Eglises d'Asie

Les exilés du Timor Oriental face à la pauvreté

Publié le 09/02/2018




Depuis qu’ils ont fui le conflit en 1999, nombreux sont les exilés du Timor Oriental à devoir se battre pour survivre ou pour obtenir des droits de terre dans le Nusa Tenggara Oriental.

Durant près de deux décennies, la vie n’a pas été facile pour Maria Pereira, 67 ans. Depuis qu’elle a fui sa maison de Timor-Leste durant le conflit de 1999, qui a conduit à l’indépendance du pays en 2002, sa vie ne s’est pas améliorée. Aujourd’hui, Maria vit seule dans une petite maison de bois et de palmes séchées, à Raknamo, une région du district de Kumpang dans la province du Nusa Tenggara Oriental, en Indonésie.
« Depuis que j’ai déménagé ici, il y a plusieurs années, depuis le camp de réfugiés où je vivais, ma vie n’a pas changé. Ce terrain où je suis maintenant ne m’appartient pas », soupire-t-elle en montrant le petit bout de terre où sa maison est maintenant érigée.
Son mari et ses trois enfants l’ont quitté pour des raisons inconnues dès les premiers jours de ces années difficiles. Elle dépend maintenant de l’aide de ses proches et de ses amis de Timor-Leste. Maria fait partie des 250 000 réfugiés à avoir fuit le Timor Oriental vers le Nusa Tenggara Oriental, selon l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), alors que le pays faisait face à une tourmente politique après le référendum du 30 août 1999.
Dans ce référendum, 94 388 personnes, ou 21,5% de la population du Timor Oriental, ont voté pour continuer à faire partie de l’Indonésie, tandis que 78,5% ont choisi l’indépendance. Beaucoup sont retournés chez eux après que le rapatriement leur a été offert, mais d’autres ont choisi de rester au Nusa Tenggara Oriental. Le secrétariat du Nusa Tenggara Oriental pour la prévention des catastrophes et pour les réfugiés a enregistré, en 2005, qu’il y avait environ 104 436 réfugiés dont 70 453 vivant dans le district de Belu ; 11 176 au Timor central du Nord ; et 11 360 dans le district de Kupang. La plupart vivent dans la pauvreté et n’ont pas de terres, malgré le fait que beaucoup d’argent avait été alloué pour leur réinstallation durant le mandat du président Susilo Bambang Yudhoyono (2004-2014).

Un avenir incertain

« Il y avait trop de bureaucratie et nous n’avons pas vraiment sentit l’efficacité de cet investissement », regrette Matius Alves, 40 ans, également réfugié du Timor Oriental. Pourtant, Alves a eu plus de chance que les autres. Ses propriétaires l’ont autorisé à utiliser environ deux hectares de terrain pour un profit partagé, où il fait pousser des plantations telles que du manioc, du maïs, de la papaye et des bananes. « Toutefois, il y a un problème. D’un côté, je suis reconnaissant. D’un autre côté, ce terrain ne m’appartient pas et peut m’être enlevé n’importe quand », précise Matius.
Francisco Ximenes, un élu local du district de Baucau à Timor-Leste, explique que les gens ont été privés de leurs droits. « Puisque la plupart de la population du Timor Oriental est rurale, ils ont besoin de terre pour se réaliser et subvenir chaque jour à leurs besoins. Mais malheureusement, la plupart vivent sur des terres qui ne leur appartiennent pas, et ils ne savent pas ce que le futur leur réserve », explique Ximenes.
« Au début, quand nous sommes arrivés ici en 1999, c’était la jungle. Personne ne revendiquait de propriété. Mais après que les gens ont coupé les arbres et dégagé le terrain, un par un, les gens sont venus à nous pour revendiquer leurs terres. » Ximenes vit avec environ 700 familles dans un quartier qui appartient à l’armée indonésienne. Il explique qu’une fois, les militaires leur ont demandé de quitter les lieux. « Mais où allons-nous aller ? » avait-il répondu.

Bombe à retardement

Mariano Parada, 34 ans, un activiste de la société Timor-Indonesia, une organisation non-lucrative qui se fait l’avocate des réfugiés du Timor Oriental vivant dans le district de Belu, raconte qu’après que le UNHCR avait terminé son service en 2002, une chance avait été donné aux gens de choisir entre être rapatriés ou relogés. Pour lui, seul le rapatriement était efficace, alors que le relogement était désastreux. La plupart des Timorais expatriés installés dans le district vivent très pauvrement, excepté un petit nombre d’entre eux, recrutés par le gouvernement ou par la police.
« C’est un problème. Nous avons choisi de rester, mais nous n’avons pas de lieu décent pour vivre. Beaucoup ne peuvent plus retourner à Timor-Leste non plus. La vie est très difficile », décrit-il. Mariano craint que de telles conditions se transforment en bombe à retardement, qui mènera un jour au conflit. « Quand les gens ne pourront plus supporter la souffrance, et le fait de vivre sans cesse dans l’incertitude quant à l’avenir, j’ai peur qu’ils finissent par vouloir se venger. »
« Les gens ont sacrifié beaucoup. Ils ont quitté leurs maisons, certains ont même tué durant la guerre pro-Indonésienne. Quand ces sacrifices se seront révélés inutiles, je crains que les gens finiront par se rebeller », explique-t-il. Selon Mariano, le gouvernement indonésien n’a pas prêté attention à leur situation. « Nous avons organisé des manifestations afin de demander au gouvernement de fournir l’électricité, les soins et des écoles. Mais pour l’instant, la situation n’a pas bougé. » En décembre 2016, les gens en ont appelé au président Joko Widodo pour lui demander de venir en aide aux anciens Timorais, en particulier en leur accordant des terres. « Mais nous n’avons reçu aucune réponse », assure Mariano.

Un défi pour l’Église

Le père Vincent Tamelab, prêtre dans la paroisse Sainte-Marie de Fatima à Taklale, dans l’archidiocèse de Kupang, confie que 95% de ses quelque 18 000 paroissiens sont des exilés Est-Timorais. Ils viennent, pour la plupart d’entre eux, des districts de Los Palos, Dili, Baucau, Viqueque, Aileu et Manatutu. L’Église, continue le prêtre, a souvent fait part de son inquiétude et a demandé au gouvernement d’aider à résoudre ces problème de terres, mais sans succès.
«C’est étrange que le gouvernement dise avoir donné des terres aux gens en 1999, mais que jusqu’ici, le statut de ces terres demeure incertain », s’étonne le père Tamelab. Le prêtre souligne également que le barrage de Raknamo, inauguré par le président Widodo le 9 janvier, approvisionne en eau une région de 245 hectares, à l’usage de la population du district de Kupang, dont les expatriés Timorais.
« Nous sommes prudents à cet égard. Parce que quand les terres leurs seront retirées, ils n’auront plus rien et cela engendrera un nouveau conflit », confie le père Vincent, dont la paroisse a changé sa façon d’approcher ses paroissiens, encourageant les Est-Timorais catholiques à s’ouvrir et aller vers les locaux. « Si quelque chose de mal survient, cela ne se répandra pas, parce qu’ils auront construit des relations solides avec les locaux », espère le père Tamelab.

(Source : Ucanews)