Eglises d'Asie

Nouvelle victoire du parti nationaliste hindou aux élections législatives dans le Gujarat

Publié le 19/12/2017




Pour la sixième fois consécutive, le parti nationaliste hindou a remporté les élections dans l’Etat du Gujarat, dans l’ouest de l’Inde. Un fief du nationalisme hindou dont le Premier ministre, Narendra Modi, a été ministre-président de 2001 à 2014, où les minorités sont marginalisées.

Lundi 18 décembre ont été rendus publics les résultats des élections qui se sont tenus les 9 et 14 décembre dans l’Etat du Gujarat. Le Bharatiya Janata Party (BJP, parti nationaliste hindou) a obtenu 99 des 182 sièges, ce qui lui assure une majorité. Le parti du Congrès a reconnu sa défaite mais a néanmoins amélioré sa position, en remportant 77 sièges, contre 61 en en 2012.

Sur Twitter, le Premier ministre, Narendra Modi, a remercié les électeurs pour « leur affection et leur confiance ». Ministre-président de cet Etat de 2001 à 2014, Modi s’était beaucoup engagé dans la campagne législative.

Depuis 1995, le BJP a remporté toutes les élections législatives dans cet Etat, considéré comme un fief du nationalisme hindou où la situation des minorités s’est dégradée. Les dirigeants BJP de cet Etat sont régulièrement critiqués pour leur inaction voire leur complicité dans les vagues de violences récurrentes et les pratiques discriminatoires à l’encontre des minorités.

En 2002, de violentes émeutes antimusulmanes

Sous le mandat de Narendra Modi, le Gujarat été témoin d’un évènement fondateur dans la marginalisation des minorités. En 2002, cet Etat a été le théâtre d’émeutes antimusulmanes qui ont provoqué, sous les yeux de la police, la mort de plus d’un millier de musulmans, les chiffres de l’époque étant bien supérieurs. La justice a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve de la responsabilité de Narendra Modi dans les émeutes, mais ce dernier reste soupçonné « d’avoir laissé faire » les massacres. A ce titre, en 2005, Modi s’était vu refuser un visa pour Washington. Bien que dénoncé par les intellectuels et les défenseurs des droits de l’homme, ce chapitre noir n’a jamais refroidi l’adhésion électorale de la population qui continue à créditer Narendra Modi d’une grande popularité.

Depuis l’arrivée de Narendra Modi à la tête du pays, en 2014, les observateurs soulignent un déclin dans la tolérance religieuse en Inde. Les brigades des extrémistes hindous ont pris de l’aisance et ne cachent pas percevoir l’islam et le christianisme comme des religions « étrangères ».

Une législation particulièrement rigoureuse concernant la protection de la vache

La protection de la vache, sacrée dans la religion hindoue, continue à être instrumentalisée par ce courant d’extrême-droite. Le Gujarat a mis récemment en place les peines les plus sévères, avec la possibilité d’un emprisonnement à perpétuité pour sanctionner l’abattage de l’animal (la loi précédente prévoyait une peine de sept ans d’emprisonnement).

De prétendues atteintes à la vache sont aussi le prétexte de confrontation avec les opprimés, les basses castes ou les minorités. Les incidents récurrents, caractérisés par de violentes agressions envers les transporteurs ou les commerçants de bétail faussement accusés de vouloir « tuer » des vaches, se sont multipliés. Ils visent généralement les musulmans et les dalits (anciennement Intouchables), qui vivent de ces métiers. Depuis 2010, plus d’une soixantaine de lynchages liés à ce « terrorisme de la vache » ont été répertoriés par les médias, la moitié ayant entraînée la mort. Les lynchages d’Una au Gujarat en juillet 2016 ont ainsi marqué les esprits, après que des miliciens extrémistes ont lynché à coups de barre de fer quatre dalits soupçonnés d’avoir abattu une vache, et l’incident avait donné lieu à une grève de la communauté dalit. Sans surprise, cette dernière s’est clairement dissociée du BJP lors de la campagne électorale au Gujarat. Tout comme l’importante caste hindoue des Patel, qui accusait le gouvernement de la léser et demandait l’obtention de « quotas » dans l’éducation et l’emploi public.

