Eglises d'Asie

« Moon Jae-in propose un changement de politique total pour la Corée » – interview exclusive de Mgr Dupont, missionnaire en Corée depuis 1954

Publié le 12/05/2017




Le 9 mai dernier, les Sud-Coréens ont élu leur président de la République. A l’issue d’un scrutin au suffrage universel à un tour, c’est le candidat du Parti démocrate, Moon Jae-in, 64 ans, qui est sorti largement vainqueur avec 41 % des suffrages, contre 24 % à son adversaire immédiat, …

… le conservateur Hong Jun-pyo. Le taux de participation, de 77 %, est le plus élevé depuis vingt ans. Le lendemain, il prêtait serment à l’Assemblée nationale.

Moon Jae-in a remporté ces élections anticipées de quelques mois par rapport au calendrier normal du fait de la destitution de Mme Park Geun-hye en février dernier et de son incarcération pour « trafic d’influence ». Pour analyser la portée de l’élection de Moon Jae-in, un catholique, à la présidence de la république sud-coréenne, Eglises d’Asie a interrogé Mgr René Dupont, missionnaire présent en Corée depuis plus de soixante ans.

Ordonné prêtre pour les Missions Etrangères de Paris (MEP) le 29 juin 1953, René Dupont part pour la Corée le 27 octobre 1954. Vicaire de la cathédrale de Daejeon de 1955 à 1967, supérieur régional des MEP en Corée pendant un an, il devient évêque d’Andong en 1969 et dirige ce diocèse pendant vingt ans. Il démissionne en 1990 et occupe à nouveau la position de supérieur régional de 1995 à 2003. Mgr Dupont vit toujours dans le diocèse d’Andong.

Eglises d’Asie : Pouvez-vous nous présenter Moon Jae-in, le nouveau président de la République, qui a prêté serment le 10 mai ?

Mgr René Dupont : Moon Jae-in est issu d’une famille originaire de Corée du Nord : ses parents ont dû fuir au moment de la guerre de Corée [1950-1953]. Réfugié au Sud, Moon a vécu très humblement dans sa jeunesse.

Sur la scène politique, Moon n’est pas un inconnu : c’est un proche de l’ancien président Roh Moo-hyun [2003-2008] et, lors des dernières élections présidentielles, il s’était déjà présenté et avait été battu par Mme Park Geun-hye.

Il est perçu comme ayant une personnalité honnête et il a mené une campagne très claire. En faveur de l’emploi des jeunes, qui constitue une de ses priorités : c’est un problème important car tous les jeunes Coréens ou presque font des études universitaires mais ils ne trouvent pas nécessairement de travail. Et, surtout, en faveur d’une politique de dialogue avec la Corée du Nord. Pendant la campagne, il a osé dire que le futur président devrait savoir dire « non » aux Américains pour l’installation de boucliers anti-missiles sur la péninsule [le système THAAD en cours de déploiement dans le pays]. Il est donc manifestement et résolument de gauche, en faveur d’une politique de dialogue avec le Nord.

Le président Moon est classé à « gauche » ou au « centre-gauche ». A quoi correspond le clivage droite-gauche en Corée du Sud ?

Le clivage droite-gauche coréen diffère de l’interprétation française : il se situe autour de la question des relations avec la Corée du Nord. La droite entend mener une politique de fermeté vis-à-vis de la Corée du Nord tandis que la gauche, elle, est favorable à un dialogue avec Pyongyang. Rappelons que, depuis l’armistice de 1953, aucun traité de paix n’a été signé entre Pyongyang et Séoul.

Pendant la campagne électorale, les candidats de droite ont reproché aux candidats de gauche de « collaborer » avec le Nord, tandis que ceux de gauche ont critiqué la politique menée par la droite, qui a conduit les relations avec Pyongyang dans une impasse. Mais cette campagne a été très décevante, assez lamentable même. Les débats télévisés ont été épouvantables, parasités par des affaires de népotisme et de mœurs.

