Eglises d'Asie

Relance du débat sur la carte d’identité religieuse

Publié le 07/01/2014




« Il est temps qu’en Indonésie la mention de l’appartenance religieuse soit retirée de la carte d’identité, c’est une pratique discriminatoire », a déclaré le 13 décembre dernier, lors d’une conférence de presse, Basuki ‘Ahok’ Tjahaja Purnama, vice-gouverneur du district de Djakarta et chrétien militant. 

Ces propos, repris par la plupart des médias locaux, ont immédiatement relancé le débat qui agite l’Indonésie depuis des années, et dont le dernier épisode a été le récent rejet d’un amendement devant la Chambre des représentants (Dewan Perwakilan Rakyat – DPR) le 26 novembre dernier.

Selon la loi actuellement en vigueur en Indonésie, chaque citoyen doit mentionner sur sa carte nationale d’identité (KTP), son appartenance à l’une des six religions reconnues par l’Etat (islam, protestantisme, catholicisme, hindouisme, bouddhisme ou confucianisme). Il existe également une septième possibilité (s’inscrire sous l’intitulé « autre »), laquelle est cependant peu choisie car elle expose le titulaire à de prévisibles discriminations.

Cette obligation a conduit des millions d’Indonésiens suivant des cultes non reconnus officiellement (1) ainsi que les membres de communautés religieuses stigmatisées (comme certains chrétiens dans des régions fortement islamisées), à se déclarer musulmans, la religion dominante du pays, afin notamment d’avoir accès à des emplois dans la fonction publique et à d’autres services dont ils sont souvent écartés (soins, éducation, etc).

‘Ahok’ Tjahaja Purnama, originaire du sud de Sumatra, est devenu, depuis son élection à la surprise générale en 2012 à ce poste à haute responsabilité, une figure dominante de la vie politique indonésienne. Etant tout à la fois chrétien protestant et membre de la minorité chinoise – un handicap dans un pays où l’hostilité envers les Sino-Indonésiens peut être très forte – , Ahok a gravi tous les échelons de la carrière politique avec un programme de lutte anti-corruption.

Bien que contesté régulièrement par les islamistes qui lui reprochent son appartenance à la religion chrétienne, il bénéficie cependant du soutien sans faille du gouverneur de Djakarta, Joko Widodo, qui réaffirme régulièrement  avoir « choisi ‘Ahok’ pour ses mérites », tout en se réservant le traitement des Affaires religieuses islamiques.

« Si la tolérance est la clef de la liberté religieuse, a expliqué Basuki Tjahaja Purnama au quotidien Kompass, il faut, en vue de la future croissance de l’Indonésie, avoir le courage de modifier un système désormais obsolète. » L’abolition de cette pratique, a-t-il poursuivi, permettra de garantir enfin l’égalité entre les citoyens indonésiens et d’éliminer les discriminations que subissent fréquemment les non-musulmans, y compris dans les écoles et les emplois du service public.

Avouant considérer lui-même que la mention de sa religion sur sa carte d’identité représentait une atteinte à sa vie privée, le vice-gouverneur a fait remarquer que ce système était excessivement rare dans les autres pays.

Etant donné le grand nombre de citoyens se déclarant ‘musulmans’ depuis l’époque de Suharto (2) par crainte de subir des violences ou des discriminations, la suppression de l’indication de la religion sur la carte d’identité pourrait redéfinir complètement le paysage religieux de l’Indonésie aujourd’hui, analyse encore le Jakarta Post dans son édition du 14 décembre 2013.

La crainte de rendre public le véritable pourcentage de musulmans dans l’archipel, considéré à l’heure actuelle comme atteignant 86 % (3), est probablement pour beaucoup dans les vives réactions que la déclaration de Tjahaja Purnama a suscité au sein des mouvements islamistes, interprète pour sa part le 6 janvier le site américain Khabar Southeast Asia, sponsorisé par l’US Pacific Command.

Tubagus Robbyansyah, président de la section de Djakarta de la Nahdlatul Ulama, la principale organisation musulmane de masse du pays, a fait rapidement connaître son opposition aux propos du vice-gouverneur de Djakarta, affirmant être convaincu que « connaître la religion de chaque citoyen permettait tout au contraire d’être plus ouvert à la tolérance ».

Quant au vice-ministre fédéral chargé des Affaires religieuses, Nasaruddin Umar, il a déclaré que maintenir l’indication de la religion sur la carte d’identité était tout à fait indispensable et pouvait empêcher de nombreuses illégalités, dont « les mariages interreligieux illégaux ».

Cité dans une dépêche d’Eglises d’Asie le 4 décembre dernier, le rédacteur en chef du Jakarta Post réagissait  quant à lui au rejet de l’amendement de la loi fin novembre par le Parlement, par l’avertissement suivant : « Attendez-vous à ce que les discriminations et les persécutions exercées à l’encontre des minorités religieuses en Indonésie augmentent. (…) La discussion parlementaire autour de la révision de cette loi de 2004 sur l’Administration civile était cependant une occasion rêvée de corriger ce qui constitue l’une des plus énormes anomalies dans la vie de la nation depuis sa fondation, à savoir l’absence de liberté de religion, une liberté pourtant inscrite noir sur blanc à l’article 28 de la Constitution de 1945. »

(eda/msb)