Eglises d'Asie

« La persécution de la communauté musulmane au nom de la protection des vaches relève d’un agenda politique »

Publié le 13/10/2015




Le 28 septembre dernier, le musulman Mohammad Akhlaq a été lynché à mort par des hindous qui lui avaient faussement reproché d’avoir consommé de la viande de bœuf. L’incident a eu lieu à Dadri, une ville de l’Etat d’Uttar Pradesh. Depuis, les tensions communautaires entre hindous et musulmans se …

… cristallisent sur la question du bœuf, la vache étant considérée comme un animal sacré dans la religion hindoue. D’un côté, les partisans de l’hindutva, l’idéologie nationaliste hindoue, militent depuis des années pour une prohibition totale de l’abattage des vaches et de la consommation de la viande bovine. De l’autre, les tenants de la laïcité (secularism) considèrent ce projet comme une atteinte aux libertés fondamentales.

Pour Eglises d’Asie, Vanessa Dougnac et William de Tamaris ont interviewé, le 9 octobre à Delhi, Zafarul Islam Khan, président de All India Muslim Majlis-e Mushawarat (AIMMM), organisation qui rassemble différents groupes d’obédience musulmane en Inde.

Eglises d’Asie : Vous représentez une partie de la minorité musulmane (14,2 % de la population indienne), qui n’a pas caché son inquiétude face à l’influence croissante des nationalistes hindous, depuis l’arrivée au pouvoir, en mai 2014, de l’un des leurs, le Premier ministre Narendra Modi. Comment interprétez-vous cette « guerre du bœuf », ravivée par l’incident de Dadri ?

Dr Zafarul Islam Khan : La persécution de la communauté musulmane au nom de la protection des vaches relève d’un agenda politique. Les émeutes et les massacres qui éclatent régulièrement font partie de la stratégie bien huilée du Sangh Parivar [« famille » de l’extrême-droite hindoue qui décline plusieurs organisations, comme la matrice fondamentaliste du RSS (le Rashtriya Swayamsevak Sangh, Corps national des volontaires) ou encore son aile politique, le Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), le parti au pouvoir au plan fédéral – NDLR].

La stratégie du Sangh Parivar consiste à polariser la société hindoue sur l’enjeu de la protection des vaches de façon à obtenir des gains politiques et électoraux. L’électeur hindou va ainsi avoir tendance à croire que seuls les leaders de cette mouvance sont capables de défendre ses intérêts et que les musulmans sont des ennemis. En Inde, cela fait longtemps que cette stratégie est à l’œuvre. Mais maintenant que le BJP est à la tête du pays, les partisans de la ligne nationaliste se sentent enhardis.

Pourtant, il faut rappeler les faits : mis à part quelques cas isolés, les musulmans ne consomment pas de viande bovine. Dans le cas où un tel incident surviendrait, les fondamentalistes hindous ne devraient avoir aucune légitimité pour rendre eux-mêmes justice. Au cas où la loi de l’Etat prohibe l’abattage des bœufs, ils doivent porter plainte. Les musulmans les plus pauvres consomment généralement de la viande de buffle, parfois désignée comme « viande de bœuf », d’où des situations confuses et parfois dramatiques.

Jusqu’où vont les activités des organisations liées à l’hindutva ? Peuvent-elles agir dans l’illégalité et l’impunité ?

C’est le cas. A commencer par l’existence d’un courant terroriste pro-hindou : on se souvient d’une série d’attentats, notamment les bombes devant la mosquée de Malegaon en 2006, l’attentat du train de l’amitié entre l’Inde et le Pakistan en 2007, l’attaque du lieu saint du soufisme, Ajmer Dargah, également en 2007, etc.

Le modus operandi est identifiable. Des émeutes et des meurtres sont encouragés en laissant gonfler des rumeurs. Les radicaux hindous provoquent aussi les musulmans en organisant des processions hindoues devant les mosquées, ou en diffusant de la musique par haut-parleurs à l’heure de la prière. Ils montent de toute pièce de fausses théories, comme celle, délirante, du « Love Jihad » [les jeunes musulmans tenteraient de séduire des femmes hindoues pour les convertir à l’islam, ndlr]. Cette théorie, par exemple, est très efficace pour capter l’intérêt des hindous et les crisper.

En réalité, de nombreux militants pro-hindous sont de petits gangsters et des hommes de main mafieux utilisés pour terroriser les gens. Il suffit de regarder les listes électorales que le BJP propose dans l’Etat du Bihar, à l’occasion des élections législatives qui se déroulent en ce moment (1) : les candidats BJP ont des casiers judiciaires longs comme le bras.

Comment expliquez-vous la résurgence de ce phénomène de la « guerre du bœuf » ?

La bataille autour du bœuf n’est pas nouvelle. Pour la comprendre, il faudrait remonter à l’époque qui précède la partition. Par ailleurs, lors des émeutes qui ont suivi l’Indépendance de l’Inde et du Pakistan, en 1947, le RSS a joué un rôle actif dans les violences antimusulmanes. La majorité des musulmans de la région du Pendjab a alors choisi l’exil vers le Pakistan. Le RSS croit en la violence comme outil politique pour atteindre ses objectifs. De nombreuses commissions gouvernementales ont mis en lumière le rôle du RSS dans les émeutes religieuses qui agitent notre pays.

Narendra Modi a attendu plus de dix jours pour réagir face au meurtre de Mohammad Akhlaq. Son silence initial a suscité l’inquiétude des minorités en Inde, qui craignent la mise en vigueur d’une politique résolument pro-hindoue. Comment voyez-vous la situation ?

L’abattage de bœuf ou de vache n’est pas un problème crucial en Inde. Cette question est manipulée pour diviser la société et séduire les électeurs. Dans les Etats dirigés par un gouvernement BJP, l’interdiction ne concerne plus seulement les vaches, mais elle est en train d’être étendue à tous les bovidés : les veaux et les taureaux, par exemple. Les nouvelles lois autorisent la police à perquisitionner à n’importe quel moment votre cuisine pour contrôler la viande que vous êtes en train de manger. Mais, sans équipement ni procédure de contrôle, comment pourront-ils différencier la viande de bœuf, prohibée, de celle du buffle, autorisée ?

Comment la communauté musulmane entend-elle faire face à ces problèmes ?

Nous nous battrons sur un plan politique et juridique pour faire respecter nos droits.

(eda/vd)