Eglises d'Asie – Inde
« L’intouchabilité dans l’Eglise et la société : un péché » – L’Eglise catholique s’engage à combattre et à mettre fin à toute discrimination envers les dalits
Publié le 20/12/2016
… historique visant à mettre fin aux discriminations auxquelles sont confrontés les dalits ».
« Pratiquer l’intouchabilité dans l’Eglise et la société est un péché », a déclaré devant la presse le cardinal Cleemis, chef de l’Eglise syro-malankare (l’une des trois composantes de l’Eglise catholique en Inde) et président de la Conférence des évêques catholiques d’Inde (CBCI). Au quotidien Indian Express, le cardinal a confié : « C’est une démarche révolutionnaire. Nous reconnaissons que [les discriminations fondées sur l’appartenance de caste] sont un péché social grave, une question et un problème. D’un point de vue chrétien, c’est un péché. Notre démarche est un pas visant à mettre fin à toute discrimination au sein de l’Eglise. C’est donc à la fois un message et un appel à l’introspection. »
Un document « historique »
Long de 44 pages, le document publié par les évêques est sans détour : sur une communauté catholique estimée à 19 millions de fidèles, 12 millions sont d’origine dalit ; or, dès lors qu’il est question de « leur participation dans les instances de direction des administrations diocésaines ainsi que dans celles des congrégations religieuses, leur présence est minimale ; aux plus hauts échelons, elle est même presque nulle ». Ce constat posé, le document revêt une forme programmatique : tous les diocèses de l’Eglise en Inde sont appelés à préparer « des plans à court et long termes » pour permettre « la pleine inclusion » et la promotion des dalits au sein même de l’Eglise.
Toutes les paroisses dans chacun des quelque 171 diocèses que compte l’Eglise catholique en Inde devront mettre en place des programmes pour favoriser l’accès à l’éducation des dalits, promouvoir leur accès à la prêtrise et à la vie consacrée, y compris pour les intégrer dans les instances décisionnaires de l’Eglise. Les besoins spécifiques des dalits en terme de liturgie devront également être « adressés », précise encore le document épiscopal. Les femmes dalits et les enfants dalits devront ainsi avoir un accès privilégié aux lieux de culte, et des programmes devront être organisés pour promouvoir l’accès à l’emploi, à la création d’entreprise des dalits ainsi qu’à l’engagement politique
L’effort de promotion des dalits devra être général. Dans les séminaires diocésains comme religieux, il est constaté « une représentation inadéquate en terme de nomination aux postes clés ou pour ce qui concerne le partage des ressources ». « Des efforts doivent être entrepris pour remédier à cette situation étant donné l’importance de pouvoir compter sur de bons prêtres pour la mission de l’Eglise », peut-on lire dans le document. Dans l’accès à l’éducation et aux études supérieures, « si un candidat possède le niveau requis, le seul fait qu’il soit dalit le place en situation d’infériorité. Cet état d’esprit est contraire à l’essence même du message chrétien, qui affirme que toute personne humaine est créée à l’image de Dieu. Si l’usage du mot caste peut être justifiée dans l’hindouisme, la simple association des mots caste et chrétien est contradictoire », est-il affirmé dans le document.
« Tolérance zéro » envers les discriminations visant les dalits
Selon le P. Z. Devasagayaraj, secrétaire du Bureau de la Conférence épiscopale en charge des dalits (CBCI Office for Scheduled Castes and Backward Classes), ce n’est pas la première fois que l’Eglise en tant qu’institution s’engage pour la cause des dalits et la lutte contre les discriminations à leur encontre, mais le document dévoilé ce 13 décembre « est le plus complet à ce jour en ce qu’il cherche à mettre en place des actions concrètes sur le terrain ». Son bureau sera d’ailleurs chargé de veiller à ce que chaque diocèse se dote d’un plan d’action spécifique avec des équipes pour « veiller à leur mise en œuvre et à leur évaluation ».
Secrétaire général de la CBCI, Mgr Theodore Mascarenhas a précisé que l’Eglise appliquerait désormais « une politique de tolérance zéro » en matière de discrimination vis-à-vis des dalits. Il a aussi ajouté qu’une étude détaillée sera très prochainement menée pour comprendre les pratiques qui ont cours dans l’Eglise et préconiser des moyens de lutte contre les discriminations aux plans paroissial, diocésain, régional et national.
