Eglises d'Asie

Dix ans après le cessez-le-feu, le chemin vers la justice et la réconciliation demeure incertain

Publié le 15/12/2016




« L’accord de cessez-le-feu prévoyait de rendre justice pour les actes de maltraitance commis pendant la guerre. Il devait aboutir à l’ouverture d’enquêtes judiciaires pour connaître le sort des milliers de disparus. Mais aucun des partis politiques qui se sont pourtant succédés au pouvoir, n’a …

respecté ces engagements », a déclaré Brad Adams, directeur Asie de Human Rights Watch. Le Comprehensive Peace Accord (CPA), signé le 21 novembre 2006, a mis fin à la guerre civile qui opposait les forces gouvernementales et les rebelles maoïstes depuis 1996. Pendant ces années, plus de 250 000 Népalais ont été contraints à l’exode, 13 000 Népalais ont perdu la vie et de nombreuses personnes ont été victimes de disparitions forcées, de torture, d’exécutions extrajudiciaires ou de violences sexuelles. Dix ans après, des familles sont toujours sans nouvelles de leurs proches. La justice népalaise n’a toujours pas ouvert d’enquêtes judiciaires sur le sort des disparus, ni rendu compte des violations des droits de l’homme commises par les deux parties au conflit. « La communauté internationale et particulièrement les Nations Unies devraient faire pression sur le gouvernement népalais, afin que justice soit rendue aux victimes et aux familles de disparus », a interpellé Brad Adams.

Un contexte politique complexe et réticent

En 2006, l’accord de cessez-le-feu a également mis fin au régime monarchique et autoritaire du roi Gyanendra, créant un vide politique et institutionnel après plus de deux cents ans de régime monarchique. Avec le soutien de l’armée et des différents partis politiques, une république fédérale a été progressivement instaurée. Il faudra néanmoins attendre 2015, après une longue période de discussions et d’opposition politique, pour que le Népal se dote d’une nouvelle constitution. « Toutes ces tensions et ces divisions internes ont fait que, lorsque les partis politiques étaient au pouvoir, ils n’avaient que peu de temps à consacrer à la reconstruction et à la réconciliation nationale, trop absorbés par leurs querelles internes », analyse Prakash Khadka, coordinateur de la Caritas Nepal et militant pour la paix et les droits de l’homme.

Depuis début août 2016, c’est un ex-rebelle maoïste, Pushpa Kamal Dahal, qui est Premier ministre, poste qu’il avait déjà occupé de 2008 à 2009. Sa nomination ne devrait pas contribuer à accélérer la démarche nationale de recherche de justice et de réconciliation. En effet, depuis la fin de la guerre, lorsque les différents partis politiques népalais accèdent au pouvoir, ils cherchent plutôt à freiner tout processus de justice et réconciliation, afin d’éviter que certains membres de leur parti, impliqués dans des exactions de la guerre civile, ne se retrouvent devant les tribunaux.

Une société civile qui a soif de justice et de vérité

En 2015, une Commission ‘Vérité et Réconciliation’ ainsi qu’une Commission sur les disparitions forcées ont bien été constituées, mais elles n’ont toujours pas été validées par la Cour suprême, qui a déjà rejeté ces projets à deux reprises. Les lois régissant ces deux commissions autorisent, entre autres choses, l’amnistie pour certains crimes, donnant une possibilité aux criminels d’échapper à la justice, sans pour autant reconnaître le droit à réparation des victimes, ce qui a suscité de vives critiques internationales, notamment de la part du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).

En mai 2016, l’ancien Premier ministre Khadga Prasad Oli, sans tenir compte de l’avis de la Cour suprême népalaise ou des Nations Unies, a signé un accord avec les différents partis politiques, afin de retirer toutes les plaintes judiciaires en lien avec la guerre civile. Cet accord a également permis d’amnistier des personnes présumées coupables de crimes de guerre. En septembre 2016 pourtant, selon des sources proches du dossier, les deux commissions avaient déjà recueilli près de 59 000 plaintes, signe du besoin et de la volonté de la société civile népalaise de faire la lumière sur ces dix années de violences, malgré les fortes réticences des milieux politiques népalais.

