… la destruction programmée de la petite paroisse de Côn Dâu. Mais le grand public et l’opinion internationale le connaissaient surtout comme le promoteur talentueux du développement de Danang et, plus encore, comme le responsable la toute-puissante commission « Nôi Chinh », chargée d’enquêter et de sanctionner, y compris par la peine capitale, les faits de corruption au sein de la nomenklatura.
L’ancien responsable des destinées de la troisième plus grande ville du Vietnam, après une tentative infructueuse pour soigner une mystérieuse leucémie aux Etats-Unis, était revenu achever sa vie dans sa province natale. Dès l’annonce de sa mort, à l’âge de 62 ans, le 13 février 2015, une foule nombreuse s’était rassemblée auprès de son domicile particulier. Cette même foule a suivi le corbillard transportant la dépouille jusqu’au cimetière de son village natal où il a été inhumé, le 18 février dernier. La presse intérieure rapportait que la foule était sincèrement émue par le caractère dramatique de la disparition de l’ancien gestionnaire de la ville, mais aussi intriguée et déconcertée par les circonstances de sa mort.
Lors des cérémonies officielles, les plus hautes personnalités du Parti n’ont pas ménagé leurs éloges à l’égard de ce membre du Comité central : « Un camarade de premier plan, loyal, qui n’avait pas peur de s’exprimer, qui osait agir… »
C’est surtout son activité au service du développement de la ville de Danang (que les Français appelaient Tourane) qui a été mis en valeur. C’est lui qui a fait de cette ville ce qu’elle est aujourd’hui, un modèle de réforme sociale et du développement industriel pour l’ensemble du pays. Afin de mettre en place de solides infrastructures, il a attiré de nombreux investissements de l’étranger et s’est acquis auprès des hommes d’affaires américains une flatteuse réputation d’habile gestionnaire.
Cependant, cette réussite avait un revers. Elle ne s’est pas réalisée sans de graves injustices. Des affaires graves ont accompagné le développement de la ville du Centre-Vietnam. La très dramatique histoire de la disparition du village catholique de Côn Dâu en témoigne. Il s’agit d’une paroisse catholique fondée au XIXe siècle, formée de fidèles vivant et travaillant à l’ombre de leur église, dont la vie était rythmée par les prières du matin et du soir et l’eucharistie quotidienne. Le charme de ce village était perçu de tous, y compris les non-croyants. Pour des raisons religieuses, la paroisse a tenté de résister à un plan de développement destiné à la remplacer par une zone dite « écologique ». L’affrontement a été dramatique. Le maire de Danang a envoyé la police charger un cortège accompagnant une paroissienne défunte au cimetière. Un fidèle est mort des suites de violences policières. Plusieurs autres ont été emprisonnés. Une partie de la population s’est enfuie en Thaïlande. Les derniers habitants de la paroisse sont aujourd’hui sur le point d’être expulsés. Il est probable que l’histoire de cette malheureuse communauté catholique ne représente qu’une partie du prix qu’il a fallu payer pour mener à bien le développement industriel de la ville.
La réussite de Nguyên Ba Thanh dans la mégapole du Centre-Vietnam a nécessairement concentré sur son auteur l’attention des hauts dirigeants du Bureau politique et du Comité central, dont il était membre depuis longtemps. Dans un contexte de tension extrême entre le Premier ministre, Nguyên Tân Dung, et le secrétaire général du Parti communiste, Nguyên Phu Trong, ce dernier avait confié à Nguyên Ba Thanh la responsabilité d’une redoutable commission dépendant directement du pouvoir central et appelée « Nôi Chinh ». L’objectif principal de cet organisme nouvellement créé est la surveillance des membres de la nomenklatura au plus haut niveau et l’élimination de la corruption sous toutes ses formes, une corruption qui a survécu à toutes les campagnes dirigées contre elle, depuis des dizaines d’années, soupçonnée d’être encouragée au sein du Parti vietnamien par les voisins chinois. Le choix du gérant de la ville de Danang comme responsable de cette commission par le secrétaire général du Parti avait été soigneusement préparé. Selon des sources d’information indépendante, il aurait confié : « Lorsqu’on veut attraper les souris, il faut soigneusement préparer le piège… ». Nguyên Ba Thanh se trouvait donc à la tête d’un organisme d’autant plus dangereux pour les membres corrompus du Parti que les articles 278, 279 et 289 du Code pénal prévoient la peine de mort pour des tentatives de corruption dont le montant dépasse 500 millions de dongs (20 600 euros).
L’étendue des pouvoirs confiés au responsable de la commission Nôi Chinh a nécessairement conduit une partie de la population, déjà émue par le décès de cet homme talentueux, à suspecter le caractère naturel de sa disparition. Un observateur australien du Vietnam, généralement très pondéré dans ses jugements, le professeur Carl Thayer, a fait cette remarque, le 18 février, jour des obsèques du responsable de la commission Nôi Chinh : « Nguyên Ba Thanh avait été placé à la croisée des chemins et n’importe qui, dans cette position, aurait été brisé ou, du moins, neutralisé… »
(eda/jm)