Eglises d'Asie – Singapour
Singapour autorise les jeux de hasard et les paris en ligne, les responsables religieux s’inquiètent
Publié le 29/11/2016
« Tout en partageant les appréhensions de beaucoup de Singapouriens concernant les implications morales et sociales des jeux d’argent, en particulier sur les familles de par l’intrusion imminente d’un vice potentiel dans l’espace sacré de nos foyers, je souhaite saisir cette occasion pour vous rappeler les enseignements de l’Eglise concernant les jeux d’argent et vous informer de nos engagements auprès des autorités sur cette question », explique Mgr Goh dans l’introduction de sa lettre. Il continue son message en citant le Catéchisme de l’Eglise catholique, au paragraphe n° 2 413 : « Les jeux de hasard (jeu de cartes, etc.) ou les paris ne sont pas en eux-mêmes contraires à la justice. Ils deviennent moralement inacceptables lorsqu’ils privent la personne de ce qui lui est nécessaire pour subvenir à ses besoins et à ceux d’autrui. » L’archevêque exprime ensuite ses préoccupations par rapport aux effets néfastes possibles d’une « culture du jeu » qui pourrait s’emparer des Singapouriens.
L’attitude paradoxale du gouvernement singapourien vis-à-vis des jeux d’argent
Le gouvernement de Singapour a depuis quelques années adopté une approche pragmatique dans sa gestion des jeux d’argent. Déjà en 2005, il avait autorisé la construction de deux casinos dans la cité-Etat, ce qui n’avait pas été sans susciter une désapprobation générale de la part des autorités religieuses. A l’époque, le Premier ministre Lee Hsien Loong avait paradoxalement invité les institutions religieuses à se joindre à l’action du gouvernement pour limiter l’impact social de sa décision. Les considérations économiques avaient primé, et il est vrai que depuis l’ouverture de ces casinos en 2010, le nombre de touristes à Singapour est en nette progression, mais en parallèle, le nombre de personnes demandant à être soignées contre la dépendance aux jeux d’argent a doublé depuis 2010.
Singapour reste un des pays les plus joueurs au monde, en deuxième position derrière l’Australie, avec des citoyens perdant en moyenne 1 189 $ de Singapour (788 €) par personne chaque année. Depuis le 25 octobre dernier pour Singapore Pools et depuis le 15 novembre pour Singapore Turf Club, il suffit d’avoir au moins 21 ans et de s’inscrire personnellement auprès d’un des bureaux de ces deux opérateurs nationaux pour pouvoir jouer en ligne à la loterie ou parier sur des compétitions sportives telles que la Formule 1, le football ou les courses de chevaux… Le ministre du Développement social et de la Famille, Tan Chuan-Jin, a déclaré que l’objectif était de fournir un « espace plus sûr » aux joueurs en ligne, afin d’éviter de passer par des sites de jeux illégaux, souvent liés à des activités criminelles.
Des institutions religieuses vigilantes
Le sujet est visiblement très sensible pour les institutions religieuses, qui d’une part ne veulent pas encourager ce qu’elles considèrent comme un vice, mais d’autre part veulent éviter toute tension avec le gouvernement qui a pris le temps de les rencontrer avant de prendre sa décision. Le Conseil religieux islamique de Singapour (MUIS) a ainsi fait part de ses inquiétudes. « Les parents devraient éduquer leurs enfants aux dangers des jeux en ligne et même s’inscrire pour s’exclure volontairement de toute activité de jeux d’argent autorisés sur le Net », conseille le MUIS (1). « L’islam interdit fermement les jeux d’argent car ils peuvent affecter potentiellement toute la famille et la communauté », ajoute l’organisation musulmane. Le Conseil national des Eglises de Singapour (organisme représentant les principales dénominations protestantes), qui avait jusqu’ici une position très claire contre l’autorisation des jeux en ligne, a mis de l’eau dans son vin en déclarant récemment : « Nos représentants ont eu une discussion importante et franche avec le ministère de l’Intérieur et le ministère des Affaires sociales et familiales. Le gouvernement est disposé à renforcer de manière proactive l’environnement familial et social afin de prévenir et d’atténuer les conséquences néfastes du jeu en ligne. » De même, Mgr Goh explique dans sa lettre pastorale : « Nous reconnaissons que les autorités ont pris soin de nous consulter, de clarifier et de nous assurer que cette mesure visant à permettre l’accès restreint aux opérateurs de jeux en ligne et à leurs services est celle qui a été prise après une étude minutieuse du contexte et en tenant compte de ce qui serait le mieux pour la société. »
L’archevêque de Singapour insiste surtout sur le fait qu’il faut rester vigilant et il invite le gouvernement à évaluer les conséquences de cette décision : « Reconnaissant que les enjeux sont élevés, l’Eglise catholique en appelle aux autorités pour surveiller de près l’efficacité de ce changement, tout en prenant toutes les mesures nécessaires pour aider ceux qui pourraient être victimes des jeux d’argent en ligne. En outre, nous avons demandé une consultation plus régulière et des mises à jour sur les conséquences de cette loi (…). En tant qu’Eglise, il nous incombe non seulement de nous opposer à tout mouvement qui menace de détruire le bien-être de nos familles, mais surtout de travailler avec les responsables pour trouver des solutions durables aux problèmes auxquels notre société est confrontée. »
Les partis d’opposition se sont exprimés contre cette nouvelle législation, et une pétition sur le Net demandant l’arrêt de la légalisation des paris en ligne a rassemblé plus de 10 000 signatures en moins de quinze jours. Certains critiques soupçonnent les autorités d’avoir mis en place cette légalisation dans une tentative d’augmenter les revenus du gouvernement, puisque Singapore Pools et Singapore Turf Club sont la propriété du gouvernement de Singapour. D’autres se sont amusés à rapprocher de façon ironique cet ‘encouragement’ aux jeux d’argent en ligne avec la récente décision du Comité international olympique de changer l’abréviation pour Singapour lors des manifestations sportives, en utilisant SGP au lieu de SIN. Le Comité national olympique de Singapour ne voyait en effet pas d’un bon œil la connotation négative du mot ‘sin’ qui en anglais veut dire ‘péché’. Etre associé à l’idée d’immoralité n’est vraisemblablement pas le message que les autorités singapouriennes souhaitent faire passer pour attirer toujours plus de visiteurs dans la cité-Etat…
(eda/fb)