Eglises d'Asie

Appel au calme après le lynchage à mort d’un musulman soupçonné de consommation de bœuf

Publié le 09/10/2015




« Ce n’est pas le moment de faire de la politique. Les politiciens peuvent venir nous voir pour partager notre douleur, mais pas pour faire de la politique », a déclaré Mohammed Sartaj Akhlaq, 24 ans, le 6 octobre dernier. Devant les caméras de la télévision locale, il a demandé …

« le retour au calme et à l’harmonie », après le lynchage de son père et de son frère, quelques jours auparavant.

Le 28 septembre dernier, dans le village de Bisahra, à une soixantaine de kilomètres au sud de la capitale fédérale New Delhi, son père, Akhlaq Ahmed, un musulman de 52 ans, a été lynché à mort par un groupe d’hindous qui le suspectaient d’avoir abattu une vache et d’en avoir consommé la viande, pendant la fête musulmane de l’Eid al-Adha (‘fête du sacrifice’).

« Un groupe d’hommes hindous a fait irruption dans la maison ; ils ont traîné mon mari et mon plus jeune fils dehors, en déclarant que nous avions stocké et mangé du bœuf dans la maison », a raconté Ikrana Ahmed, l’épouse du défunt. Les deux hommes ont été battus à coups de briques et de bâtons. « Mon mari est mort sur place et mon fils de 22 ans est toujours entre la vie et la mort », a-t-elle confié. Sa belle-mère aussi a reçu des coups au visage.

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Légende photo : Asgari Begum, mère du défunt, à l’entrée de sa maison (Manish Swarup/AP)

Ce meurtre s’est produit en Uttar Pradesh, l’un des Etats appartenant à la « Hindi Belt », le creuset hindou du pays, où, conformément aux croyances religieuses hindoues, la vache est considérée comme un animal sacré. Vingt-quatre des 29 Etats de l’Inde disposent ainsi de règlementations spécifiques encadrant l’interdiction d’abattage des bovins ou la vente de viande bovine, sous peine d’amendes. A New Dehli, par exemple, l’abattage d’une vache est puni de cinq ans de prisons et d’une amende de 10 000 roupies (136 euros). Début 2015, ce sont les Etats du Maharashtra et de l’Haryana qui ont interdit la vente de viande bovine.

En mars dernier, le ministre fédéral de l’Intérieur, Rajnath Singh, membre du BJP (Bharatiya Janata Party ou Parti du peuple indien, au pouvoir à New Delhi et défenseur de l’idéologie de l’hindutva, selon laquelle la nation indienne est dans son essence hindoue), pressait le gouvernement de s’engager vers une interdiction nationale de l’abattage et de la vente de viande bovine. « Comment pouvons-nous encore accepter que des vaches puissent être abattues dans notre pays ? Nous ferons de notre mieux pour interdire cela », avait-il déclaré à l’époque. Cet été, c’était au tour de l’Etat de Jammu-et-Cachemire d’interdire complètement la vente et l’achat de viande bovine. Dans cet Etat pourtant majoritairement musulman, le BJP fait, en effet, partie de la coalition gouvernementale de l’Etat.

Le sujet de la viande bovine (ou des vaches sacrées) apparaît donc comme un problème récurrent, utilisé à des fins politiques. En effet, pour les nationalistes hindous, la vache sacrée est un emblème de l’indépendance nationale, leur abattage étant considéré comme un péché, voir comme un « crime national ». D’après eux, c’est sous l’influence étrangère des colonisateurs – des musulmans moghols jusqu’aux colonisateurs européens – que l’abattage des vaches a été instauré en Inde. L’indépendance du pays ne saurait donc être complète que lorsque l’abattage sera complètement interdit.

« Le gouvernement ferait mieux de se concentrer sur les problèmes nationaux importants plutôt que d’édicter des lois sur le régime alimentaire de la population », a déclaré le cardinal Baselios Cleemis Thottunkal, archevêque de Trivandrum et président de la CBCI (Conférence des évêques catholiques de l’Inde). Aujourd’hui, ce sont les minorités religieuses indiennes (musulmane et chrétienne) et les populations les plus pauvres (dalits et aborigènes) qui sont le plus affectées par ces mesures d’interdiction, le bœuf, surnommé « protéines de l’homme pauvre », étant la viande moins chère du marché.

Beaucoup voient dans cette interdiction de la consommation de bœuf, l’instauration obligatoire de la culture hindoue. « Comment une pratique permise dans notre religion peut-elle être déclarée illégale par le gouvernement ? Nous vivons dans un Etat laïc où chaque citoyen a le droit de pratiquer sa religion. Certaines croyances ne peuvent pas s’imposer à tous », a déclaré Moulana Javid Ahmad, un imam vivant dans l’Etat de Jammu-et-Cachemire.

En Inde, ce sont les musulmans qui contrôlent la majeure partie du secteur économique de la viande de bœuf. En 2012, l’Inde a produit 3,64 millions de tonnes de viande bovine, dont 50 % ont été consommés dans le pays. Pour Arif Qureshi, étudiant en économie à New Dehli, « l’interdiction générale de la vente de viande bovine en Inde est difficilement applicable car, en plus de l’agriculture, elle va affecter d’autres secteurs de l’économie indienne comme l’industrie manufacturière du cuir, mettant des milliers de personnes au chômage et privant des milliers d’autres d’emplois. »

Pour Ikrana Ahmed, épouse du défunt musulman battu à mort, « si une vache est sacrée pour les hindous, elle est sacrée pour nous aussi. Ma famille n’aurait jamais osé tuer un animal considéré comme sacré pour les hindous », a-t-elle confié, précisant que la viande trouvée dans son réfrigérateur était du mouton. « J’espère que le gouvernement fera tout pour que la vérité soit faite sur ce meurtre ». Selon elle, cette histoire a été montée de toute pièce et a été préméditée.

(eda/nfb)