Eglises d'Asie – Inde
Afin de lutter contre la pollution, les autorités accordent la personnalité juridique à des fleuves sacrés
Publié le 05/05/2017
… que les hindous tiennent pour sacrés. Les évêques catholiques locaux, tout en approuvant cette initiative, attendent d’en voir les modalités concrètes.
La décision du gouvernement du Madhya Pradesh, pour originale qu’elle soit, n’est pas inédite : le 20 mars dernier, la Haute Cour d’Uttarakhand, un Etat du nord du pays, avait déjà considéré que le Gange et le Yamuna, deux autres fleuves sacrés, étaient des « entités vivantes ayant le statut de personne morale ». Après avoir fait le constat que « cette situation (de pollution) exceptionnelle nécessite de prendre des mesures exceptionnelles afin de préserver et de conserver le Gange et le Yamuna », la Haute Cour avait rappelé que « les hindous ont une connexion spirituelle profonde avec ces fleuves » et précisé que « le Gange est aussi appelé ‘Ganga Maa’ (Mère Gange) ». Par conséquent, la Cour avait accordé la personnalité juridique « aux fleuves et à leurs affluents, avec tous les droits correspondants, les devoirs et les engagements d’une personne juridique ».
Un dispositif inédit pour préserver les lieux saints de la pollution
L’Inde n’est pas le premier pays à reconnaitre la personnalité juridique à un cours d’eau : la Nouvelle-Zélande a statué en ce sens lorsque le Parlement a accordé la personnalité juridique au fleuve Whanganui le 15 mars dernier.
En Nouvelle-Zélande, cette décision est fondée sur des raisons exclusivement religieuses : selon Chris Finlayson, ministre de la Justice, « cette décision est une reconnaissance de la connexion profondément spirituelle entre (la tribu) Whanganui et son fleuve ancestral ». En Inde, les fondements sont non seulement religieux mais écologiques. Ce pays est en effet confronté à un défi environnemental de plus en plus préoccupant. En 2013, un rapport du Central Pollution Control Board (CPCB), un organisme du ministère de l’Environnement, affirmait que les eaux usées non traitées, industrielles et domestiques, étaient les « principaux pollueurs » du Gange et de ses affluents.
La pollution des eaux du Gange constitue un véritable enjeu de santé publique car des centaines de milliers d’hindous s’y baignent chaque année. Dans ce pays où 79,80 % de la population est hindoue (selon le recensement de 2011), le Gange et le Yamuna sont des fleuves sacrés. Ainsi, tout hindou qui se baignerait dans le Gange se considère comme lavé de tout péché, un aspect de la croyance hindoue qui est explicitement rappelée dans la décision de la Haute Cour d’Uttarakhand du 20 mars dernier.
Depuis trente ans, les gouvernements successifs ont multiplié les initiatives afin de nettoyer le fleuve sacré. Un premier Ganga Action Plan a été lancé en 1986 et depuis lors 595 millions de dollars ont été investis dans ce projet. En 2015, le Premier ministre Narendra Modi a annoncé un plan de trois milliards de dollars afin d’assainir le Gange d’ici 2020. Ce projet a pris un important retard : seuls 205 millions ont été dépensés entre avril 2015 et mars 2017.
Les sept fleuves sacrés de l’Inde
« Le gouvernement local est en train de faire un pieux travail pour protéger le fleuve Narmada et le préserver pour les générations futures. Il s’agit de notre ‘Maa’ (Mère) Narmada et c’est notre devoir filial de la protéger », a déclaré le ministre-président du Madhya Pradesh, Shivraj Singh Chouhan.
Dans la tradition hindoue, sept fleuves sont considérés comme sacrés : le Gange, le Yamuna, la Sarasvati, l’Indus, la Godavari, la Narmada et la Kaveri. Ils sont le fruit de la déesse Ganga, emprisonnée dans la chevelure de Shiva après avoir tenté de noyer la Terre.
Ces fleuves font l’objet de fréquents pèlerinages. L’immersion dans leurs eaux permet au fidèle de se purifier et, à son décès, la dispersion de ses cendres dans le cours d’eau assure la libération de son âme et une vie future meilleure.
Une mesure efficace ?
La mesure décidée ce 3 mai suscite des réserves, aussi bien parmi la majorité qu’au sein de l’opposition politique au Madhya Pradesh. Si l’attribution de la personnalité morale à ces fleuves a pour objectif de les protéger de la pollution, certains membres du gouvernement sont bien conscients que la responsabilité juridique des fleuves pourrait être engagée en cas de dommages commis à des tiers. La personnalité juridique se définit en effet comme « l’aptitude à être titulaire de droits et assujetti à des obligations » (1) ; dès lors, « si la maison d’une personne est endommagée à l’occasion d’une inondation, cette personne pourra saisir la justice et demander réparation du préjudice », explique un membre du gouvernement au Hindustan Times. Quant à l’opposition, elle dénonce la position ambigüe du gouvernement local, accusé de ne pas mener une politique assez ferme envers les industries polluant la Narmada.
Ce nouveau dispositif suscite un enthousiasme mesuré au sein des minorités chrétiennes du Madhya Pradesh. Mgr Leo Cornelio, archevêque de Bhopal, capitale de cet Etat, redoute une sanctuarisation de ces fleuves : « Si l’intention de protéger les fleuves est bonne, le gouvernement doit veiller à ce que cela ne mène pas à limiter l’utilisation des ressources fluviales. » Mgr Gerald Almeida, évêque de Jabalpur, se montre prudent : « Nous devons attendre et regarder comment le gouvernement va mettre en œuvre cette mesure. »
Ces mesures ont été adoptées au Madhya Pradesh et en Uttarakhand, deux Etats actuellement dirigés par le Bharatya Janata Party (BJP – Parti du peuple indien) et pourraient ainsi faire jurisprudence dans les autres Etats dirigés par le parti nationaliste hindou et traversés par l’un ou l’autre des sept fleuves sacrés de l’hindouisme.
(eda/pm)