Eglises d'Asie

Projet de loi anti-conversion : quand la conversion religieuse risque de devenir une infraction pénale

Publié le 18/05/2016




« Le Népal doit abandonner son projet de loi visant à rendre illégales les conversions religieuses. Il ne suffit pas de réduire les peines encourues, ainsi qu’une consultation populaire le suggère, car l’enjeu est bel et bien celui de la liberté religieuse », …

… a déclaré le P. Silas Bogati, vicaire général du vicariat apostolique catholique du Népal.

En février dernier, le Parlement a lancé une consultation populaire à propos d’une future loi anti-conversion qui punirait de cinq ans de prison et de 50 000 roupies d’amende (415 euros) toute personne reconnue coupable d’avoir convertie une personne à autre religion. Les peines d’emprisonnement et le montant de l’amende encourues – qui représente plus de la moitié du revenu annuel moyen des Népalais, en 2014 (648 euros) – indiquent l’importance de l’enjeu des conversions, perçues comme une menace de l’identité de cette ancienne monarchie hindoue, où plus de 81 % des 31 millions d’habitants sont hindous.

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Depuis le lancement de la consultation populaire, près de 40 000 lettres de citoyens népalais sont parvenues au Parlement, demandant la minoration de ces peines à trois ans d’emprisonnement et à 30 000 roupies d’amendes (250 euros).

Une laïcité jeune et fragile

Si la toute récente Constitution népalaise, finalement votée en septembre 2015 après huit années d’incertitude et d’opposition, affirme le caractère laïc des institutions népalaises, les nationalistes hindous n’en sont pas moins actifs. En septembre dernier, alors que le Parlement votait un à un les différents articles de la future Constitution – cinq mois après le terrible tremblement de terre qui a fait plus de 8 000 morts et détruit des centaines de milliers d’habitations –, le principal parti hindouiste, le Rastriya Prajatantra Party-Nepal (National Democratic Party Nepal) avait présenté un amendement proposant de déclarer le Népal, « Etat hindou », proposition qui avait été rejetée par plus des deux-tiers de l’assemblée.

« Notre Etat est laïc, mais concrètement le gouvernement restreint la liberté religieuse, en proposant que la conversion religieuse devienne une infraction pénale, dénonce le P. Silas Bogati. Il envoie une image erronée de la laïcité car la religion est propre à chaque personne, c’est un choix personnel de croire et de pratiquer une nouvelle religion. »

Le 4 avril 2016, le gouvernement népalais avait également annoncé que Noël ne serait plus un jour férié. Le ministre de l’Intérieur, Shakti Basnet, s’était justifié en ces termes : « Nous avons été contraints de prendre cette décision afin de contrôler l’inflation du nombre des jours chômés. Cette mesure n’est en aucune façon dirigée contre les chrétiens. » Pourtant, cela faisait presque huit ans que Noël était inscrit au nombre des jours fériés, une mesure prise en 2008 à la suite de l’abolition de la monarchie, l’unique monarchie hindoue de la planète.

Les chrétiens ont vivement ressenti cette décision du 4 avril. Ils ont notamment fait valoir que le pays comptait 83 jours chômés liés au calendrier religieux hindou et qu’un jour de plus, pour Noël, ne faisait pas une grande différence. Le gouvernement a cependant maintenu sa décision, tout en précisant que Noël resterait un jour chômé pour les seuls employés chrétiens de la fonction publique.

Vers une restriction de la liberté religieuse des minorités ?

Pour la Fédération nationale des chrétiens du Népal, « le gouvernement cherche à restreindre les droits et la liberté religieuse des minorités ». Des chrétiens ont notamment fait valoir que la priorité des autorités devrait être de reconstruire le pays après le tremblement de terre du 25 avril 2015, plutôt que de supprimer le caractère chômé de la fête de Noël.

Concernant le projet de loi anti-conversion, la position de la Fédération nationale des chrétiens du Népal est claire. « Le gouvernement doit non seulement abandonner l’idée de dispositions punitives, mais également supprimer la référence au Sanatana Dharma, car si en théorie cette notion est perçue comme un moyen de protéger l’hindouisme, en réalité, elle est utilisée aux dépens des minorités religieuses », a expliqué C.B Gahatraj, son secrétaire général.

Depuis septembre 2015, en effet, le Sanatana Dharma, souvent traduit par ‘Tradition primordiale’ qui désigne l’essence de l’hindouisme, est explicitement mentionnée et protégée par la nouvelle Constitution qui stipule que l’Etat se doit de sauvegarder la ‘ Tradition primordiale’. Sa référence est également mentionnée dans le projet de loi anti-conversion en question.

La Fédération nationale des chrétiens du Népal ainsi que d’autres mouvements religieux ont fait part de leurs inquiétudes à la commission parlementaire chargée de la question, demandant une révision complète du projet de loi. Les conclusions de la consultation populaire sont prévues pour décembre 2016.

Au Népal, où 81,3 % de la population est hindoue, les principales minorités religieuses sont constituées de bouddhistes (9 % de la population), de musulmans (4,4 % de la population), sunnites dans leur très grande majorité, et de chrétiens (1,41 %), dont 8 à 10 000 de catholiques (soit 0,03%).

Les Eglises protestantes – essentiellement évangéliques et pentecôtistes – sont aujourd’hui présentes dans chacun des 75 districts du pays, même si le nombre de leurs fidèles est sujet à caution. Le chiffre de deux millions de croyants (près de 7 % de la population) est souvent cité, sans qu’aucune étude statistique fiable ne vienne confirmer l’estimation. Pour le Rév. Lokmani Dhakal, pasteur protestant et secrétaire de la Société chrétienne du Népal (NCS, Nepal Christian Society), la plus importante fédération d’Eglises protestantes du pays, le nombre réel des chrétiens au Népal serait plus proche du million de fidèles.

(eda/nfb)

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