Eglises d'Asie

Une religieuse raconte la guerre meurtrière contre la drogue

Publié le 20/02/2018




Les écrits de sœur Nenet Dano, religieuse du Bon Pasteur aux Philippines, sont devenus l’élément clé du recours collectif intenté par des familles de victimes de la guerre sanglante contre la drogue.

Depuis le début de la guerre sanglante contre les drogués de Manille, il y a dix-neuf mois, sœur Nenet Dano consigne par écrit les affaires de meurtres liés aux drogues illégales. Sur les trente cinq personnes tuées dans le district de San-Andres, la religieuse du Bon Pasteur en a enregistré vingt-huit dans son journal. Aujourd’hui, sœur Nenet fait l’objet d’une convocation par la Cour Suprême pour soutenir un recours collectif intenté par des familles de victimes de la communauté de San-Andres.
L’histoire de sœur Nenet a commencée plusieurs mois avant qu’elle ne passe un examen en droit social. La religieuse ne s’attendait pas à ce que ce diplôme soit aussi vital pour son travail de documentation sur la guerre du gouvernement contre la drogue. En juillet 2016, la religieuse a entendu parler de l’histoire de Jefferson Bunuan, un étudiant de vingt ans qui voulait devenir policier, et celle de deux autres, tués eu aussi dans une opération de police. Elle a rendu visite à Jefferson sur son lit de mort. Ce moment fut pour elle décisif : « Les prières ne suffisent pas », dira-elle plus tard.
Avec des amis, la religieuse a donc commencé à se rendre au chevet des victimes supposées de cette guerre sanglante, afin d’écouter le témoignage des familles : « J’allais au chevet de l’un, puis un autre était tué, puis un autre, puis encore un autre… Cela ne s’arrête pas. » Durant ces visites, elle organisait des temps de prière, et plaisantait avec les familles des victimes pour les aider à se confier. La religieuse assure que ce journal l’a aidé à tenir bon. Les notes, observations et souvenirs des familles et des témoins de ceux qui ont été tués ou arrêtés, recueillis dans le journal de sœur Nenet, forment la base du dossier composant le recours collectif des résidents de San-Andres.

« Il faut combattre la peur »

Dans une déclaration sous serment, la religieuse a détaillé les meurtres qu’elle a enregistrés, y compris les archives officielles qu’elle a pu assembler grâce aux familles et à l’aide de la police. La religieuse remarque d’ailleurs des incohérences dans les rapports de la police, comme des dates ou des numéros de série d’armes…
Les familles des victimes ont déclaré, de leur côté, comment ces meurtres ont affecté leur vie, comment elles continuent de vivre dans la peur, alors qu’elles essaient de dépasser leur deuil. Sœur Nenet espère que ce recours en justice apaisera les gens, qu’ils réaliseront ainsi que leurs droits peuvent être revendiqués. Les résidents de San-Andes, en revanche, craignent la réaction des autorités, en particulier celle de la police, suspectée pour la mort de milliers de drogués et de dealers.
Rosie Matio, membre laïque de la congrégation de sœur Nenet, explique avoir été visitée, une nuit, par un policier qui voulait la convaincre de signer une déclaration affirmant que les meurtres étaient légitimes. Elle a refusé : « Il faut combattre la peur, il n’en sortira rien. Il faut juste une bonne dose de courage, et prier. » Ceux qui combattent cette guerre meurtrière contre la drogue doivent faire face à de nombreuses épreuves. Sœur Nenet est convaincu que les gens peuvent changer. Pour elle, les drogués ont besoin de se sentir importants, eux aussi. Ce recours en justice est pour la religieuse le fruit des prières collectives : « Nous avons prié pour qu’il y ait quelque chose que nous puissions faire. »
Devant l’autel de la chapelle communautaire, une bannière affiche ces mots : « Arrêtez de tuer et commencez à soigner » (« Stop the killings and start the healings »). Chaque semaine, sœur Nenet prie avec les familles des victimes. Ils allument une bougie devant le Saint Sacrement et prient en silence. La religieuse pense que les catholiques doivent défendre la vie, « même la vie de ceux qui font le mal », car il faut leur donner une chance de changer. Le journal de sœur Nenet lui donne l’occasion de défendre la vie. La religieuse affirme que les autres le peuvent aussi, même dans de plus humbles mesures.

(Ucanews)