En 2007, j’ai dû endurer un voyage en car de cinq jours, sur une autoroute népalaise, mené par une escorte de police. Durant ce voyage, les autres passagers et moi-même avons été bombardés de pierres et de cocktails Molotov par deux groupes de locaux en colère, revendiquant leur propre version d’un état ethnique. Je m’en suis sorti indemne, mais cela m’a rappelé les violents conflits ethniques du Rwanda. Bien que la situation de la région himalayenne ne puisse pas être comparée au génocide rwandais de 1994, les demandes des différents groupes ethniques opposés commencent à déchirer le pays. Durant ma visite dans la région Terai du sud du Népal, j’ai pu voir des locaux – privés de nourriture et d’eau – avoir recours au pillage.
Il est devenu évident que mon pays doit surmonter des épreuves. Non seulement le Népal a été secoué par des catastrophes naturelles et des tremblements de terre dévastateurs, mais il a aussi connu une extrême pauvreté, une rébellion maoïste qui a duré dix ans et qui a pris fin en 2006, et bien d’autres conflits sociaux et politiques.
La dynastie népalaise Shah, vieille de 240 ans, s’est éteinte en 2007, laissant la plus grande partie du pouvoir et de l’autorité centralisés dans la capitale. Et cela malgré la création de cinq régions par le gouvernement, dans une tentative apparente de décentralisation.
Le Népal, une mosaïque d’au moins 125 groupes ethniques, s’était déclaré république fédérale – l’un des 26 pays au monde à avoir adopté ce système. Le pays a ensuite poursuivi ce changement avec la création, en 2015, de sept provinces. Beaucoup de groupes ethniques, dont les Madhesis majoritairement hindous, ont réagi avec fureur, demandant une meilleure représentation politique et économique. Qu’est-ce qu’implique la création d’un État fédéral pour les groupes ethniques du Népal ? Le gouvernement a sûrement fait preuve de prudence en évitant de nommer les sept provinces en question en se basant sur les ethnies dominantes, ce qui aurait déclenché des conflits ethniques d’une ampleur encore bien plus importante.
Problèmes en vue
Le Népal fait face au problème de la répartition inégale des ressources et de la main-d’œuvre sur le territoire, ce qui rend difficile la mise en place d’un État fédéral, qui repose sur une union qui n’est possible qu’en cas de répartition équitable. C’est pourtant loin d’être le cas au Népal, où les premiers appels à fonder un État fédéral s’étaient transformés en conflits à propos des frontières des futures provinces. Aujourd’hui, les objets de conflits se portent plutôt sur le choix des capitales des différentes provinces. Tandis que des opposants estiment que le fédéralisme n’est pas une meilleure solution que la décentralisation qui précédait, vu l’isolement géographique du pays. En fait, la façon dont les provinces ont été dessinées a tendance à renforcer la ségrégation, en séparant par exemple les Madhesis, cantonnés dans les plaines du sud, des peuples ethniques des montagnes du nord. La situation devient donc particulièrement complexe, le fédéralisme et les conflits ethniques ne faisant pas bon ménage.
Mosaïque ethnique
Les statistiques nationales montrent que les Brhamin et les Chhetris sont les plus importantes des 125 ethnies, 28 % de la population en faisant partie. Elles occupent la moitié du territoire. Chaque groupe ethnique a sa propre identité, sa langue et sa culture. Une forme de fédéralisme basée sur une seule identité peut-elle donc réussir, avec une telle diversité culturelle ? La situation devient encore plus difficile si l’on considère la situation sociopolitique du Népal et la faible tolérance montrée par beaucoup de groupes ethniques. Les Madhesi, les Tharu et d’autres tribus vivant dans le Terai sont souvent considérés comme des étrangers, à cause de la couleur foncée de leur peau et de leurs visages plutôt « typiquement indiens ».
De même, les moines bouddhistes et ceux qui vivent dans les régions montagneuses ont tendance à être considérés comme des Tibétains à cause de leur apparence, de type mongole pour certains. Les gens maîtrisant la langue indo-iranienne khas sont vus, eux, comme des Népalais pure souche… La communauté mahdesi voudrait toute la ceinture Terai à elle seule, pour en faire un état madhesh… D’autres groupes ethniques ont réclamé le même genre de revendications ailleurs dans le pays. Mais si la population se divise selon ses différentes ethnies, cela pourrait détruire tout le bénéfice que l’on espérait tirer d’un système fédéral.
Répartition des ressources
Un défi majeur pour n’importe quelle nation est l’allocation et la distribution des ressources financières adéquates à tous les niveaux de gouvernement. Sans cela, les états d’un système fédéral ne seraient pas capables d’agir de façon indépendante. Mais tenter d’imposer un tel système au Népal, où les ressources sont très limitées, est particulièrement difficile. La mise en place d’un système fédéral a aussi ajouté un poids économique, l’état devant financer 334 membres du parlement fédéral, 550 membres d’assemblées provinciales, et plus de 35 000 représentants locaux.
La perception des impôts est un autre problème majeur puisque chaque état a ses propres règles pour cela, ce qui a tendance à laisser les états les plus en retard dans leur misère. Ce qui m’inquiète, c’est que toutes les dépenses qu’entraîne le fédéralisme ne seront pas supportées par le gouvernement ou par les élites aisées, mais par les plus pauvres, tandis que les riches et les puissants continueront à profiter du système. En d’autres mots : on peut s’attendre à voir la corruption augmenter d’une façon exponentielle durant les prochaines années.
Besoin d’une meilleure éducation
Un gouvernement fédéral ne peut fonctionner efficacement que si la population est bien éduquée et comprend bien le système politique. Toutefois, on peut espérer que la devise du Népal, l’« unité dans la diversité », est encore capable de contrôler cette communauté multiethnique et de l’unir autour d’une même culture, ce qui rendrait possible le système fédéral. Si nous considérons les forces d’un système fédéral – et elles sont nombreuses – cela peut offrir l’opportunité d’assurer la participation de tous au gouvernement à tous les niveaux, local, régional et central.
On ne peut pas utiliser le fédéralisme pour résoudre toute forme de chaos politique.
Cependant, nous devons apprendre des échecs des tentatives de fédéralisme ethnique qu’ont connu des pays africains comme l’Éthiopie, le Soudan, le Nigeria ou le Congo. Choisir le fédéralisme n’oblige pas un pays à se diviser selon des normes ethniques ou de castes. De plus, diriger un État fédéral ne peut fonctionner qu’avec une coopération nationale pour s’assurer que les politiques sont appliquées équitablement à travers tout le territoire. Tous les états népalais doivent donc être considérés comme à égalité. Les gens doivent aussi être mieux éduqués afin de mieux comprendre leurs droits et leurs responsabilités.
(Ucanews / Prakash Khadka, Népal)