Eglises d'Asie

A lire dans La Croix : « J’ai visité la seule église catholique de Corée du Nord »

Publié le 02/11/2017




A lire dans le quotidien La Croix : Dorian Malovic, chef du service Asie à La Croix, a obtenu un visa officiel de journaliste de 11 jours pour se rendre en Corée du Nord. Et il a notamment visite l’église catholique de Changchung à Pyongyang, l’unique église catholique du pays. Reportage.

Dans un pays où « on ne croit pas », en dépit d’un article de la Constitution qui garantit la liberté religieuse, l’envoyé spécial de La Croix a pu se rendre à l’église catholique de Changchung à Pyongyang, sans prêtre, sans évêque et sans baptisés. Reportage.

 

Le 4 X 4 Toyota entre dans la cour et l’église apparaît. Sobre, de couleur blanche et marron foncé, la façade extérieure laisse découvrir une petite rosace et un vitrail rectangulaire, surmontée d’une croix au sommet. Deux responsables en costume sombre classique attendent.

La veille, suite à ma requête, mon guide-accompagnateur Monsieur Pak avait téléphoné à son assistante pour organiser la visite de l’église catholique de Changchung sise au cœur de la capitale Pyongyang, construite en 1988. Si j’avais déjà visité des dizaines d’églises en Chine ces dernières années, cette visite dans l’unique église catholique de Corée du Nord était une première. Monsieur Pak me confesse également qu’il n’était encore jamais venu.

Après de rapides salutations, Kim Chol-un, président de l’Association des catholiques de Corée, se présente en insistant sur son prénom chrétien : « Francisco, comme le pape. » Le vice-président de l’Association, Cha Julio, plus jeune, ouvre la porte de l’église. « Please… » en invitant à entrer.

Les fidèles, de lointains descendants de catholiques

De larges vitraux non peints laissent entrer la lumière du soleil qui illumine la nef, les deux rangées d’une dizaine de bancs en bois, le chemin de croix de part et d’autre, deux tableaux de Marie et de Joseph. Le chœur reste dans l’ombre, illuminé par la bougie du Saint-Sacrement près du tabernacle.

Dans ce lieu, « 150 à 200 personnes viennent prier chaque dimanche matin pendant quarante minutes », assure Francisco. « Nous avons une cérémonie rituelle le dimanche, en revanche, personne ne vient durant la semaine. Vous devriez venir dimanche pour les rencontrer. »

Kim Chol-un explique que c’est lui qui « préside » la prière. Mais qui sont les fidèles ? « Ce sont de lointains descendants de catholiques qui ont tous plus de 60 ans aujourd’hui. » Se disent-ils catholiques ? « Oui, nos ancêtres nous ont légué la connaissance. » Et Cha Julio de préciser dans un anglais parfait : « Bien sûr nous sommes catholiques par nos arrières-grands-parents et Pierre avait baptisé nos ancêtres… »

Une église sans prêtre

« Il n’y a pas de prêtre ici, reconnaît Francisco. Nous sommes autonomes, indépendants, mais les gens qui viennent sont baptisés sinon ils ne pourraient pas entrer. » Baptisés par qui ? « Ils se sont baptisés entre eux depuis les origines de Pierre. » À ses yeux, le sacrement du baptême se serait donc transmis naturellement de génération en génération…

Mais comment expliquer la construction en 1988 de cette unique église catholique du pays ? « Notre leader Kim Il-sung nous a libéré du colonialisme japonais. Puis, en 1950, la guerre de Corée a détruit toutes les églises et les croyants se sont dispersés un peu partout », explique Kim Chol-un, qui omet de signaler comment Kim Il-sung, après sa conquête du pouvoir en 1948 soutenu par l’URSS, a voulu éradiquer les religions.

« Toutes les églises ont été détruites, les chrétiens, catholiques et protestants tués ou envoyés dans des camps », rappelle un missionnaire occidental qui vit depuis plusieurs décennies en Corée du Sud et qui a pu se rendre dans cette église de Pyongyang plusieurs fois. « On appelait Pyongyang, à l’époque, la Jérusalem de l’Est. Des milliers de catholiques y vivaient. Mais elle a été vidée de toute religiosité. Les quelques missionnaires étrangers, les Maryknolls (NDLR, cousins américains des Missions étrangères de Paris, MEP) ont été expulsés et les Coréens catholiques purgés. »

Une histoire sans pitié pour les catholiques de Corée

Au début de la guerre de Corée, lorsque les troupes du Nord ont conquis Séoul en moins de deux jours, des dizaines de prêtres, religieuses et catholiques ont été pris en otages et emmenés au Nord durant ce qu’on a appelé la « Marche de la mort ». Il y avait également des militaires américains dans le groupe et la majorité d’entre eux sont morts avant d’avoir atteint la frontière chinoise où ils ont été libérés. « Un prêtre des Missions étrangères de Paris a survécu, raconte encore le missionnaire, ainsi qu’une religieuse française du Carmel et une sœur de Saint-Paul de Chartres je crois… »

Dans ce contexte historique sans pitié, il est bien difficile de savoir si la poignée de « catholiques » visible aujourd’hui à Pyongyang a été choisie en fonction de leur filiation religieuse, mais c’est difficile à croire. Pour le prêtre de Corée du Sud, « ils sont des citoyens choisis pour effectuer cette tâche le dimanche et montrer au monde que la liberté religieuse existe en Corée du Nord. Ce sont des fonctionnaires ».

