Eglises d'Asie

Tentative de dialogue entre l’épiscopat catholique et l’administration Duterte

Publié le 18/04/2017




Le président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines a rencontré début avril plusieurs membres du cabinet du président Rodrigo Duterte. Une rencontre informelle pour tenter, officiellement, d’apaiser les tensions, dans un contexte de relations dégradées entre le pouvoir et …

… l’Eglise catholique sur fond de guerre antidrogue meurtrière et volonté de rétablir la peine de mort.

« Il y a des sujets sur lesquels subsistent des désaccords de principe, pour autant nous ne devrions pas laisser ces divergences nous empêcher de coopérer », a déclaré à la télévision Mgr Socrates Villegas, quelques jours après ladite réunion. Le président de la Conférence épiscopale philippine (CBCP) est allé jusqu’à qualifier cette rencontre « d’avancée », sans divulguer le nom des participants côté gouvernement. Selon les sources du quotidien philippin The Inquirer, y figurait notamment le ministre de l’Intérieur Ismael Sueno. Entretemps, ce dernier a été congédié par le président Rodrigo Duterte, qui l’accuse de corruption.

« Modérer le ton »

Depuis l’arrivée au pouvoir de Rodrigo Duterte il y a bientôt un an, l’Eglise catholique des Philippines est vent debout contre la campagne gouvernementale antidrogue, qui a causé la mort de près de 8 000 personnes en huit mois, selon le décompte des médias locaux. Dans le principal pays catholique d’Asie, le clergé s’oppose également à un projet de loi adopté par les députés en mars pour rétablir la peine capitale. Certains évêques se sont publiquement exprimés en faveur de la destitution du président Duterte suite au lancement par un député de l’opposition d’une procédure en ce sens.

Cette rencontre intervient au moment où l’administration Duterte espère, sans cesser les opérations policières antidrogue, renforcer sa politique de réhabilitation avec davantage de centres de désintoxication. L’Eglise catholique propose déjà des programmes en ce sens. En cachette, des paroisses opposées à une campagne gouvernementale jugée sanglante accueillent ceux qui sont menacés de mort à cause d’une accusation de consommation de drogue.

Fin avril, dans un geste pour amadouer l’Eglise catholique, Rodrigo Duterte a proposé de l’Eglise de participer à la nomination des « captain barangay » à la tête des mairies de quartier, et dont les élections ont été repoussées sur décision présidentielle. Les chefs de barangay sont au premier plan de la lutte antidrogue dans la mesure où ce sont eux qui sont en charge d’établir la liste des suspects, avant l’intervention de la police antidrogue. Dans les faits, certaines personnes figurant sur la liste ont été tuées par des assaillants non identifiés, juste après avoir été dénoncées, parfois à tort.

Selon le président de la Conférence épiscopale, durant cette rencontre, un accord aurait été trouvé avec l’administration présidentielle afin de maintenir le dialogue entre les deux parties. « Vous arrêtez, nous arrêtons », a poursuivi Mgr Socrates Villegas, évoquant une requête exprimée des deux côtés pour « modérer le ton » des critiques.

« Nous craignons que notre silence soit assimilé à une façon d’approuver ces tueries, a défendu pour sa part Mgr Socrates Villegas. En grandissant, nos enfants pourraient en venir à croire que certains sont exemptés de suivre les commandements bibliques (…). Vous ne pouvez pas nous dire de nous taire quand il s’agit de sujets si antichrétiens. Si on met fin à ces tueries et à ce mépris envers toute vie humaine, pour sûr nous modérerons nos déclarations car nous y verrons un signe de bonne volonté. »

Les luttes de pouvoir entre l’Eglise et l’Etat

« Les propos de Mgr Socrates Villegas, président de la Conférence épiscopale philippine, selon lesquels les évêques sont prêts à discuter d’une potentielle collaboration avec l’administration de Rodrigo Duterte constituent un geste bienvenu », a réagi officiellement le porte-parole présidentiel Ernie Abella. « Nous notons bien que les déclarations de l’Eglise catholique ne sont pas “contre le président” mais contre certaines de ses politiques », a poursuivi le porte-parole de la présidence, avant de souligner que « les luttes de pouvoir entre l’Eglise et l’Etat appartenaient à un passé lointain ».

Il y a près de trente ans, le cardinal Jaime Sin de Manille appelait sur les ondes de Radio Veritas à manifester après la réélection contestée de Ferdinand Marcos. Deux millions de personnes étaient descendues dans les rues de la capitale. La révolution dite du « People power » de 1986 aboutissait à l’exil du dictateur.

En mai 2016, Rodrigo Duterte a été élu avec une confortable avance, avec plus de 16 millions de votes dans l’archipel aux 100 millions d’habitants, pour un mandat de six ans, sans possibilité de se représenter. Selon les derniers sondages, sa popularité auprès des Philippins demeure élevée, même si elle accuse un léger déclin depuis le début de cette année.

(eda/md)