Eglises d'Asie – Philippines
Face à la politique antidrogue de Duterte, l’Eglise manifeste sur l’emblématique boulevard EDSA
Publié le 09/11/2017
Le 5 novembre dernier, l’Eglise catholique avait appelé à manifester contre la politique antidrogue du président Duterte sur le boulevard périphérique EDSA, lieu emblématique de la Révolution du peuple de 1986 qui avait abouti à l’exil du dictateur Ferdinand Marcos. Entre 600 et 3 500 personnes s’étaient mobilisées.
Selon le président de la conférence des évêques philippins Mgr. Socrates Villegas, archevêque de Lingayen-Dagupan, « cet appel à la réconciliation ne signifie pas fermer les yeux sur ce qui se passe, bien au contraire : il s’agit d’en prendre conscience et d’admettre nos erreurs. »
Des policiers repentis demandent à l’Eglise de les cacher
Début octobre, Mgr. Socrates Villegas avait révélé qu’un nombre indéterminé de policiers auteurs de tueries extrajudiciaires directement commanditées selon eux par Rodrigo Duterte, avaient demandé aux paroisses de les cacher, par craintes de représailles. Des couvents accueillent déjà en catimini des proches de victimes de la guerre antidrogue, craignant elles aussi pour leur vie. A la suite de Mgr. Villegas, d’autres évêques avaient à leur tour proposé leur “protection” aux policiers “repentis” de la guerre antidrogue. En réaction, des membres du gouvernement ont accusé l’Eglise de complot visant à déstabiliser la présidence du pays.
L’Eglise catholique philippine a également mis en place des programmes de réhabilitation pour les toxicomanes. Le pape François vient d’ailleurs d’apporter son soutien au projet lancé par le cardinal Antonio Luis Tagle, archevêque de Manille, en collaboration avec les autorités locales et mêlant accompagnement spirituel, mais aussi sports et arts. Jusqu’ici, 132 anciens toxicomanes ont pu en bénéficier.
Parmi les plus critiques de l’action de Rodrigo Duterte, Mgr. Socrates Villegas, à qui d’autres reprochent une opposition systématique, sera remplacé à la tête de la conférence des évêques philippins le mois prochain par Mgr. Romulo Valles, décrit à l’inverse comme « un ami » du président. Or pour la première fois, l’archevêque de Davao, ville dont Rodrigo Duterte fut longtemps le maire, a explicitement interpellé l’administration au sujet des accusations d’exactions, rapporte le site d’informations SunStar : « Le gouvernement doit répondre de ces accusations », a déclaré début octobre Mgr. Romulo Valles, promettant d’aborder le sujet avec le chef d’Etat.
Les principales organisations évangéliques critiquent à leur tour la politique antidrogue
En plus de l’Eglise catholique, dernièrement les deux principales organisations évangéliques – le Conseil Philippin pour les Eglises Evangéliques et le mouvement Philippines for Jesus – ont à leur tour émis des réserves sur l’action présidentielle, après avoir ouvertement soutenu Rodrigo Duterte durant sa campagne électorale en 2016. « Personne n’a le droit de prendre la vie de quelqu’un d’autre », a réaffirmé Frère Eddie Villanueva, fondateur du mouvement Philippines for Jesus qui revendique plus de cinq millions de membres.
Le 12 septembre, jour de commémoration de la proclamation de la loi martiale par le défunt dictateur Ferdinand Marcos en 1972, des milliers de Philippins étaient déjà descendus dans les rues de la capitale, cette fois-ci à l’appel de diverses franges de l’opposition, pour protester contre les tueries extrajudiciaires de l’actuelle guerre antidrogue. Après avoir longtemps menacé d’avoir lui-même recours à la loi martiale dans le cadre de sa lutte contre le narcotrafic, Rodrigo Duterte a finalement proclamé la mesure d’urgence le 23 mai dernier, dans la foulée de l’attaque de la ville de Marawi par des alliés de Daesh. Prolongée jusqu’à la fin de l’année en théorie par le Congrès philippin, la loi martiale reste pour l’heure en vigueur malgré la fin de la bataille de Marawi, le 23 octobre dernier.
Une baisse (relative) de la popularité du président Duterte
Le climat semble avoir quelque peu évolué depuis la mort cet été de plusieurs adolescents, victimes de bavures policières. Les derniers sondages révèlent une légère baisse de la cote de popularité présidentielle, qui se maintient néanmoins au-dessus des 70%.
Début 2016, la campagne antidrogue avait déjà été suspendue deux mois durant, après l’enlèvement et le meurtre d’un homme d’affaires sud-coréen au sein même du quartier général national de la police. Le 10 octobre, Rodrigo Duterte a ordonné que seule l’agence gouvernementale des stupéfiants serait désormais habilitée pour la conduite des opérations, destituant de fait la police.
Plus d’un an après l’arrivée au pouvoir de Rodrigo Duterte, les médias locaux et les ONG de défense de l’Homme estiment que la guerre antidrogue a tué près de 12 000 personnes. De son côté, la police philippine admet seulement la mort de 3 900 individus durant des opérations « légitimes ». Tous les autres cas sont systématiquement classés dans la catégorie « des meurtres non élucidés ».
(eda/md)