Eglises d'Asie – Laos
Cardinal Louis-Marie Ling : « J’aimerais trouver des moyens de coopérer et d’entretenir de meilleures relations avec le gouvernement »
Publié le 27/06/2017
Mgr Louis-Marie Ling Mangkhanekhoun a accepté de répondre aux questions du National Catholic Reporter (1). La traduction française est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.
National Catholic Reporter : Cardinal Ling, quand avez-vous appris la nouvelle de votre cardinalat ?
Cardinal Louis-Marie Ling Mangkhanekhoun : La surprise a été totale. J’ai reçu un appel téléphonique d’un ancien élève. Il m’a félicité pour mon élévation au cardinalat. Je lui ai dit de ne pas taquiner son aîné. Ce n’est pas correct. Je ne l’ai pas cru à ce moment-là, dimanche [21 mai], après le dîner. J’étais alors à Paksé.
Ensuite, j’ai reçu un autre appel téléphonique, de la part d’une religieuse, qui m’a également félicité pour la même raison. Je lui ai dit : « Êtes-vous folle ? » « Non », m’a-t-elle répondu. Ensuite, je lui ai demandé qui d’autre avait été créé cardinal. Elle a m’indiqué qu’il y avait cinq personnes et que j’étais le quatrième. J’ai commencé à la croire un petit peu.
Les appels téléphoniques n’ont pas cessé pendant deux ou trois jours. Les e-mails ont commencé à se multiplier. Ensuite, je suis allé vérifier sur Internet pour voir que c’était vraiment moi et que mon nom figurait bien dans la liste. Peut-être qu’ils avaient mal interprété mon nom. Comme vous le savez, mon nom de famille, Mangkanekhoum [MANG-KHA-NE-KHUN], est difficile à prononcer.
Un jour plus tard, le nonce [Mgr Paul Tschang In-Nam, délégué apostolique au Laos] et une personne de Propaganda Fide, la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, ont également appelé pour me féliciter. Avec leurs appels, j’ai commencé à penser que cette nouvelle était réelle. Plus tard, je me suis rendu à Vientiane. Mgr Banchong [Tito Banchong Thopanhong, administrateur apostolique de Luang Prabang] et moi devions demander un visa.
Mais alors, tout le monde, y compris des membres de l’Eglise de Thaïlande, des religieuses et des missionnaires italiens, voulait me voir à Vientiane. Tout le monde avait connaissance de la nouvelle à ce moment-là. Que pouvez-vous faire lorsque les nouvelles sont publiques ? Je suppose que je ne pouvais plus reculer et qu’il me fallait accepter ce cardinalat.
Quelle a été votre réaction ? Comment vous êtes-vous senti ?
Comme je l’ai dit un peu plus tôt, je pensais que ce n’était pas réel, car je ne pensais pas que c’était sérieux. Je pensais qu’ils me taquinaient, qu’ils me faisaient une farce. Je n’avais pas peur. Je n’ai rien ressenti de particulier, car je ne pensais pas que c’était vrai. Je pensais que, pour une telle décision, des officiels m’auraient d’abord contacté.
Quand je suis allé à Bangkok pour dîner avec les deux cardinaux de Bangkok [l’archevêque à la retraite, le cardinal Michai Kitbunchu, et l’actuel archevêque, le cardinal Kriengsak Kovithavanij], ils m’ont raconté une histoire similaire : quand le pape choisit quelqu’un, il le fait d’abord et prévient la personne en question par la suite. C’est la décision du pape. Après avoir entendu les « cardinaux de la classe supérieure », je me suis senti en paix.
Ce fut un moment aussi trépidant car des personnes du Canada, de France et du monde entier m’appelaient et m’envoyaient des emails, pour m’adresser leurs félicitations. Il m’a fallu des semaines pour répondre à tous. En retour, je leur ai demandé de prier pour moi.
Selon vous, pour quelles raisons le pape François vous a-t-il créé cardinal ?
Quand nous sommes allés à Rome pour une visite ad limina [le 26 janvier 2017], personne n’aurait pensé à cela. Pourtant, lors de la visite, le pape nous a dit que la force de l’Eglise réside dans l’Eglise locale, en particulier l’Eglise qui est petite, l’Eglise qui est faible, et l’Eglise qui est persécutée. C’est l’épine dorsale de l’Eglise universelle. J’étais un peu perplexe.