Ces quarante dernières années, droite et gauche ont alterné au pouvoir. Le dictateur Park, au pouvoir de 1961 à 1979, et ses successeurs étaient profondément opposés à la Corée du Nord. Lorsque la gauche a pris le pouvoir, dans les années 2000, un dialogue a été mené avec Pyongyang. Il y a eu des rencontres, des projets communs, on a même créé une zone de production industrielle en Corée du Nord, à Kaesong, grâce à des fonds provenant de Corée de Sud. Puis la droite est revenue au pouvoir, de 2008 à 2017. Désormais, la gauche va proposer de renouer un dialogue avec Pyongyang.

Après avoir prêté serment, le président Moon a d’ailleurs indiqué être prêt à se rendre à Washington, à Pékin, à Tokyo… et à Pyongyang. Moon propose un changement total de politique pour la Corée.

Pour autant, Séoul ne va pas négliger son allié américain : Moon a déjà été invité par le président Trump et il est probable qu’il se rendra rapidement aux Etats-Unis.

Comment la Corée du Nord a-t-elle réagi à l’élection du président Moon ?

Son élection est une occasion pour Pyongyang de sortir de son isolement, mais la Corée du Nord n’a pour l’instant pas encore réagi à son élection.

Le président Moon est catholique. Les catholiques occupent-ils une place singulière dans la vie politique du pays ?

Baptisé en troisième année de cours élémentaire, vers l’âge de 10 ans, Moon est un catholique pratiquant : il porte une bague, avec des petits crans. En réalité, c’est un dizainier, discret. Son programme témoigne de ses convictions : il est en faveur de l’abolition de la peine de mort, et opposé à l’euthanasie.

En Corée, les catholiques sont très engagés en politique. On en trouve dans différents partis, dans tous les partis. Les catholiques se préoccupent du bien commun.

Lors de ces élections, 77 % des Coréens ont pris part au vote : je pense que la participation des chrétiens, et de des catholiques en particulier, est encore plus importante. L’engagement des catholiques est tel que parmi les 300 membres que compte la Chambre, 20 % sont catholiques. La Corée compte six présidents de la République depuis l’élection du premier président civil en 1992 : quatre d’entre eux sont catholiques et deux sont protestants. Si Roh Moo-hyun et Park Geun-hye ne sont pas pratiquants, Kim Dae-jung et Moon Jae-in, eux, sont des catholiques pratiquants. Pourtant, les catholiques ne représentent que 10 % de la population dans la péninsule. C’est assez notable pour être souligné !

En France, il a été reproché à la Conférence des évêques de France de ne pas avoir pris position pendant l’entre-deux-tours des élections présidentielles. Qu’en est-il en Corée ?

La Conférence des évêques catholiques de Corée (CBCK) n’a pas donné de consigne de vote. Pendant la campagne, le président de la CBCK a envoyé un questionnaire pour poser des questions sur les programmes des candidats. Ce document était assez mal bâti et les deux candidats catholiques, Moon Jae-in et Sim Sang-jung, du Parti de la justice, sont les seuls à avoir répondu ; les autres candidats n’ont pas jugé nécessaire de répondre. Ce questionnaire a été publié dans la presse catholique, mais n’a pas non plus fait l’objet d’une diffusion particulière.

Après la publication des résultats, le président de la CBCK a transmis ses félicitations au président élu [consultables ici]. Les représentants des différentes religions ont fait parvenir leurs félicitations au président élu. Ici, les différents cultes entretiennent de bonnes relations avec les autorités. Faire parvenir ses félicitations constitue une marque de sympathie.

Vous qui vivez en Corée depuis soixante ans, que pensez-vous des résultats de cette élection ?

Je pense que les résultats de cette élection sont positifs. Ces dix dernières années, aucun dialogue avec la Corée du Nord n’a été engagé. Maintenant, il existe une volonté de nouer, de renouer un dialogue.

(eda/pm)