Eglises d'Asie

Retour de la peine de mort : l’Eglise s’inquiète que le pays devienne « la capitale mondiale » des exécutions

Publié le 20/12/2016




Les Philippines pourrait prochainement rétablir la peine de mort, projet cher au président Rodrigo Duterte. Un texte de loi est en discussion à la Chambre des représentants et pourrait être adopté d’ici le mois de janvier prochain. L’Eglise catholique philippine dénonce un projet « barbare ».

Suspendue en 2006, la peine capitale pourrait être réintroduite dans le cadre de la lutte anti-criminalité et la guerre antidrogue qui a tué au moins 5 300 personnes en six mois, tombées sous les balles de la police ou d’escadrons de la mort jamais inquiétés par les autorités. La pendaison comme mode d’exécution serait privilégiée, afin d’éviter de « gaspiller des minutions », selon les dires mêmes du président. A peine élu à la tête du pays, en mai dernier, Rodrigo Duterte avait même évoqué un quota de 50 pendaisons par mois, voire cinq ou six par jour. L’épiscopat catholique avait aussitôt protesté, comme il le fait systématiquement depuis le moratoire sur les exécutions capitales décrété en 2001.

Un pays en passe de devenir « barbare »

« On a déjà eu la peine de mort mais il ne se passait rien, a dernièrement justifié le président philippin. Redonnez-la moi, et tous les jours je la ferai appliquer en faisant exécuter cinq ou six criminels. C’est pour de vrai. »

« Notre pays sera considéré comme vraiment barbare, s’est indigné P. Jerome Secillano, à la tête de la Commission épiscopale pour les Affaires publiques, dans une interview à l’AFP. Les Philippines deviendront la capitale mondiale de la peine de mort. »

« La vie est un don précieux. C’est un cadeau de Dieu. Nul être humain n’a le droit de tuer », a défendu Mgr Dinualdo Gutierrez, évêque de Marbel, diocèse de Mindanao. Ancien président de la Conférence des évêques philippins, Mgr Oscar Cruz s’est dit pour sa part « attristé » par des propos présidentiels prononcés « en particulier à ce moment de l’année où nous fêtons la naissance du Christ ».

Dans une lettre adressée ce mois-ci au Congrès philippin, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a indiqué que le rétablissement de la peine de mort constituerait une violation des obligations internationales du pays. « Etablir un quota d’exécutions, mais où va-t-on ? Une seule mort, c’est toujours une mort de trop car il s’agit avant tout de vies humaines », a pour sa part dénoncé Romeo Cabarde, vice-président d’Amnesty International aux Philippines. « La peine capitale est une fausse solution miracle, a aussi affirmé le P. Jerome Secillano. Le gouvernement rechigne à réformer en profondeur le système pénal. »

Des évêques à contre-courant de l’opinion majoritaire

« C’est une solution de facilité pour les paresseux », a déclaré l’actuel président de la Conférence des évêques philippins, Mgr Socrates Villegas, appelant plutôt à aider ceux qui ont commis des erreurs à se réformer. L’archevêque de Lingayen-Dagupan a ajouté que la méthode présidentielle était contre-productive en l’absence d’un système judiciaire performant. « Faites le ménage dans les rangs de la police ! Rétablissez l’ordre dans tous les tribunaux ! », a-t-il demandé avec force, évoquant ainsi la corruption et l’inefficacité de l’appareil policier et judiciaire philippin.

« Nous ne nous opposons pas simplement pour nous opposer. Nous protestons avec une alternative : réformer la justice », a poursuivi le président de la Conférence épiscopale, sachant pertinemment que le président Duterte demeure très populaire dans le pays en dépit des critiques suscitées sur la scène internationale par les méthodes expéditives utilisées dans sa guerre contre la drogue.

Selon le P. Robert Reyes, les parlementaires à être opposés à la restauration de la peine de mort sont nombreux. « Mais le problème vient précisément de notre manière de faire de la politique ! », explique-t-il, avant de dénoncer les « petits arrangements » et les « compromis » de ceux qui insinuent déjà qu’il sera difficile pour eux de s’opposer à la volonté présidentielle « car ils doivent survivre au plan politique ».

La restauration de la peine de mort a été la première proposition de loi examinée à la Chambre des représentants après les élections générales de mai dernier. Au Sénat, la restauration de la peine de mort est défendue par Manny Pacquiao, multi-champion du monde de boxe, ancien député et catholique devenu chrétien évangélique (born-again). « Pour moi, la peine de mort est un châtiment juste pour un crime commis par une certaine personne. Vous commettez un crime, vous devez donc en payer le prix. Mais la punition doit être proportionnelle au crime commis », a déclaré le boxeur, une star aux Philippines. Pour le sénateur, la peine de mort est justifiée aussi bien par le droit que dans la Bible.

(eda/md)