Le lendemain, nous avons célébré la messe avec le Saint-Père, et il a réitéré cette pensée dans son homélie. Cela m’a fait me poser des questions. J’en ai conclu que la force de l’Eglise venait de la patience, de la persévérance et de la volonté d’accepter la réalité de la foi. Cela m’a fait penser que notre pauvreté, notre souffrance et notre persécution sont les trois colonnes qui fortifient l’Eglise.
Comment le gouvernement laotien a-t-il réagi à votre élévation au cardinalat ?
A l’heure actuelle, il n’y a eu aucune réaction de la part du gouvernement. Il n’y a pas de déclaration officielle directe. Je ne sais pas si le gouvernement comprend l’importance du cardinalat, ce qu’il signifie pour eux, son devoir et sa responsabilité au sein de l’Eglise.
Cependant, il y a une demande de rendez-vous. Il y a des catholiques qui occupent des postes importants au sein du gouvernement. Ils m’ont fait parvenir une invitation. Je serais heureux d’accepter leur invitation. J’aimerais trouver des moyens de coopérer et d’entretenir de meilleures relations avec le gouvernement.
Après la prise de contrôle par les communistes en 1975, Mgr Banchong a été détenu, « rééduqué », pendant plus de neuf ans. Combien d’années avez-vous été détenu et comment avez-vous vécu ce temps ?
J’ai été détenu pendant trois ans. L’arrestation et l’éventuelle incarcération m’ont effrayé au début. Je me demandais : « Pourquoi m’arrêteraient-ils ? » Plus tard, ils m’ont fait part de la raison de mon arrestation : « Vous faites la promotion de Jésus-Christ. »
Je l’ai accepté, comme c’était vrai. Ils avaient raison, je « promouvais » Jésus. C’était une accusation exacte.
Quel est l’état de la relation entre l’Eglise catholique et le gouvernement maintenant ? Dans quelle mesure est-ce difficile de fournir des services pastoraux aux fidèles ? Quid de l’évangélisation ? Existe-t-il des restrictions concernant les activités de l’Eglise ?
Au niveau central et départemental, il n’y a pas de problème. Mais le problème se trouve au niveau des gouvernements régionaux et municipaux. C’est comme ça à travers tout le pays, car les relations de travail entre les gouvernements centraux et régionaux ne se déroulent pas d’une manière correcte.
[En ce qui concerne le travail pastoral de l’évangélisation], oui, c’était interdit d’enseigner Jésus et l’Evangile. Il existe des dispositions qui interdisent le travail de diffusion de l’enseignement de Jésus.
Mais en réalité, parfois, elles ne sont pas mises en œuvre. Cela dépend de chaque région. Dans certaines régions, il n’y a pas de problème pour évangéliser grâce aux catéchistes et aux services pastoraux. Dans d’autres, il pourrait y avoir des difficultés. Ailleurs, enfin, c’est tout à fait dangereux.
En fait, chaque région ou ville encadre différemment la liberté religieuse. Les prêtres peuvent se déplacer pour célébrer la messe. Dans n’importe quel village, il existe déjà une paroisse ou une église, il n’y a pas de problème.
Mais il y a un problème si vous construisez une nouvelle église parce que c’est quelque chose de nouveau. Mais un tel problème peut être discuté avec les autorités locales. Nous devons établir des liens avec eux et parler avec eux. C’est facile à un endroit, mais peut-être moins facile ailleurs. Plus important encore maintenant, lorsque nous voulons structurer une nouvelle communauté, nous devons connaître la langue et le système. Nous devons parler avec les autorités locales et les rendre acceptables pour les deux parties.
Vous êtes ici aux Etats-Unis pour une messe d’action de grâce à l’intention des dix-sept martyrs récemment béatifiés. Comment le gouvernement et le Pathet Lao ont-ils pu autoriser la cérémonie de béatification de martyrs morts du fait des communistes ? Le gouvernement ne se sent-il pas offensé ?
Nous ne nous concentrons pas sur le fait que nos martyrs ont péri de la main des communistes. En fait, tous n’ont pas été tués par les communistes. Il y avait d’autres raisons.
En tout cas, nous avons demandé au gouvernement d’organiser une cérémonie de béatification dans notre propre pays. Ils nous ont donné la permission d’organiser cet événement. Que signifie cette autorisation ? Cela signifie qu’au moins le gouvernement a compris qu’il fallait établir des relations entre l’Eglise et le gouvernement. Des relations a minima peut-être mais des relations tout de même.
C’est la raison pour laquelle nous n’utilisons pas le terme de « martyrs ». Nous avons utilisé un mot meilleur et juste pour décrire ces martyrs. Nous les appelons les « ancêtres de la foi ». En vérité, c’est le terme le plus approprié. Si nous n’avons pas les ancêtres de la foi, il n’y a pas de martyrs. Tout le monde peut accepter ce terme.