C’est bien la première fois que cette lutte contre les discriminations visant les dalits est étendue de manière aussi officielle au sein de l’Eglise catholique. En mai dernier, le même cardinal Cleeemis avait déjà reconnu que « l’Eglise n’en avait pas fait assez pour les dalits dans les sphères économique, sociale et religieuse ». Connu à titre personnel pour son engagement en faveur de la promotion de ceux qu’on désignait autrefois d’« intouchables » (1), le cardinal avait reconnu que l’Eglise « avait encore du chemin à parcourir » pour que les pratiques discriminatoires à l’encontre des dalits soient éradiquées au sein même de l’Eglise (2).
Douze évêques dalits sur un total de 240 évêques
De fait, si les chrétiens représentent une minorité d’environ 27 millions de personnes en Inde (2,3 % de la population du pays), ils se distinguent du reste de la population par le fait que 70 % d’entre eux appartiennent soit à la communauté dalit soit aux populations aborigènes (tribals). Or, à l’échelle de la nation, les dalits représentent 18,46 % des 1,3 milliard d’Indiens, et les aborigènes environ 11 % de la population. Cette surreprésentation des dalits parmi le peuple chrétien ne se retrouve pas au sein du clergé ni de l’épiscopat. Sur les 240 évêques que compte la CBCI, seulement douze d’entre eux sont d’origine dalit, soit 5 % du collège épiscopal catholique.
Le document publié par l’épiscopat indien intervient dans un contexte où l’Eglise se trouve exposée à des pressions de plus en plus fortes sur la question dalit. En juin dernier, un groupe de dalits chrétiens a déposé, sous la bannière du Dalit Christian Liberation Movement, une plainte au centre d’information des Nations Unies à Delhi ; la plainte vise le Vatican, la CBCI étant accusée de masquer l’ampleur du problème dalit dans ses échanges avec le Saint-Siège. Les auteurs de la plainte reprochent notamment à la hiérarchie catholique de se livrer à des discriminations fondées sur les origines de castes « au sein des institutions administratives, éducatives et spirituelles » de l’Eglise ; ils reprochent notamment au Vatican d’entériner les candidats à l’épiscopat proposés par la CBCI, sans se rendre compte du rôle majeur joué par l’appartenance de caste dans les recommandations formulées par les évêques indiens.
Selon certains analystes indiens, la pression ne vient pas que de l’intérieur de l’Eglise et des mouvements de dalits chrétiens. L’activisme politique de la droite nationaliste hindoue, au pouvoir à New Delhi, au plan fédéral, explique aussi la mise en mouvement des évêques. Membre du Dalit Resource Center, basé à Madurai, au Tamil Nadu, le chercheur Ambuselvam, dalit lui-même, souligne que « si les chrétiens dalits se montrent plus disposés à revendiquer leurs droits, la droite hindoue n’est pas inactive et se place en embuscade : si le christianisme ne se montre pas capable de réaliser la promesse de non-discrimination inscrite dans le message évangélique, la droite hindoue dispose d’un boulevard pour tenter d’exploiter la frustration des chrétiens dalits ».
Quant à la question de savoir pourquoi il aura fallu attendre si longtemps avant que l’Eglise de l’Inde ne se saisisse au plus haut niveau de la question dalit, le professeur Stalin Rajangam, dalit, enseignant à l’American College de Madurai, indique que les partis laïques en Inde ont toujours été réticents à critiquer les minorités de peur que celles-ci s’en trouvent affaiblies et que de telles critiques ne fassent le jeu des formations politiques nationalistes, qui s’appuient sur la majorité hindoue de la population indienne.
Pour le P. Vincent Manoharan, responsable du National Dalit Christian Watch, quels que soient les manquements de l’Eglise jusqu’à aujourd’hui en matière de lutte contre les discriminations, « l’important est que ce document existe et que, désormais, chacun puisse s’y référer pour dénoncer l’éventuelle absence de progrès en matière de promotion des dalits dans l’Eglise ». Une note optimiste à laquelle fait écho la remarque de J. Amirthalenin, militant dalit au sein du Loyola College de Chennai (Madras) : « Il y a un peu plus de dix ans, le Conseil des évêques du Tamil Nadu avait publié un document assez similaire, qui contenait notamment des mesures relatives à la mise en place de quotas pour les dalits dans l’Eglise. Mais rien n’a changé. »
(eda/ra)