« Les forces nationalistes sont sur le point de conquérir le pays »

Le 21 novembre dernier, Mgr Macwan, archevêque de Gandhinagar, la capitale de cet Etat où les chrétiens représentent 0,51% de la population, et qui est également un dalit, a adressé à sa communauté un message qui met en lumière l’insécurité des minorités face aux forces nationalistes hindoues représentées par le BJP. «Nous sommes conscients du fait qu’est en jeu le tissu laïc et démocratique de notre pays, où les droits fondamentaux sont violés et les droits constitutionnels bafoués, dénonçait-il dans sa lettre. Pas un jour ne passe sans que nos églises, notre personnel ecclésiastique, nos fidèles ou nos institutions ne soient attaqués. Il existe un sentiment croissant d’insécurité au sein des minorités. (…) Les forces nationalistes sont sur le point de conquérir le pays.» Mgr Thomas Macwan invitait par ailleurs à réciter le chapelet en affirmant que « la prière sauvera notre pays ». Tout en soulignant que l’Eglise ne soutenait aucun parti, il en a appelait « à prier pour de bons dirigeants » qui seront « respectueux des droits de l’homme ».

Lors d’un rassemblement tenu le 4 décembre, Narendra Modi avait pris la peine de répondre à l’archevêque Thomas Macwan, sans le nommer. Il s’était dit « choqué » qu’« un homme de religion » tente d’influencer le vote des catholiques. Dans les médias, qui ont suivi l’incident de près, certains observateurs ont pris la défense de l’archevêque. « Sa volonté de tenter de sauver l’Inde des forces nationalistes est un acte de citoyenneté que nous devons soutenir, a ainsi estimé le professeur Shiv Visvanathan de l’université O.P. Jindal Global. Le message de Mgr Macwan est l’expression de son inquiétude et de son courage. »

Des minorités marginalisées dans un Etat « modèle »

« Les minorités des musulmans et des chrétiens, soit 11% de la population du Gujarat, ont été complètement marginalisées à la fois dans la société mais aussi dans le processus démocratique », estime pour sa part le quotidien The Telegraph. Le quartier où vivent les musulmans à Ahmedabad, la capitale du Gujarat, a ainsi des allures de ghetto qui sont symboliques de la division entre musulmans et hindous dans cet Etat.

Néanmoins, le Gujarat a été projeté comme un Etat « modèle » pour ses résultats économiques, grâce aux qualités de réformateur de Narendra Modi. Le BJP y vante notamment la prospérité, le dynamisme de son milieu des affaires, des routes impeccables et l’absence de coupures d’électricité. Cette perception avait d’ailleurs valu une victoire éclatante à Narendra Modi et à son parti aux législatives de 2014, avec l’idée que Narendra Modi allait reproduire ce modèle à l’échelle nationale.

« Le développement économique au Gujarat est réel, a expliqué l’analyste et spécialiste Ghanshyam Shah sur le site d’information Scroll.in. La classe moyenne s’est élargie, issue de différents groupes sociaux. Mais si vous prenez des indicateurs comme la santé, l’éducation, les violences contre les femmes, la situation des dalits et des Adivasis (aborigènes), le Gujarat se positionne derrière de nombreux autres Etats. » A ses yeux, le projet de développement du Gujarat « ne sert que les riches ». « Le sentiment d’insécurité croissant ne se limite pas seulement aux minorités ; le sens de l’appartenance à la caste s’intensifie », a-t-il ajouté. D’après l’organisation pour les droits civils Minority Coordination Committee Gujarat (MCCG), « les minorités au Gujarat sont encore plus défavorisées qu’ailleurs ».

Le BJP a également remporté les élections dans l’Himachal Pradesh, Etat du nord de l’Inde.