Eglises d'Asie

La loi sur la contraception continue de diviser

Publié le 18/01/2016




Trois ans après sa promulgation, fin 2012, la loi légalisant le financement par l’Etat des produits contraceptifs continue de diviser aux Philippines, principal pays catholique d’Asie, avec le retrait du budget national d’un milliard de pesos, soit plus de 19 millions d’euros, à l’origine destinés au …

… financement de divers moyens de contraception.

Adoptée au terme de seize ans de débats au Congrès et validée en avril 2014 par la Cour suprême, la loi sur la « santé reproductive » (en anglais « Reproductive Health Bill » ou « RH Bill » en abrégé) prévoit la gratuité des moyens de contraception (préservatif, pilule) pour les plus pauvres et l’éducation sexuelle à l’école. Le texte rend par ailleurs obligatoire la formation des travailleurs sociaux au planning familial.

Sur le terrain, si des dispensaires catholiques n’interdisent pas le recours au préservatif en cas d’urgence, la question de la contraception et de son financement par l’Etat reste moralement sensible. La polémique a ressurgi au moment de l’ouverture de la campagne pour les élections nationales de mai prochain.

D’après la secrétaire d’Etat à la Santé Janette Garin, les fonds ont été supprimés lors du vote du budget 2016 au Congrès, rapporte CBCP News, site d’information de la Conférence des évêques catholiques des Philippines, et cette coupe représente un tiers du budget initialement prévu – ce qui signifie que la RH Bill reste financée à hauteur de 2,3 milliards de pesos. De son côté, le sénateur Vicente ‘Tito’ Sotto, leader de la Coalition nationaliste du peuple (Nationalist People’s Coalition) (opposition), affirme que moins de 200 millions de pesos (3,8 millions d’euros) ont été retirés du budget pour le financement des moyens de contraception et que la mesure ne concerne que les progestatifs injectables par piqûre considérés comme pouvant déclencher un avortement dans certains cas.

Dans l’archipel aux 100 millions d’habitants dont plus 80 % de catholiques, l’avortement ainsi que le divorce restent interdits par la loi. S’il a milité pour le passage de la RH Bill, le président sortant Benigno Aquino III, qui ne cache pas son adhésion à la foi catholique, s’est en revanche toujours prononcé contre la légalisation du divorce.

A l’annonce de cette coupe budgétaire, l’Eglise catholique a été prise aussitôt pour cible. Dans un communiqué en date du 11 janvier dernier, Phelim Kine, directeur adjoint pour l’Asie de Human Rights Watch, assimile la décision du Congrès à une « victoire pour ceux qui, au sein de l’Eglise catholique aux Philippines, se sont farouchement opposés à la gratuité des moyens de contraception ». Avant d’évoquer « des affirmations fausses à propos de la sécurité et de la fiabilité de certains contraceptifs, dont les préservatifs ».

Après avoir fait pression sur les autorités philippines pour contenir la croissance démographique du pays, laquelle figure parmi les plus rapides de la région, les Nations Unies se sont également inquiétées de la décision du Sénat philippin, par le biais du Fonds pour la population (FNUAP). « Sans financement pour les contraceptifs, élément essentiel de n’importe quel planning familial, la loi sera inefficace », a ainsi déploré, le 7 janvier, dans un communiqué, Klaus Beck, représentant de l’organisme aux Philippines.

Votée en décembre 2012 puis promulguée dans la foulée par le président Benigno Aquino III, l’entrée en vigueur de la loi avait été suspendue en 2013 par la Cour suprême, à l’époque saisie par la Pro-Life Philippines Foundation Inc. et d’autres groupes catholiques pour des recours en inconstitutionnalité. Au bout de plus d’un an, les juges avaient cependant décidé de valider la loi, non sans avoir reconnu « le droit à l’objection de conscience » aux personnes physiques comme aux personnes morales.

Face aux nouvelles critiques à son égard, l’épiscopat philippin a officiellement réagi par la voix de Mgr Ramon Arguelles, à la tête de la Commission pour les Affaires publiques de la CBCP. L’archevêque de Lipa a salué une décision « très philippino-philippine ». « J’espère que ce milliard de pesos sera dépensé pour la construction d’écoles, une éducation et une formation morale plus poussées des jeunes, et davantage d’offres d’emploi pour les adultes », a commenté l’archevêque. Contacté par Eglises d’Asie, l’archidiocèse de Manille n’a en revanche pas émis de commentaire sur le sujet.

D’après la sénatrice Loren Legarda, à la tête de la Commission sur les finances, cette coupe budgétaire est censée permettre d’augmenter les budgets pour d’autres dépenses jugées prioritaires, dont l’aide aux plus pauvres ainsi que l’enseignement secondaire et supérieur.

Pour le P. Jerome Secillano, de la paroisse Nuestra Señora del Perpetuo Socorro à Sampaloc, dans le nord de Manille, « il est curieux de voir qu’une loi empêchant la vie de se développer » bénéficie de fonds publics. « Par conséquent, a-t-il ajouté, c’est bon d’apprendre qu’il n’y aura pas de budget alloué pour l’obtention de contraceptifs. C’est une bonne nouvelle. Il reste tellement à faire. Le gouvernement ferait mieux de se montrer plus actif pour financer des programmes capables d’extraire les populations de la misère. »

Voilà un an presque jour pour jour, lors sa visite dans l’archipel, le pape François avait publiquement dénoncé, sans mentionner la loi sur la santé reproductive, les « mesures liées au défi de l’accroissement de la population », citant Humanae Vitae, l’encyclique publiée en 1968 par le pape Paul VI, dans laquelle est proscrit le recours aux méthodes artificielles de régulation des naissances. Le 16 janvier 2015, lors d’une rencontre avec les familles à Manille, le pape avait exhorté les Philippins « à reconnaître les dangers qui menacent [leurs] propres familles et à les protéger » ; il avait eu ces mots particulièrement forts : « Comme nous avons su dire non à la colonisation politique, nous devons dire non à toute forme de colonisation idéologique visant à détruire la famille. » Enfin, dans l’avion le ramenant à Rome, dans un langage très imagé, le pape argentin avait ensuite évoqué devant des journalistes les familles procréant « comme des lapins », en assurant que le message chrétien était celui d’une « paternité responsable ».

Quelques mois plus tard, en décembre dernier, à son retour d’une tournée en Afrique, aux journalistes qui l’interrogeaient à propos du recours au préservatif pour lutter contre le virus du sida, le pape avait répondu par ces mots : « Il ne faut pas raisonner en termes de ce qui est licite. Ce n’est pas le problème », avant de conclure : « Le grand problème, c’est l’injustice sociale. »

(eda/md)