Les menaces de mort et peines de prison sont désormais courantes pour le brigadier Rudy Soik. Ce sont les risques du métier, pour ce membre de la division de la police du Nusa Tenggara Oriental (Timor Occidental) contre le trafic humain. Malgré tout, il s’est engagé à continuer son combat pour les victimes d’un réseau clandestin qui s’attaque aux pauvres et aux marginalisés de sa région depuis quelques années.
Sur les 5,2 millions d’habitants de la province du Nusa Tenggara Oriental, 88 % sont chrétiens, dont près de la moitié sont catholiques. Ces dernières années, le problème du trafic humain s’est aggravé dans la province. L’Organisation internationale pour les migrations estime qu’en 2014, 7 193 personnes de la région en ont été victimes. Bon nombre d’entre eux ont été secourus et sont retournés dans leurs villages, mais des milliers d’autres vivent toujours dans des conditions insoutenables. Certains sont régulièrement soumis à la torture et doivent supporter la menace permanente de se faire tuer.
Les plupart des victimes sont des femmes et des jeunes filles venant des villages alentours. « Je suis originaire d’un petit village, je sais donc parfaitement comment les gens y vivent et à quel point leurs conditions de vie sont difficiles », explique Rudy. « Quand j’entends que des frères et sœurs sont traités ainsi, je ne peux que partager leur douleur. Je ne peux pas supporter qu’ils soient privés ainsi de leurs droits fondamentaux. Ce sont des êtres humains », martèle l’officier de police, qui vit à Kefamenanu, la capitale du Nusa Tenggara Oriental. « C’est la raison pour laquelle j’ai fait le vœu de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour les aider. »
Rudy confie que beaucoup de villageois, originaires de la région et d’autres districts défavorisés, sont victimes du trafic humain – une pratique à laquelle il a décidé de mettre un terme. L’officier assure qu’il ne s’arrêtera pas de se battre pour cette cause, même si cela doit prendre plusieurs décennies, quitte à risquer sa vie. Rudy s’est construit une redoutable réputation parmi ses collègues. Cet enquêteur hors pair est venu à bout des pires criminels.
« Je continuerai à me battre »
Mais ses espoirs d’avancement ont été brisés, confie Rudy, par un de ses supérieurs, corrompu, qui n’appréciait pas d’être ainsi à découvert à cause du brigadier : « J’ai été emprisonné durant quatre mois en 2014, quand plusieurs personnes que j’avais arrêté m’ont accusé, en représailles. » Un juge a fini par rejeter l’accusation par manque de preuves. D’après Rudy, l’affaire était montée. Il s’agissait d’une conspiration entre les trafiquants et son supérieur de l’époque. Avant son arrestation, en octobre 2014, il avait demandé à son supérieur pourquoi les coupables qu’il avait arrêtés n’avaient toujours pas comparu en justice. « J’ai compris que cela ne se ferait pas, c’est tout. À la place, c’est moi qui ait été accusé de complicité avec un réseau de trafiquants. J’ai été accusé de recevoir des pots de vin, ce qui est absolument faux. »
Certains ont peut-être perdu la foi dans leur combat contre le crime, devant de telles accusations mensongères, mais pour Rudy, cette expérience n’a fait que le déterminer davantage : « Je continuerai à me battre pour les défavorisés et pour les victimes des trafiquants, aussi longtemps que le pourrai. Nous devons libérer la province de ce fléau en détruisant ce réseau criminel. » Les statistiques du gouvernement indonésien indiquent que sur 6 millions d’Indonésiens travaillant à l’étranger, 1,7 millions sont recrutés illégalement, ce qui ouvre largement la voie à l’exploitation des trafiquants. Beaucoup d’entre eux n’ont ni permis, ni documents officiels du Nusa Tenggara Oriental, où le chômage est élevé et la pauvreté généralisée.
