliation du peuple coréen », qui est l’instance responsable au plan national pour l’aide aux réfugiés nord-coréens. L’Eglise catholique pourrait commencer par appeler des laïcs nord-coréens afin de diriger les comités diocésains pour la réconciliation du peuple coréen et les aider à travailler avec le clergé, les catéchistes et les laïcs sud-coréens. Chacun de ces comités diocésains pourrait aussi mener des campagnes afin que les catholiques sud-coréens se défassent de leurs préjugés concernant les réfugiés, à savoir que ceux-ci sont toujours soupçonnés d’être des assistés ou des espions du Nord communiste.
Comprendre les Nord-Coréens pour ce qu’ils sont en tant que personne sera toujours une meilleure solution que chercher à leur venir en aide en les comblant de cadeaux et de biens matériels. Comme tout un chacun, les Nord-Coréens tendent à préférer les personnes en fonction de ce qu’elles font, plutôt qu’en fonction de ce qu’elles disent. Une telle approche permettrait de surcroît de créer les conditions de ce à quoi la plupart des Coréens rêvent, à savoir susciter une zone de contact culturel afin de poser, à une toute petite échelle, les conditions d’une réunification entre le Nord et le Sud.
(eda/ra)