Je crois que non seulement le gouvernement, mais tout le monde, peut accepter cela comme normal – une célébration d’action de grâce pour nos ancêtres de la foi. C’est notre logique, et c’est ce qui est acceptable par le gouvernement. Nous ne nous opposons pas du tout au gouvernement.
Vous rejoignez le collège des cardinaux et le Laos est maintenant, en quelque sorte, sur la carte. Que souhaitez-vous voir se développer concernant les relations entre le gouvernement et l’Eglise au Laos ?
Notre pays a avancé. Il s’est largement ouvert. En vérité, parfois, le gouvernement peut proposer des lois et des règlementations restrictives. Mais néanmoins, on peut dire qu’il est flexible.
Regardez les relations diplomatiques entre le Saint-Siège et les pays d’Asie du Sud-Est. La Birmanie entretient désormais des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, à la suite de la récente visite d’Aung San Suu Kyi auprès du pape François. Le Vietnam, qui a déjà établi une forme de relation avec le Saint-Siège, est en train d’avoir un nonce installé à Hanoi. La Thaïlande et le Cambodge entretiennent également des relations diplomatiques. Seul le Laos n’a pas de relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Il y a un point d’interrogation sur cette relation et je travaille sur ce sujet.
Nous pouvons changer la façon de penser du gouvernement. Nous sommes un ami. Nous avons besoin de construire une amitié. Si les deux parties travaillent ensemble, nous pouvons prévoir une meilleure relation.
Dans un pays où l’on dénombre 45 113 catholiques, parmi 6,4 millions d’habitants, qui sont servis par 20 prêtres, 98 religieux et religieuses, dans 218 paroisses, y a-t-il un effort pour travailler sur les priorités pastorales ? Qu’en est-il du travail des catéchistes ?
La plus importante réalisation est à Thakhek, car c’est là que se trouve le grand séminaire. Nous nous aidons mutuellement à le faire grandir. Au début, il n’était pas bien développé. Le programme d’études et les cours n’étaient pas bien organisés car les professeurs de séminaire ne pouvaient se consacrer pleinement à l’enseignement. Les enseignants thaïlandais n’étaient pas suffisamment engagés. On leur a demandé d’enseigner sept jours, mais ils n’ont enseigné que trois jours. Nous avons ensuite décidé d’utiliser le personnel des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée et de la Société des Missions Etrangères de Paris. Ils enseignent en lao. Nous avons environ quinze séminaristes cette année au grand séminaire.
Concernant les catéchistes, j’ai toujours été impliqué auprès d’eux. J’ai été le directeur d’une école de formation de catéchistes avant mon incarcération. Après ma libération, j’ai continué le travail à Paksan et plus tard à Paksé quand j’ai été nommé vicaire apostolique là-bas.
Même si je ne dirige pas directement le programme maintenant, je leur donne toujours des orientations. Je n’ai jamais abandonné ce ministère. Maintenant, en tant qu’administrateur de Vientiane, il y a plus de catéchistes, anciens et jeunes. Nous n’avons plus d’école car il est difficile d’avoir un programme avec un directeur qui prépare et met en œuvre une formation. Nous avons organisé un nouveau système avec une série de sessions. Nous les faisons venir à chaque session, ce qui nous est aussi plus simple financièrement.
Les catholiques représentent un petit pourcentage de la population totale. La majorité des Laotiens sont des bouddhistes. Les évêques asiatiques ont défini le dialogue interreligieux comme l’une de leurs priorités. Pourriez-vous parler de la situation interreligieuse dans votre vicariat ?
Il n’y a pas de problème concernant les relations avec nos frères et sœurs bouddhistes. Mais entre les catholiques et les autres chrétiens, il peut exister quelques problèmes. Chacun d’entre nous a une manière d’évangéliser différente. Nos frères chrétiens peuvent avoir un programme développé d’évangélisation et peuvent attirer beaucoup l’attention. Notre programme, au contraire, est simple et discret.
Le problème réside dans la compréhension de la tradition et de la culture. Par exemple, nous pensons qu’une cérémonie de baci est un événement traditionnel, un rassemblement de personnes pour prier à l’intention de certaines personnes, à certaines occasions. D’autres groupes chrétiens pourraient voir une telle cérémonie comme l’adhésion à l’animisme. Chacun a une opinion différente à ce sujet, donc un dialogue ne résout rien.
(eda/pm)