Selon Rudy, sur les 62 Indonésiens morts en Malaisie l’année dernière, 61 étaient des victimes de trafiquants. Cette année, d’autres affaires sont survenues, dont le cas d’Adelina Sau, morte après avoir été torturée par son employeur malaisien. « Et ce ne sont que des cas dont nous avons le dossier. Il y en a bien d’autres, j’en suis convaincu, mais nous n’avons aucun moyen de les identifier. » Plus troublant encore, Rudy a des raisons de croire que beaucoup de ces morts suspectes sont des victimes de trafics d’organes. Un jour, constatant des cicatrices suspectes sur plusieurs corps, l’officier a demandé qu’une autopsie soit réalisée. Pour des raisons inconnues, sa demande a été refusée et ses suppositions restent non prouvées.
Défendre les pauvres
Les trafiquants humains ont l’habitude d’intimider leurs victimes pour les recruter. Ceux qui survivent à l’étranger utilisent des faux documents qui les mettent à la merci des réseaux. Dans le Timor Occidental, les négociants commencent par approcher les familles pauvres en leur offrant deux à trois millions de roupies (120 à 180 euros) pour marier leur fille. Beaucoup de familles de cette région sont si démunies qu’elles ne peuvent refuser une telle somme, qui leur permettrait de nourrir le reste de la famille.
« Les parents qui reçoivent cet argent sont soumis à beaucoup de pression », explique Rudy. « Si bien qu’ils se séparent de leurs enfants en sachant que c’est probablement la dernière fois qu’ils les verront. » La plupart des victimes sont des adolescentes sans éducation ou des femmes abandonnées par leurs maris. Bien qu’elles soient démunies et incapables de trouver du travail, elles doivent malgré tout soutenir leurs familles. Selon le service indonésien des statistiques (Indonesian statistics agency), en 2017, 22% de la population du Nusa Tenggara Oriental vivait sous le seuil de pauvreté, ce qui en fait la troisième province la plus pauvre des 34 provinces du pays, après la Papouasie et la Papouasie occidentale.
Dans une tentative désespérée d’échapper à la pauvreté, beaucoup de parents se laissent entraîner à prendre des décisions tragiques qui reviendront les hanter. « Mais nous ne pouvons pas les juger », ajoute Rudy. « Les trafiquants profitent de leurs conditions économiques et de leur manque d’éducation. » Par son investigation sur quelques affaires concernant le district du Timor central du Nord, l’officier a découvert que presque toutes les familles des 276 villages du district avaient de la famille travaillant à l’étranger. Dans la plupart des cas, même leurs familles proches ignoraient ce qu’ils étaient devenus. « Quand ces familles m’ont dit qu’elles n’avaient plus de nouvelles, j’ai tout de suite su qu’elles avaient eu affaire avec des trafiquants. »
Une répression fragile
Rudy Soik affirme que cette tendance se poursuit à cause d’une répression trop fragile. Il y a pourtant eu quelques victoires, comme en mai 2017, avec l’arrestation de sept personnes par un tribunal local. Parmi les coupables se trouvaient un agent d’immigration, le dirigeant d’un réseau de trafiquants, un négociant de Pekanbaru, un recruteur de Kupang, un chauffeur et un agent qui fournissait des faux documents. Toutefois, Rudy doute que le trafic humain cesse tant que la corruption n’est pas éradiquée et que des peines plus lourdes ne soient décidées. L’officier assure que beaucoup d’affaires paraissent ridicules, à cause des tribunaux locaux qui les classent comme de simples infractions. Ce qui permet aux trafiquants de reprendre leur travail dès leur sortie de prison. « Les tribunaux doivent appliquer la loi indonésienne de 2007 sur le trafic humain, qui leur permet d’imposer des peines jusqu’à quinze ans de prison », s’indigne Rudy. « Si nous sommes décidés à éradiquer ces réseaux de trafiquants, il faut leur imposer les peines les plus sévères. »