Eglises d'Asie

Un ancien drogué redonne espoir aux victimes de la drogue

Publié le 12/04/2018




Nato Caluag, ancien drogué, pense que les drogués doivent être guéris et purifiés, et non supprimés. Depuis dix ans, Nato offre aux toxicomanes un soutien psychologique et spirituel au centre jésuite de Manille, après avoir lui-même souffert de la drogue dès l’âge de quatorze ans.

C’était les années soixante-dix et le solo de Jimi Hendrix résonnait dans les enceintes. Nato Caluag, adolescent, se balançait en jeans de marque au son d’une bouillie d’acid rock improvisé. Il prenait part au mouvement « contre-culture » de l’époque. En ce temps-là, si une substance faisait parler d’elle, Nato devait l’essayer. Mais la défonce ne durait jamais longtemps. « C’était la culture de ma génération », pour Natu, qui raconte qu’il a commencé à goûter aux drogues dès l’âge de quatorze ans. Il les nomme une par une, en tout cas pour celles dont il se souvient : marijuana, LSD, antidépresseurs, barbituriques, stimulants, amphétamine, benzédrine… « Une grande partie de toutes ces substances était disponible grâce à la présence des Américains », confie Nato, Il y avait alors plusieurs bases militaires américaines dans le pays. Neuf ans plus tard, Nato était accro au « crystal meth » (méthamphétamine).
Selon Nato, il est rare de reconnaître que l’on est devenu dépendant. « En tout, j’ai consommé de la meth durant cinq ans. Avec la méthamphétamine, vous savez tout de suite quand vous avez atteint vos limites, quand vous devenez paranoïaque ou psychotique », souligne Nato, qui fut alors envoyé à l’hôpital et pris en charge par un psychiatre. « Depuis, je ne suis plus jamais retombé », explique Nato. Plusieurs années plus tard, alors que la guerre philippine contre la drogue fait rage et a causé la mort de plus de douze mille personnes selon les groupes de défense des Droits de l’Homme, on retrouve Nato en train d’écouter une fille en pleurs lui confier son combat contre la dépendance. « Il y a toujours de l’espoir », a-t-il répondu à la jeune femme. Ceci est devenu une scène quotidienne pour ce conseiller du centre jésuite de Manille (Center for family ministries). Il s’est spécialisé dans le conseil auprès des personnes tentant de se libérer de la drogue. Il n’est plus l’homme qu’il était autrefois.

« Il y a toujours de l’espoir »

« Il n’y a rien de plus réjouissant que de voir guérir un ancien drogué », confie Nato. « J’aime oberver leur progression, les aider, les guider. » Nato a sonné l’alerte contre « l’injustice de considérer les drogués comme de vieux objets ». « La route vers le salut sera longue, très longue », reconnaît-il. « Comme on dit, c’est pour la vie. » Beaucoup de personnes dépendantes semblent avoir été privées des moyens de s’en sortir. La violente campagne du gouvernement contre la drogue a déjà entraîné des milliers de morts, pour la plupart originaires de familles pauvres des bidonvilles de Manille. Une grande partie des victimes aurait été tuée par des justiciers à motos, que des témoins ont reconnu comme des policiers. Les tueries continuent, malgré l’enquête de la Cour pénale internationale. L’un de ces meurtres a causé la mort du fils d’Emily Soriano, qui avait 16 ans. Il aurait été tué par des policiers en décembre 2016. « Je n’aurais jamais pensé que mon fils deviendrait une victime de cette guerre contre la drogue », déplore la mère, âgée de 49 ans.
Contrairement à beaucoup de victimes, Nato Caluag n’était pas pauvre quand il est devenu dépendant. Il n’était pas dans une situation le forçant à vendre de la drogue pour survivre. Pour lui, c’était juste « cool », « à la mode ». Aujourd’hui, Nato explique aux drogués que cela ne nourrit que des désirs superficiels. Il approuve le message du pape François de 2013, affirmant que les drogués ont tous une histoire personnelle qui doit être entendue et comprise, qui doit être guérie et purifiée. Le père Flavie Villanueva, prêtre rédemptoriste, vient en aide aux veuves et orphelins touchés par la mort de leurs proches lors de la guerre antidrogue. Pour le prêtre, les drogués sont des personnes blessées. « Toute personne malade doit pouvoir être prise en charge et soignée », pointe le prêtre, pour qui ignorer ces personnes « revient à les condamner ». Le père Villanueva explique que l’Église et le gouvernement ont le « devoir sacré » d’accompagner les victimes de la drogue pour qu’elles puissent retrouver leur dignité.
Karen Rose Vardeleon, psychologue de l’ONG Childfam-Possibilities, confie que les préjugés rendent la réhabilitation des drogués d’autant plus difficile. « Il est tentant de mettre tous les drogués dans le même sac, en les classant tous comme des criminels indignes d’être sauvés », affirme Karen. « Mais en fait, il faut les voir comme des personnes se battant contre la maladie, comme des gens qui, avec des soutiens adaptés, peuvent cheminer vers la guérison », soutient-elle. Pour la psychologue, cela implique de « leur apprendre à trouver la force de gérer le manque ». « Pour que la société change de mentalité vis-à-vis d’eux, il faut commencer par leur donner ce dont ils ont besoin, c’est-à-dire des soins physiques et psychologiques adaptés et un accompagnement communautaire », ajoute Karen.
Caluag continue d’écouter la jeune femme en pleurs. Il lui tend un mouchoir. Cela dure plus d’une heure. Elle lui parle des matins où elle arrive à peine à se lever de son lit, et combien il lui est difficile d’aller se coucher le soir. Nato lui propose alors de se mettre au sport et peut-être de consulter un médecin. Et surtout, de toujours s’efforcer de penser à des choses positives. L’accompagnement de Nato a apporté à beaucoup d’autres, depuis dix ans, beaucoup d’aplomb et d’espoir. L’ancien drogué avoue que s’il peut entreprendre tout ce qu’il fait pour ces personnes aujourd’hui, c’est parce qu’on lui a donné la chance de pouvoir se libérer de l’addiction qui l’entravait.

(Avec Ucanews, Manille)