Eglises d'Asie – Maldives
Un célèbre blogueur, Yameen Rasheed, assassiné : nouvelle atteinte à la liberté d’expression
Publié le 26/04/2017
… nuit du 22 au 23 avril, Yameen Rasheed a été brutalement assassiné dans la cage d’escalier de son immeuble, à Malé, capitale des Maldives.
Depuis 2005, Yameen Rasheed tenait un blog. Le blog d’un adolescent, puis celui d’un jeune homme engagé, The Daily Panic, qui avait comme ambition de remédier à l’absence de médias indépendants dans le pays. Un blog, « à la fois sérieux et amusant », pour analyser l’actualité politique et « creuser les sujets tabous aux Maldives, comme les droits des minorités, la liberté de religion ». Depuis 2015, il commentait l’actualité de son pays pour The Indian Express, un important quotidien indien anglophone.
Un engagement au service de la liberté d’expression…
Sur son blog, Yameen Rasheed critiquait aussi bien le gouvernement en place que l’opposition ; il dénonçait la corruption de l’administration, les lenteurs du système judiciaire et les atteintes contre la liberté de la presse. Il n’épargnait pas non plus le fanatisme religieux. Et il avait reçu des menaces de mort, à de nombreuses reprises.
Quelques heures après son décès, le gouvernement de l’archipel a publié sur son site une déclaration dans laquelle il condamne, « le plus fermement possible », le meurtre de Yameen Rasheed et qui précise que le président de la République a envoyé ses condoléances à la famille du blogueur.
Pour autant, l’ancien président Mohamed Nasheed, qui a obtenu l’asile politique au Royaume-Uni en mai 2016, a déploré la perte d’une « voix courageuse, brutalement réduite au silence », et doute de la volonté des autorités de retrouver les auteurs du crime. Ainsi, il sollicite la « participation de services étrangers » afin d’obtenir une enquête « impartiale ». Les organisations comme Reporters Sans Frontières (RSF) et Amnesty International ont elles aussi demandé aux autorités de « faire toute la lumière sur ce crime odieux » qui constitue « une attaque contre la liberté d’expression ».
… malgré un climat politique, social et religieux anxiogène
Ancien protectorat britannique (1887-1965), la République des Maldives n’est pas seulement un archipel d’Asie du Sud réputé pour ses plages paradisiaques. En 2008, l’organisation des premières élections présidentielles libres avait porté au pouvoir Mohamed Nasheed, journaliste et militant des droits de l’homme, et semblait tourner la page des trente années de dictature de Maumoon Abdul Gayoom (1978-2008). Pourtant, en 2012, le président élu avait été contraint à la démission et, après plusieurs mois d’instabilité, de nouvelles élections avaient été organisées en 2013. A la surprise générale, Abdulla Yameen, demi-frère de l’ancien président-dictateur, avait été porté au pouvoir.
Depuis, la normalisation politique espérée dans ce petit pays de 344 000 habitants n’a pas eu lieu : l’indépendance du pouvoir judiciaire n’est pas assurée (le principal opposant, Mohamed Nasheed, a été condamné en mars 2015 à treize ans de prison) ; l’état d’urgence a été instauré en novembre 2015, à quelques jours d’une manifestation de l’opposition dans la capitale ; en octobre 2016 l’archipel s’est retiré du Commonwealth (dénonçant le traitement « injuste » qui lui serait réservé), …
La pratique autoritariste du pouvoir n’épargne pas non plus la presse : depuis août 2016, la diffamation est à nouveau un crime (cette infraction avait été dépénalisée en 2009) et tout média qui diffuserait de tels propos pourrait être fermé. Ainsi, RSF dénonce régulièrement les atteintes à la liberté de la presse. Certains blogueurs ont fui le pays, d’autres ont fait l’objet de tentatives d’assassinats, plusieurs sont portés disparus depuis des années. RSF s’alarme du « climat d’impunité et d’insécurité auquel sont confrontés les professionnels de l’information » et constate que la liberté de la presse recule dans le pays. Classées 52ème sur 172 pays au classement mondial de la liberté de la presse en 2010, les Maldives figurent au 112ème rang sur 181 pays en 2016.
Pourtant, la liberté d’expression et la liberté de la presse sont prévus par les articles 27 et 28 de la Constitution de 1997, révisée en 2008, sous réserve de « ne pas être contraire à un aucun principe de l’islam ». En effet, la religion tient une place fondamentale dans l’archipel : « Les Maldives sont une république souveraine, indépendante et démocratique fondée sur les principes de l’islam » (article 2 de la Constitution), l’article 10 précisant que l’islam a le statut de religion d’Etat. Outre la Constitution, la loi sur la protection de l’unité religieuse (de 1994) a pour ambition de « limiter ou d’interdire la pratique ou l’expression de toutes les religions autre que l’islam sunnite », selon l’Observatoire de la liberté religieuse. Ainsi, il n’existe aucun lieu de culte chrétien officiel dans l’archipel et, à l’occasion de la démission du président Mohamed Nasheed en 2012, des manifestants avaient pénétré dans le Musée national afin de détruire des statuts de Bouddha, héritage du passé bouddhiste des Maldives.
La montée de l’islam radical ne menace pas seulement la liberté d’expression dans l’archipel : The Indian Express révèle que les Maldives constituent une zone de recrutement importante pour Daesh. « Les renseignements indiens et occidentaux estiment que jusqu’à 200 citoyens des Maldives, sur une population totale de 359 000 personnes, pourraient se trouver actuellement en Irak et en Syrie – le plus gros contingent, par rapport à la population nationale, de tous les pays du monde. »
(eda/pm)