Francisco, lui, explique que ce sont eux qui auraient exprimé « l’ardent désir de voir une église construite en 1988 ». « Une fois le gouvernement informé, le président Kim Il-sung a fait don d’un terrain, de matériels et d’argent pour sa construction », assure-t-il. Selon lui, il existe 800 croyants à Pyongyang et 3000 dispersés dans toute la Corée du Nord. « Même sans prêtre, ils peuvent prier chez eux, par petits groupes de façon autonome. » Ces chiffres circulent à l’étranger, toujours les mêmes, mais il est impossible de vérifier.

Aucune relation diplomatique entre le Vatican et la Corée du nord

Des Églises protestantes sud-coréennes très anti-communistes et conservatrices défendent de leur côté l’idée d’une présence chrétienne clandestine ou réprimée par le régime. « Peut-être certains ont-ils été baptisés à Pékin, s’interroge notre missionnaire du Sud, je ne sais pas. Moi-même, j’ai pu célébrer plusieurs fois mais je n’ai jamais donné la communion, ce n’est pas possible s’ils ne sont pas baptisés. D’ailleurs, ils nous fuient et nous ne pouvons pas parler avec eux. »

Alors qu’il n’est ni prêtre, ni diacre, qu’il est marié et a deux enfants, Francisco assure qu’il distribue la communion avec des hosties consacrées par des évêques ou prêtres sud-coréens venus plusieurs fois en délégation officielle ces dernières années. « Un prêtre américain vient également célébrer ici parfois. Lui et les Sud-Coréens en laissent pour nous mais nous n’en avons plus en ce moment », déplore-t-il.

En invitant à se rendre dans la sacristie, Kim Chol-un montre fièrement une photo du pape Jean-Paul II recevant un couple de Nord-Coréens à Rome dans les années 1980. Juste au-dessus, une belle photo souriante du pape François est affichée près d’une icône de la Vierge aux yeux bridés offertes par des prêtres sud-coréens.

Officiellement l’évêque du diocèse de Pyongyang est l’archevêque de Séoul et aucun prêtre n’est en poste à Pyongyang. Aucun signe ou témoignage ne laisse croire qu’une « Église souterraine » aurait pu survivre depuis les purges de 1948. Aucune relation diplomatique n’existe entre le Vatican et la Corée du nord, ni aucun échange du type de ceux qui peuvent exister entre Rome et Pékin où la situation de l’Église n’est pas simple.

« Nous maintenons notre église vivante »

Fièrement, Francisco sort une magnifique Bible (Ancien et Nouveau Testament), « traduite par les chercheurs de l’Université Kim Il-sung ». Il dit en posséder une autre traduite par les Sud-Coréens, et une autre en latin. Comment ces « croyants » enseignent-ils le catéchisme à leurs enfants ? « Il n’y a rien à apprendre et les jeunes n’aiment pas venir le dimanche, mais nous maintenons notre église vivante », répond-il.

Le crépuscule s’installe lentement. La visite touche à sa fin mais avant de partir Francisco sort une « boîte à offrandes » pour les bonnes œuvres où l’on peut glisser quelques euros. Kim Chol-un et Cha Julio ont fait leur travail. Monsieur Pak n’attend pas que la voiture démarre pour m’ensevelir sous des tonnes de questions : le pape, les cardinaux, la Curie, les évêques, les prêtres, le baptême, la Bible, le catéchisme, les sacrements, les rituels, les règles, la légitimité ou légalité du fonctionnement de l’église de Pyongyang. Le repas du soir n’a été qu’une longue discussion sur l’Église catholique universelle, sa très longue histoire et son fonctionnement, qui s’est poursuivie très tard dans la nuit…

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La réalité religieuse en Corée du Nord

Selon les termes de la Constitution nord-coréenne, la liberté religieuse existe mais dans la réalité, il n’existe pas la moindre liberté religieuse sauf peut-être, selon plusieurs témoignages, pour la religion bouddhiste.

Dans tout le pays, il n’existe que quelques lieux de cultes officiels qui sont tous à Pyongyang : l’église catholique de Changchung, les deux temples protestants de Bongsu et Chilgol et enfin l’église orthodoxe de Chongbaek. Mais il n’y a aucun prêtre, pasteur ou pope à résidence.

Cultes et prières peuvent toutefois être pratiqués dans les enceintes diplomatiques étrangères par des prêtres de passage.

(article de Dorian Malovic, paru dans La Croix du 2 novembre 2017. Dorian Malovic a notamment écrit, avec la coréanologue Juliette Morillot, l’ouvrage La Corée du Nord en 100 questions, paru aux éditions Tallandier)