Eglises d'Asie – Inde
Réunis en assemblée plénière, les évêques catholiques se défendent de chercher à convertir les hindous
Publié le 02/02/2017
… la conférence de presse donnée par les évêques en ouverture de leur assemblée plénière a été l’occasion de constater la place particulière et délicate d’une communauté religieuse très minoritaire et néanmoins en bute à des soupçons récurrents de prosélytisme agressif.
Le 30 janvier, le cardinal Oswald Gracias répondait aux questions de la presse en prévision de la tenue de l’assemblée plénière. Un journaliste lui a demandé si la nomination par le pape des évêques en Inde ne relevait pas d’une ingérence du Vatican dans les affaires intérieures de l’Inde. Archevêque de Bombay (Mumbai), président de la CCBI (Conference of Catholic Bishops of India) (1), président de la FABC (Fédération des Conférences épiscopales d’Asie) et membre du « C 9 », les neufs cardinaux choisis par le pape François pour le conseiller dans son entreprise de réforme de la Curie romaine, le cardinal Gracias est une figure de poids de l’Eglise universelle et de l’Eglise en Inde. Il a répondu avec calme et pédagogie à la question qui lui était posée. Non, il ne s’agit pas d’une ingérence dans les affaires de l’Inde, a-t-il expliqué, précisant que « bien souvent le pape ne connaît pas les candidats pressentis à l’épiscopat et que par conséquent on ne peut pas parler d’ingérence ». Mgr Gracias a rappelé que le pape choisissait les futurs évêques sur une liste de trois noms qui lui était soumise, liste arrêtée à l’issue d’un processus de sélection dans lequel les responsables des Eglises locales tiennent une place centrale.
L’inquiétante inaction des autorités étatiques face aux agressions visant les chrétiens
Interrogé sur le fait de savoir si l’Eglise trouvait difficile d’œuvrer dans un environnement où elle fait constamment face à l’accusation de chercher à convertir les hindous au christianisme, le cardinal a répondu qu’« il n’y avait là rien de nouveau ». « Nous sommes ici pour annoncer un message d’amour et de paix, pas pour ‘faire’ des conversions religieuses. Nous ne pourrons jamais forcer quiconque à se convertir, nous souhaitons que chacun se montre pleinement fidèle à sa propre religion », a-t-il affirmé, en ajoutant, sur un mode faussement interrogatif : « Si nous convertissions sans relâche, pourquoi donc la population chrétienne de ce pays demeure-t-elle obstinément sous la barre des trois pour cent ? » (2).
A une question sur le sentiment d’insécurité qui peut être ressenti par les chrétiens indiens, l’archevêque de Bhopal, Mgr Leo Cornelio, a répondu que « oui, des groupes périphériques nous attaquent et nous menacent », mais que ce qui l’inquiétait le plus était « la léthargie dont faisaient preuve les institutions censées défendre l’Etat de droit », allusion à peine voilée au fait que, notamment dans les Etats contrôlés par le BJP (Parti du peuple indien), le parti nationaliste hindou au pouvoir au plan fédéral et dont est issu le Premier ministre Narendra Modi, la police et la justice, souvent, ne font pas preuve de diligence lorsque des chrétiens sont victimes d’agression.
La délicate juxtaposition des droits particuliers et du droit commun
Toujours en réponse à une question de la presse, le cardinal Gracias a tenu à préciser qu’« il n’existe pas de conflit entre les pratiques de l’Eglise et les lois en vigueur » en Inde. La question posée renvoyait à une récente décision de la Cour suprême. Ce 20 janvier, les juges suprêmes, saisis d’une affaire présentée par un avocat catholique il y a quatre ans de cela, ont statué que les tribunaux civils ne pouvaient reconnaître la validité d’une reconnaissance de nullité de mariage prononcée par un tribunal ecclésiastique. Ce faisant, les juges de la Cour suprême placent dans une situation très délicate les catholiques qui se sont remariés après que leur premier mariage a été reconnu nul car, au regard du Christian Divorce Act de 1872, loi toujours en vigueur, ils commettent le crime de bigamie.
Cette affaire et ce jugement connaîtront assurément des suites dans les mois à venir ; ils s’inscrivent dans le débat plus vaste qui a cours actuellement sur la nécessité ou non de doter l’Inde d’un Code civil unique. Actuellement, en vertu du principe de la liberté religieuse, chaque communauté religieuse applique son propre code en matière de droit privé et la Constitution fédérale leur garantit la faculté de suivre leurs propres règles en matière de mariage, divorce, héritage et adoption. Le projet d’un code civil unique, s’il présente des avantages, soulève de vives inquiétudes, notamment parmi les minorités religieuses qui craignent que les nationalistes hindous cherchent à imposer, sous couvert d’uniformité, un code civil inspiré de l’hindouisme.
Défendre la famille face aux attaques idéologiques dont elle fait l’objet
Une fois ces questions répondues, les évêques indiens ont présenté à la presse le thème retenu pour la 29e assemblée plénière, à savoir « Promouvoir la joie de l’amour dans nos familles ». Selon Mgr Leo Cornelio, « il ne s’agit pas de s’intéresser aux seules familles catholiques ». L’Eglise a toujours eu à cœur le bien-être et le bonheur de tous, quelles que soient les différences d’appartenance linguistique ou religieuse, a poursuivi l’archevêque. « Dans nos discussions, nous porterons l’accent sur l’aide à apporter aux jeunes couples pour faire face aux difficultés de la vie de famille et à la nécessité de mener une vie exemplaire, notamment pour élever des enfants. La perte de la confiance au sein des familles, des familles nucléaires en particulier, nous semble poser un vrai problème », a expliqué Mgr Cornelio. Le cardinal Gracias a ajouté : « La famille est sacrée et nous nous devons de la protéger. Trop d’idéologies autour de nous visent à détruire les valeurs familiales. Notre message d’amour pour les familles doit donc toucher chacun, sans exclusion. »
Secrétaire général du synode des évêques, le cardinal italien Lorenzo Baldisseri est présent auprès des évêques durant cette assemblée plénière. Nonce en Inde de 1999 à 2002, il connaît bien le pays et l’Eglise locale. Rien cependant n’a été annoncé par lui ou les évêques quant à la future visite du pape François en Inde. On se souvient que, le 2 octobre dernier, dans l’avion qui le ramenait vers Rome après un voyage de trois jours en Géorgie et en Azerbaïdjan, le pape François avait annoncé comme « presque sûr » un déplacement en Inde et au Bangladesh. Ce voyage, sensible étant donné la présence des nationalistes hindous au pouvoir à New Delhi et la montée de l’islamisme au Bangladesh, devrait avoir lieu dans le courant de cette année 2017 – le cardinal-archevêque de Dacca, Mgr Patrick D’Rozario, l’a confirmé en décembre dernier à Eglises d’Asie –, mais pour l’heure ni dates ni programme n’ont été annoncés.
(eda/ra)