Eglises d'Asie

Le parti d’opposition choisit un catholique pour être candidat à la vice-présidence de la République

Publié le 18/11/2015




Le 16 novembre dernier, à deux mois, jour pour jour, des élections législatives et présidentielles du 16 janvier 2016, l’opposante Tsai Ing-wen, candidate du Parti démocrate-progressiste (DPP) aux présidentielles, a dévoilé le nom de celui qui sera son co-listier et briguera le poste de vice-président. Il …

… s’agit du scientifique et ancien ministre des Sciences, Philip Chen Chien-jen, une personnalité que Mme Tsai a présentée en ces termes : « C’est un catholique fervent, une personne à qui vous pouvez faire entièrement confiance. »

Sur l’île de Taiwan, dont seulement près de 300 000 habitants sont catholiques (sur une population de 23,5 millions de personnes), ce n’est pas la première fois qu’un catholique est appelé à exercer des fonctions politiques de premier plan. L’actuel président sortant, Ma Ying-jeou, qui achève un second mandat de quatre ans et qui n’est pas autorisé par la Constitution à se représenter devant les électeurs, est lui-même catholique. A la différence de Chen Chien-jen, Ma Ying-jeou n’a jamais caché qu’il n’était pas pratiquant, se contentant de rappeler qu’enfant, il avait été baptisé dans la foi catholique.

Chen Chien-jen, au contraire, ne fait pas mystère de son appartenance religieuse. Interrogé par la presse sur les raisons qui le poussaient à démissionner de la vice-présidence de la prestigieuse Academica Sinica pour se lancer en politique, Chen a répondu que sa femme et sa fille avaient prié pour lui et qu’elles avaient ressenti que Dieu l’appelait à assumer une telle fonction publique. Chen a aussi ajouté qu’il avait consulté l’archevêque de Taipei, Mgr John Hung Shan-chuan, et que celui-ci lui avait répondu que se présenter devant les électeurs n’était pas contradictoire avec la défense des valeurs défendues par l’Eglise.

Ce que confirme le prélat en ces termes : « Je lui ai rappelé que le concile Vatican II avait encouragé l’engagement des fidèles en politique afin de servir la société et d’y instiller les valeurs chrétiennes. Je lui ai aussi dit que sa candidature serait un modèle pour les 270 000 catholiques de Taiwan et encouragerait de plus nombreux fidèles à entrer en politique. »

Si Chen est élu le 16 janvier prochain, cela ne sera pas la première fois que ce médecin-chercheur, spécialiste en épidémiologie moléculaire et génomique, âgé de 64 ans, accédera aux responsabilités politiques. En mai 2003, sous la présidence Chen Shui-bian (DPP, au pouvoir de 2000 à 2008), Chen avait été nommé ministre de la Santé, notamment pour réorganiser la réponse à la crise sanitaire du SRAS, puis de 2006 à 2008, ministre des Sciences.

La presse a été prompte à interroger Chen Chien-jen sur les conséquences politiques de son appartenance religieuse. Le 18 novembre, lors d’une conférence de presse organisée par le DPP, il lui a été demandé sa position sur le mariage entre personnes du même sexe, non légalisé aujourd’hui mais à l’étude depuis quelques mois, notamment depuis qu’il a été légalisé en juin dernier aux Etats-Unis.

Chen Chien-jen a répondu en ces termes : « Dieu aime tous les hommes et c’est pourquoi il aime aussi les homosexuels. Par conséquent, je crois également que les gays ont droit de chercher le bonheur et que nous devons respecter ce droit, mais, dans la mesure où le mariage entre personnes de même sexe implique un changement de société, il nécessite des discussions approfondies avant toute prise de décision à son sujet. »

Déclaration qui a amené bon nombre de commentateurs à prédire des difficultés certaines au cas où Chen Chien-jen serait élu, Tsai Ing-wen n’ayant pas caché, de son côté, qu’elle était favorable à « une pluralité des formes de famille ».

Les élections du 16 janvier prochain se présentent comme un moment-clé de la République de Chine, devenue, depuis la fin des années 1990 et sous l’impulsion du président Lee Teng-hui, un chrétien presbytérien, une démocratie très vivante. Face à un Kuomintang, le parti nationaliste de Ma Ying-jeou, à la traîne dans les sondages, le DPP de Tsai Ing-wen est en mesure de remporter, avec ses alliés, la majorité absolue des 113 sièges du Yuan législatif (la Chambre des députés), ainsi que les deux postes de président et de vice-président. Pour autant, le DPP et Mme Tsai n’ont pas la partie gagnée. Le DPP, parti des indépendantistes, et sa présidente doivent tout à la fois continuer d’incarner l’identité taïwanaise face la Chine continentale, préserver le statu quo auquel est attachée la majorité de la population (ni indépendance, ni absorption dans la République populaire de Chine) et veiller à améliorer les conditions de vie et de participation à la vie politique d’une démocratie encore très jeune.

Pour cela, le choix de Chen Chien-jen, qui est perçu comme n’étant pas affilié à l’un ou l’autre parti politique en présence, est judicieux. Bien introduit au Vatican (il a été fait chevalier de l’Ordre du Saint Sépulcre en 2010 et de l’Ordre de Saint Grégoire le Grand en 2013), il pourra peser d’un poids bienvenu lorsqu’en cas de victoire du DPP, Pékin fera éventuellement pression sur le Saint-Siège pour que ce dernier rompe les relations diplomatiques entretenues avec Taipei. Le Vatican est en effet le seul Etat d’envergure avec lequel Taiwan entretient des relations diplomatiques et nul doute que toute rupture des liens diplomatiques entre Rome et Taipei serait perçue par l’opinion publique taïwanaise comme une défaite de l’équipe au pouvoir.

(eda/ra)