Eglises d'Asie – Inde
Les chrétiens se félicitent de la défaite de Narendra Modi aux élections de l’Etat de Delhi
Publié le 12/02/2015
… au pouvoir depuis moins d’un an, et dont le nationalisme exacerbé inquiète de plus en plus les minorités indiennes et la communauté internationale.
Mardi 10 février, le verdict des électeurs est tombé, soit moins d’une semaine après la répression violente de la manifestation pacifique des chrétiens dans la capitale indienne où ils protestaient contre les attaques des hindouistes à l’encontre de leur communauté, en augmentation exponentielle depuis l’avènement du BJP à la tête de l’Inde.
La défaite est encore plus éclatante que ne l’avait été la victoire du candidat au poste de Premier ministre en mai dernier. Le BJP n’a en effet obtenu que 6 sièges sur les 70 sièges à pourvoir à l’Assemblée, alors que son rival, le parti anti-corruption Aam Aadmi Party (Parti de l’homme du peuple, AAP), mené par Arvind Kejriwal, a raflé 63 sièges.
A l’annonce des résultats mardi dernier, la majorité des médias indiens ont mis l’accent sur le retournement brutal de l’opinion publique qui avait massivement opté pour le BJP en mai 2014 en réaction au Parti du Congrès jugé gangréné par la corruption. Aujourd’hui, dans cet Etat de près de 17 millions d’habitants, c’est cette même accusation, laquelle avait servi d’argument électoral à Narendra Modi, qui vient de se retourner contre lui.
Mais, a ajouté l’archevêque de Delhi, dans une déclaration publique diffusée le 10 février, cette défaite cuisante est surtout un « désaveu de la politique du BJP » à l’encontre des minorités non hindoues de l’Inde. « Ces élections ont été affectées, de façon négative pour le BJP, par les récentes attaques contre les églises », a argumenté Mgr Couto, rappelant que c’était dans l’Etat de Delhi que le plus d’agressions avaient été dernièrement rapportées. La répression de la manifestation du 5 février, très médiatisée, avait ensuite achevé de convaincre la population de l’Etat de Delhi, de la « volonté politique du BJP de soutenir les attaques antichrétiennes ».
Une analyse partagée par l’ensemble des communautés chrétiennes de Delhi. « Nous sommes convaincus que la violence qui a été enregistrée à Delhi a eu des conséquences sur le résultat du scrutin, a affirmé le P. Savarimuthu Sankar, porte-parole de l’archidiocèse. Cela prouve que la campagne de haine ne paie pas et que ceux qui font usage de la religion à des fins politiques sont perdants. »
Une analyse partagée par Sajan George, président du Global Council of Indian Christians. « Des millions de personne ont voté contre le BJP, indignées par les exactions des forces nationalistes radicales », a t-il déclaré, ajoutant que les résultats du scrutin étaient dus sans aucun doute à « l’intolérance croissante à l’égard des minorités, les profanations et le vandalisme contre les églises à Delhi et le silence complice du gouvernement fédéral à propos des violences contre les chrétiens ».
Quant au P. Ajaya Kumar Singh, militant des droits de l’homme et prêtre de l’Orissa, il a exprimé sa conviction qu’avec « la victoire de l’AAP à Delhi, les forces fascistes de l’hindutva seraient désormais surveillées (…) et que la politique de l’Etat inclurait justice, égalité et dignité humaine ».
Pour l’Eglise, le résultat de ce scrutin est en tout cas un « message fort adressé au gouvernement central » de l’Union indienne. « Nous espérons qu’à partir d’aujourd’hui, la vague de violence qui a frappé les églises retombera et que le nouveau gouvernement pourra faire respecter les valeurs inscrites dans la Constitution indienne en s’engageant en faveur de l’harmonie sociale et religieuse et du soutien aux populations les plus pauvres et les plus marginalisés », a souhaité l’archevêque de Delhi, appelant Narendra Modi à « envisager sérieusement de remettre en question son comportement ».
Le BJP semble avoir déjà tiré les leçons de cette première et cuisante défaite, comme en atteste le tweet adressé par Narendra Modi ce jeudi 12 février à un groupe de fidèles qui devaient inaugurer ce dimanche 15 février un temple hindou consacré au Premier ministre. « J’ai entendu parler d’un temple qui aurait été édifié à mon nom, a-t-il écrit aujourd’hui. J’ai été choqué (…) et cela m’a attristé ; c’est contre les traditions indiennes et je vous demande de ne pas faire une telle chose. »
Le Premier ministre ne pouvait cependant ignorer l’existence de ce temple, ironisent ses détracteurs, soulignant que le sanctuaire, édifié depuis 2006 dans le village de Rajkot, dans le Gujarat, Etat dont Narendra Modi était le gouverneur avant d’être élu Premier ministre de l’Inde, rassemblait des fonds pour le remplacement d’une photo du leader BJP par une statue depuis plus de deux ans.
Outre cette réaction post-électorale de Narendra Modi au sujet de la déification dont il est l’objet depuis des années, le BJP s’est efforcé au maximum de minimiser les conséquences du revers électoral de Delhi. Interviewé sur la chaîne de télévision NDTV, le porte-parole du parti, Narasimha Rao, a notamment déclaré qu’il ne « s’agissait que d’une élection où des facteurs locaux l’avaient emporté, alors que l’ensemble du pays approuvait sans aucune réserve la politique du Premier ministre ».
Il reste néanmoins certain que cette défaite contrecarrera les efforts de Narendra Modi pour consolider son pouvoir et mettre en place les réformes économiques promises, telles la loi sur l’acquisition des terrains ou la réforme de la fiscalité, le BJP n’ayant pas la majorité à la Chambre haute du Parlement.
(eda/msb)