Nanda Prasad Adhikari s’est battu en vain jusqu’à mourir d’épuisement après une grève de la faim de 333 jours, pour que justice soit faite après l’assassinat de son fils durant la guerre civile. Sa femme, Ganga Maya, continue le combat par une grève de la faim. « La guerre a été très violente et les responsables politiques ne doivent pas oublier que les injustices se doivent d’être réparées. Ils ne peuvent balayer d’un revers les crimes de guerre. Bien au contraire, ils ont à répondre des promesses courageuses prises lors du cessez-le-feu », a affirmé le responsable Asie de Human Rights Watch.

Selon Prakash Khadka, des indemnités gouvernementales ont été versées à des victimes fictives, actuellement en responsabilité politique, alors que des victimes éligibles à ces indemnités se sont vu voler leurs bons de compensation par des personnes influentes. D’autres victimes, vivant dans des régions reculées, n’ont pas reçu d’indemnités compensatoires, faute d‘habiter dans un village proche d’un centre de distribution ou tout simplement parce qu’elles n’ont pas été informées de leur droit à être indemnisées.

L’enjeu de la réinsertion sociale des anciens soldats maoïstes

Dix ans après le cessez-le-feu, un succès relatif mérite pourtant d’être souligné, celui de la réinsertion d’anciens enfants soldats, enrôlés au sein des forces maoïstes pendant la guerre civile. En 2010, selon Human Rights Watch, près de 3 000 enfants soldats ont ainsi pu être réinsérés dans la société civile népalaise, grâce à des programmes gouvernementaux soutenus par les Nations Unies.

Néanmoins, l’enjeu de réinsertion des anciens soldats maoïstes de l’Armée de libération du peuple (People’s Liberation Army) dans la société ou l’armée népalaise reste, encore aujourd’hui, un enjeu de taille. Si plus de 32 000 combattants maoïstes ont été enregistrés auprès de l’ONU, moins de 1 500 d’entre eux ont rejoint l’armée népalaise, tandis que plus de 15 000 anciens soldats ont préféré quitter l’armée, profitant d’un plan volontaire de départ à la retraite, en échange d’une aide financière allant de 4 700 à 7 500 euros en fonction de leur grade. Les anciennes femmes soldats, qui au sein de l’Armée de libération du peuple étaient sur un pied d’égalité avec les hommes, trouvent difficiles de retrouver le rôle traditionnel de femme au foyer, après avoir goûté à la liberté et à l’égalité au sein de l’armée maoïste.

Au quotidien, la réintégration dans la société civile des anciens rebelles maoïstes est loin d’être simple. Beaucoup d’entre eux, encouragés par la doctrine communiste à mettre fin aux discriminations sociales, avaient contracté des mariages inter-castes. Dix ans après la fin de la guerre civile, il reste difficile pour ces anciens soldats de reprendre une vie familiale et communautaire normale, d’autant plus que les discriminations inter-castes perdurent. Dans beaucoup d’endroits encore, les anciens rebelles maoïstes restent perçus comme des personnes dangereuses et sont régulièrement stigmatisés.

Enfin, de nombreux chefs rebelles maoïstes qui n’ont pas réintégré véritablement la société civile restent une menace réelle pour le Népal, car ils sont facilement mobilisables par de nouvelles factions rebelles. « Il y a deux ans, j’ai rencontré un ancien membre de la PLA. Il a survécu à la guerre malgré de nombreux impacts de balles sur le corps. Il m’a confié que n’étant pas satisfait de l’issu du conflit, il venait de rejoindre une faction maoïste pour reprendre les armes et préparer une nouvelle révolution », a confié Prakash Khadka. « La paix n’est pas uniquement l’absence de guerre. Tout processus de paix se doit de prendre en compte toutes les situations économiques et socio-culturelles des Népalais. (…) Personne ne doit se sentir exclu du processus de justice et réconciliation », a rappelé ce militant pour la paix et les droits de l’homme.

(eda/nfb)