Eglises d'Asie

A Marawi, inquiétude pour le prêtre otage, des musulmans sauvent des chrétiens

Publié le 29/06/2017




Le gouvernement philippin exclut de négocier la libération du P. Chito Suganob, enlevé par des alliés de Daesh à Marawi, le 23 mai, veille de la fête liturgique de la sainte patronne de la cathédrale de Marawi. La dernière preuve de vie du vicaire général de Marawi remonte au 25 juin.

Selon l’armée philippine, le P. Chito Suganob a été aperçu en vie lors d’un cessez-le-feu humanitaire de quelques heures, à l’occasion de l’Aïd el-Fitr, la fin du ramadan. « C’est ce qu’indique les informations transmises par les civils secourus », a déclaré le lieutenant-colonel Jo-Ar Herrera. « Nous ignorons les détails de son état de santé », a ajouté le porte-parole de l’armée avant d’assurer que les témoignages recueillis étaient suffisants pour établir « une preuve de vie » du prêtre.

Le même jour, les ravisseurs ont proposé de libérer le prêtre en échange de la relaxe des parents des frères Maute, accusés de soutenir et financer le groupe terroriste. Jesus Dureza, conseiller présidentiel pour la paix, a décliné une offre jugée « impossible à accepter » : « Si nous cédons à leurs exigences, cela pourrait être assimilé à une reconnaissance de leur pouvoir à terroriser. Et donc la négociation n’est pas une option. »

« Nous sommes très préoccupés », a réagi l’évêque de Marawi, Mgr. Edwin de la Peña, interrogé par l’agence Fides. « Les terroristes ont proposé un échange de prisonniers. Pour libérer le P. Teresito ‘Chito’ Suganob, ils ont demandé la libération des parents et de membres de la famille d’Abdullah et Omar Maute, les responsables du groupe. Le gouvernement a refusé, et le président Rodrigo Duterte a réaffirmé qu’il ne négociera pas avec les terroristes (…) Nous nous trouvons dans une phase très délicate dans le cadre de laquelle il faudra trouver une solution acceptable. »

« La négociation n’est pas une option »

Toujours au cours du cessez-le-feu du 25 juin, des responsables musulmans ont rencontré Abdullah Maute pour réclamer la libération du prêtre catholique. « Au cours de ces derniers jours, poursuit l’évêque de Marawi, nous avons eu une rencontre de la Conférence des Evêques et des oulémas (BUC) qui rassemble des responsables chrétiens et musulmans de Mindanao. La Conférence suggère au gouvernement d’opter pour une approche inclusive afin de résoudre la crise, en impliquant les responsables musulmans et en les mettant en première ligne dans les négociations. »

De son côté, la principale force séparatiste musulmane de Mindanao, le Front moro islamique de libération (MILF), en pourparlers de paix avec le gouvernement, n’a pas encore tranché pour participer ou non aux négociations avec le groupe Maute, composé de membres dissidents du MILF, tel le père des frères Maute. « Quant à savoir si le MILF est prêt à s’engager dans une telle responsabilité, je l’ignore, admet Mohagher Iqbal, le représentant du MILF dans les pourparlers de paix. Ce qui se passe à Marawi, en particulier les relations avec le clan Maute, est un sujet tellement sensible. Nous restons extrêmement prudents. »

Au premier jour de son assaut, le 23 mai, le groupe Maute avait enlevé le prêtre catholique et des paroissiens en pleine messe, à la cathédrale de Marie Secours des Chrétiens, alors qu’ils s’apprêtaient à célébrer la fête liturgique de sa sainte patronne le lendemain. Les assaillants avaient ensuite saccagé puis incendié le principal édifice catholique de la ville. Les responsables musulmans avaient condamné cet acte jugé « contraire à l’Islam ».

Plus d’un mois après le début des affrontements dans la plus grande ville musulmane du principal pays catholique d’Asie, le bilan humain, proche des 400 morts, dépasse celui des dernières attaques de Daech hors Irak et Syrie.

En raison de sa longue barbe, P. Chito Suganob, vicaire général de Marawi, était souvent « pris pour un imam », raconte le site local d’informations Rappler. Décrit comme quelqu’un de « jovial », le prêtre de 56 ans est « apprécié autant par les chrétiens que par les musulmans ». Par respect selon lui de ses confrères musulmans, P. Chito Suganob avait décidé de ne pas accrocher de crucifix à l’extérieur de son église.

« Une foi sincère reste toujours optimiste, pleine d’espérance »

Malgré les risques pour sa propre sécurité, le prêtre catholique avait saisi l’opportunité du dialogue interreligieux, alors que « beaucoup de fois, il s’était retrouvé au milieu d’échanges de tirs », fait remarquer l’évêque de Marawi, Mgr. Edwin de la Peña. A chaque bombardement, le prélat tressaille, par crainte que les frappes militaires ne tuent les civils toujours retenus en otage dont le prêtre.
 

Alors que les initiatives interreligieuses demandant la fin de la crise se multiplient à travers l’archipel, à Marawi, des musulmans sauvent la vie de chrétiens en les cachant par dizaines chez eux, jusqu’à leur distribuer des voiles pour tromper les terroristes, qui ont juré d’exécuter tous les non musulmans et ceux qui les protègent.

Politicien local respecté, Norodin Alonto Lucman a ainsi hébergé plus de 70 personnes chez lui, dont la moitié de chrétiens, durant onze jours. Dans leur fuite, les civils ont été arrêté par des membres de Maute à la recherche des chrétiens. « Nous avons crié ‘Allahu akbar’ », raconte Jaime Daligdig, un employé de construction chrétien, car selon Reuters c’est ce que lui avaient dit de faire ses voisins musulmans avant que les terroristes ne le laissent finalement passer.

A l’occasion de l’Aïd el-Fitr, l’unique cardinal de Mindanao, Mgr. Orlando Quevedo, a réitéré son appel à la paix à Marawi : « Une foi sincère et profonde reste toujours optimiste. Elle est pleine d’espérance. Son rêve est que la signification du ramadan devienne réalité pour nous tous. »

(eda/md)