Eglises d'Asie

A Djakarta, responsables politiques et religieux se mobilisent en faveur du Pancasila, la doctrine du pluralisme indonésien

Publié le 09/06/2017




Mercredi dernier, le 7 juin 2017, les dix membres de la nouvelle Commission mise en place par le président Joko ‘Jokowi’ Widodo afin de promouvoir le « Pancasila », doctrine du pluralisme indonésien intégrée à la Constitution, prêtaient serment au sein du Palais présidentiel. De leur côté, à l’occasion de leur rencontre pastorale annuelle, les prêtres de l’archidiocèse de Djakarta …

… se réunissaient autour de leur évêque, Mgr Ignatius Suharyo Hardjoatmodjo, pour analyser la situation du pays, suite à la condamnation pour « blasphème » de l’ancien gouverneur Ahok, et réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour préserver l’unité du pays, troisième principe du Pancasila. Idéologie nationale, celui-ci, correspond aux « cinq principes » sur lesquels la gouvernance du pays est fondée : la croyance en une divinité unique, une humanité civilisée et juste, l’unité nationale, la démocratie et la justice sociale.

Cette mobilisation en faveur du Pancasila intervient alors que ses valeurs sont de plus en plus menacées par l’influence croissante des groupes islamistes radicaux qui se répandent dans l’archipel. Ces mouvements ont pour ambition de remplacer le Pancasila par des lois inspirées par la charia et de créer un Etat islamique en Indonésie. Pour le P. Franz Magnis-Suseno, arrivé en Indonésie en 1961 et observateur averti de la vie politique locale, la condamnation à deux ans de prison d’Ahok constitue un bon indicateur de la montée d’un « populisme islamique » en Indonésie qui ambitionne de battre l’actuel président aux prochaines élections présidentielles.

Rappeler « l’unité dans la diversité » du pays

Le 1er juin dernier, jour où est commémoré le discours du 1er juin 1945 de Soekarno (Sukarno, futur premier président de l’Indonésie indépendante) instituant le Pancasila comme idéologie nationale, le président Jokowi déplorait que « des mouvements intolérants se [soient] développés, utilisant les réseaux sociaux pour délivrer des messages de haine ». Le président de la République d’Indonésie a récemment réclamé la dissolution du mouvement Hizbut Tahrir Indonesia (HTI), considérant que ses activités entraient en contradiction avec le Pancasila et constituaient une menace pour l’unité nationale. Implantée dans l’archipel depuis les années 1980, cette organisation a pour ambition d’installer un califat dans le pays.

La décision du gouvernement de mettre en place une commission chargée de promouvoir le Pancasila a pu susciter des critiques, certains redoutant des risques de dérive. Le 22 mars 1978, le président Soeharto (Suharto, président de 1967 à 1998) avait mis en place l’« Agence pour la propagation du Pancasila ». Chargée elle aussi de faire respecter les cinq principes de l’idéologie nationale, elle avait été instrumentalisée à des fins politiques : mouvements et organisations critiques à l’égard du régime avaient alors été déclarés comme opposés au Pancasila et écartés. Considérée comme un outil d’endoctrinement mis en place afin de soutenir le président alors au pouvoir, cette agence avait été officiellement fermée le 29 avril 1999, quelques mois après le retrait du président Soeharto, le 21 mai 1998.

Diffuser le message du Pancasila, dans les lieux de culte et sur les réseaux sociaux

Si l’agence mise en place par le président Jokowi partage les mêmes ambitions que celle instaurée par Soeharto, le porte-parole présidentiel, Johan Budi, a tenu à rassurer. « Bien évidemment, les méthodes de travail ne seront pas les mêmes. Nous allons développer des façons originales de diffuser le message du Pancasila, par exemple en diffusant des vidéos sur Youtube et sur les réseaux sociaux », a-t-il déclaré au Jakarta Post. Et d’insister : « cet organe est mis en place pour diffuser les valeurs du Pancasila, il n’a aucune autorité pour déclarer une organisation, ou une personne, comme opposée au Pancasila ».

Yudi Latif, président de la Commission, un spécialiste du Pancasila, a indiqué qu’il n’hésiterait pas travailler main dans la main avec des responsables religieux, des cinéastes, et des membres de la société civile disposés à s’engager. « La relation entre la Commission et la société ne sera pas verticale, comme par le passé, quand l’Etat se comportait comme l’unique interprète [du Pancasila] ».

Parmi les dix membres de la Commission figurent notamment quatre responsables religieux, représentants de quatre des six religions officiellement reconnues dans l’archipel : l’islam, le protestantisme, l’hindouisme et le bouddhisme. Seul le catholicisme et le confucianisme ne sont pas représentés au sein de cette instance. En Indonésie, l’Eglise catholique est très engagée dans le dialogue interreligieux et développe régulièrement des initiatives en faveur de l’unité du pays. L’an dernier, lorsque le président de la République avait décidé de faire du 1er juin un jour férié, l’archevêque de Djakarta avait déclaré à AsiaNews que le Pancasila « encourag[eait] l’unité des Indonésiens, malgré la diversité des ethnies, des langes, des cultures, des religions ». Et il assurait : « C’est ce qui de fait de l’Indonésie un pays. Grâce au Pancasila, nous pouvons vivre en paix. »

(eda/pm)