Eglises d'Asie

Résolument mais prudemment, l’Eglise catholique s’engage pour la paix à Mindanao

Publié le 13/04/2015




Alors que les auditions devant le Congrès philippin se succèdent pour étudier la Loi fondamentale sur le Bangsamoro et avant que les élus de la nation ne se prononcent en juin prochain sur ce texte qui organise la future région autonome musulmane à Maguindanao, l’Eglise catholique s’engage, dans un mélange de …

… ferme résolution et de prudence assumée, en faveur de la paix dans le Sud philippin.

Mgr Orlando Quevedo est l’un des évêques de l’Eglise des Philippines qui est le plus directement concerné par la mise en place d’un accord de paix entre le gouvernement de Manille et la minorité musulmane de Mindanao. Il est en effet archevêque de Cotabato, une ville enclavée dans la province de Maguindanao où les musulmans sont majoritaires et qui deviendra le cœur du Bangsamoro (‘la terre des Moros’) au cas où la BBL (Bangsamoro Basic Law, BBL) soit votée en juin prochain.

Le 6 avril dernier, le cardinal Quevedo (il a été créé cardinal le 22 février 2014 par le pape François) a annoncé la mise en place de « Friends for Peace », un groupe formé de responsables locaux, chrétiens, musulmans et issus des peuples autochtones, qui s’engagent pour « le dialogue et la consultation » en vue de soutenir la mise en œuvre de l’accord de paix signé le 27 mars 2014 à Manille entre le gouvernement philippin et le principal mouvement musulman rebelle, le MILF ou Front moro de libération islamique. Selon le cardinal, le groupe réunit des personnalités qui ambitionnent de « former une écologie humaine de l’harmonie et de la paix » entre les différentes composantes ethniques et religieuses des Philippines afin de faire advenir la paix à Mindanao, ce Sud philippin meurtri par plus de trente années de guerre plus ou moins larvée.

Ce faisant, le cardinal s’est singularisé d’une autre initiative pour la paix, menée celle-ci par le gouvernement philippin. A la fin du mois de mars dernier en effet, Manille avait annoncé la formation d’un « Conseil pour la paix » dont l’une des fonctions sera d’organiser un « Sommet national pour la paix » afin d’étudier en détail les dispositions prévues par la BBL. Cinq personnalités siègent à ce conseil : un ancien président de la Cour suprême, une ancienne ambassadrice près le Saint-Siège, un riche homme d’affaires, un responsable d’un mouvement de la jeunesse musulmane ainsi que le cardinal Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille.

Ce 13 avril, Mgr Quevedo a fait savoir qu’il déclinait l’offre qui lui était faite de se joindre à ce Conseil pour la paix étant donné son « engagement auprès de Friends for Peace ». Le cardinal Quevedo a précisé qu’il estimait « parfaitement louable » l’initiative de la présidence de la République et de son Conseil pour la paix, mais il a ajouté que le processus de paix à Mindanao nécessitait « une analyse sobre et objective » des dispositions inscrites dans la BBL. Après tant de souffrances et de divisions, le prélat a déclaré que les Philippins ne pouvaient se permettre que « l’auto-détermination à laquelle aspirent depuis si longtemps les Moros » devienne « un mot vide de sens ».

Selon les observateurs, si les évêques de l’Eglise catholique veulent croire à une paix possible à Mindanao à travers la mise en place du Bangsamoro, ils savent la situation très sensible et le vote de la BBL loin d’être acquis. Depuis le sanglant raid raté mené le 25 janvier dernier par les forces spéciales de la police à Maguindanao (67 morts dont 44 policiers d’élite), une partie de l’opinion et des élus au Congrès ne cachent pas le peu de confiance qu’ils font au MILF pour bâtir la paix. Le 1er avril dernier, l’armée a annoncé qu’elle mettait un terme à son offensive « tous azimuts » contre le BIFF, après avoir abattu 151 membres de ce groupe dissident du MILF, en avoir blessé 65 autres et capturé une douzaine, mais la fin des opérations militaires et la réorientation des soldats vers des « opérations de paix et de développement » ne suffisent pas à rétablir la confiance. Ce lundi 13 avril, lors d’une audition publique au Sénat, le sénateur Ferdinand ‘Bongbong’ Marcos Jr a mis au défi le négociateur en chef du MILF de dévoiler sa véritable identité. Mohagher Iqbal lui a répondu que le nom qu’il portait était un « nom de guerre » et que, pour des « raisons de sécurité » le concernant et concernant sa famille, il ne dévoilerait pas son vrai nom avant le vote de la BBL.

Le même Mohagher Iqbal, lors d’une conférence de presse devant l’Association des correspondants de la presse étrangère aux Philippines, avait, quelques jours plus tôt, affirmé que des prélats aussi importants que le cardinal Tagle, le cardinal Quevedo ou Mgr Antonio Ledesma, archevêque de Cagayan de Oro, étaient en faveur du vote en l’état de la BBL. Le 12 avril, le P. Jerome Secillano, secrétaire exécutif du Comité permanent pour les Affaires publiques de la Conférence épiscopale des Philippines, a publié une mise au point. « Dire, comme le fait Iqbal, que l’Eglise catholique est favorable à la BBL permettra-t-il de changer l’opinion de nos législateurs, particulièrement ceux parmi eux qui sont contre [cette loi] ? », écrit le prêtre.

« Pourquoi le gouvernement et Iqbal ne peuvent-ils pas commencer par explorer d’autres voies vers la paix, des voies qui seraient acceptables par tous ?, continue le responsable catholique. Iqbal n’a-t-il pas réalisé que l’opposition des législateurs à la BBL n’était pas nécessairement motivée parce qu’ils estimaient que c’était ce que voulaient leurs électeurs mais plus fondamentalement parce qu’ils pensaient qu’en l’état, la BBL ne peut pas garantir la paix à Mindanao ? » Connu pour ne pas être un partisan de la BBL, le P. Secillano ajoute que si tout le monde souhaite que Mindanao devienne une région prospère et vivant en paix, il est faux de dire que ceux qui rejettent la BBL sont contre la paix. Le 8 avril, le président de la Conférence épiscopale, Mgr Socrates Villegas, avait laissé entendre que la BBL était une solution « simpliste » à « une histoire et des problèmes compliqués », refusant le chantage mis en avant par certains selon lequel le rejet de cette loi signifierait « le retour à la violence et un bain de sang ».

(eda/ra)