Eglises d'Asie – Corée du Nord
Orient-Extrême : Les deux Corées sont-elles réconciliables ?
Publié le 14/04/2018
Antoine Bondaz, quelle est la situation humanitaire, aujourd’hui, en Corée du Nord ?
La situation n’a que peu évolué ces dernières années, même s’il y a eu une amélioration relative du niveau de vie d’une grande partie de la population nord-coréenne. On est aujourd’hui très loin de la situation de famine des années quatre-vingt-dix, au cours de laquelle des centaines de milliers de Nord-Coréens sont décédés. Il y a eu un desserrement de l’autorité et du contrôle de l’État central sur l’économie du pays. Il y a eu la réouverture d’une partie des marchés formels et informels, ce qui a permis une amélioration du niveau de vie, une hausse de l’espérance de vie, une baisse de la mortalité infantile… Évidemment, la situation reste compliquée.
Peut-on dire qu’il y a, depuis quelques mois, un réchauffement des relations entre la Corée du Nord et le reste du monde ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu un changement diplomatique majeur de la Corée du Nord fin 2017. Depuis 2013-2014, le dirigeant a accéléré son programme nucléaire et balistique. Il a multiplié les essais. Rien qu’en 2017, il y a eu une vingtaine de tests. C’est plus que l’ensemble des tests réalisés sous le règne de son père, de 1994 à 2011. C’est donc une accélération considérable de ces deux programmes. Et en novembre 2017, ce fut la « consécration » pour le régime avec le test d’un missile intercontinental, théoriquement capable de frapper l’ensemble du territoire américain. Dès ce moment, le régime nord-coréen a estimé qu’il avait complété ses forces nucléaires, non pas sur le plan technique, car ce missile n’est pas encore opérationnel, mais sur le plan politique. Kim Jong-un peut désormais se présenter comme le protecteur de la nation et matérialiser l’idéologie du régime qu’on appelle le « Juche », « l’autonomie », qui vise à assurer « l’indépendance » du régime et plus largement de la nation nord-coréenne. Le dirigeant nord-coréen a donc décidé de changer de pied. Tout en gardant ses capacités, il a décidé de reprendre la voie diplomatique, ce qui n’est pas une nouveauté. Cela a été le cas au début des années 2000, cela a été le cas fin 2009, ou encore en 2014. C’est en quelque sorte une tradition de la diplomatie nord-coréenne, d’alerter entre zones d’essais et de tests, et périodes de réchauffements diplomatiques.
Faut-il s’attendre à ce que ce virage diplomatique soit durable ?
La situation est toujours fragile dans la péninsule, mais le régime nord-coréen a tout intérêt à ce que ce réchauffement soit durable. Tant qu’il y a des discussions avec la Corée du Sud et avec les États-Unis, le spectre d’une intervention militaire américaine se dissipe. La pression sur le régime se maintient mais n’augmente pas. Cela lui permet de garder ses capacités tout en se concentrant sur le développement économique. Cela est fondamental car depuis 2013, la stratégie nationale du pays est ce qu’on appelle « byongjin » (littéralement, « double poussée »), c’est-à-dire le développement simultané des capacités nucléaires et économiques. Le dirigeant nord-coréen estime qu’il a atteint un palier suffisant dans les capacités nucléaires, il faut donc désormais se concentrer sur les capacités économiques.
Quand Kim Jong-un annonce aller vers la dénucléarisation du pays, que faut-il y voir ?
Ordonner un gel de la nucléarisation du pays, c’est en quelque sorte « aller vers la dénucléarisation », étant donné que la période précédente était une période d’essais extrêmement intensive. Alors effectivement, on va vers la dénucléarisation, mais on en est encore très loin. Est-ce qu’aujourd’hui et à court terme, le régime nord-coréen est prêt à se dénucléariser ? Non. Il est prêt à reprendre des négociations en vue de sa dénucléarisation, ce qui est très différent. Par ailleurs, il a annoncé qu’il était prêt à se dénucléariser « si les conditions étaient réunies ». Et ces conditions, c’est notamment la fin de ce qui est présenté depuis des décennies comme la politique hostile des États-Unis et ses menaces nucléaires, ce qui voudrait dire le retrait des troupes américaines de Corée du Sud, la fin de l’alliance entre les États-Unis et la Corée du Sud, la signature d’un traité de paix puisqu’il n’y a qu’un armistice signé en juillet 1953, la levée des sanctions, l’établissement de relations diplomatiques avec les États-Unis et le Japon… Cela fait beaucoup et évidemment, à court terme, les Japonais et les Américains ne pourront pas l’accepter.
Les peuples sud et nord-coréens sont-ils réconciliables ?
On peut toujours dire que des peuples sont réconciliables s’il y a une volonté politique et s’il y a des artisans de cette réconciliation. Le principal problème aujourd’hui, ce sont les jeunes générations, surtout en Corée du Sud. Non pas que les jeunes sud-coréens pensent qu’il est impossible de se réconcilier. Mais ils considèrent qu’ils ont une identité sud-coréenne. Vous avez vu ces dernières années la création de deux identités au nord et au sud. Les jeunes se sentent aujourd’hui sud-coréens, mais pas forcément coréens. C’est un problème considérable en vue de la réconciliation, qui est une étape indispensable pour une réunification.
Le pape s’est rendu à Séoul en 2014. Cela a-t-il eu des conséquences sur les relations entre le Sud et le Nord ?
Cette visite n’a pas eu d’impact direct, même si le pape a appelé à de nombreuses reprises à une amélioration et à la réconciliation entre les deux Corées. C’est toujours, aujourd’hui, un terreau du catholicisme en Asie. Le nombre de catholiques a été multiplié par 28 entre 1945 et 2015. Il y en a aujourd’hui près de 6 millions, donc la visite du pape en août 2014, notamment pour célébrer plus de 214 martyrs en Corée du Sud, a été une visite extrêmement importante et bien reçue. C’était la troisième visite d’un pape en Corée du Sud après les visites de 1984 et 1989. Ce qui est très important, aujourd’hui, c’est que le catholicisme est associé à la justice sociale, et le président Moon met cela avant. Donc les « beaux jours » du catholicisme en Corée du Sud ne font que commencer et il y a une vraie ferveur dans le pays. Il y a eu près d’un million de fidèles lors de la grande messe célébrée à Séoul en 2014, sur un pays de 50 millions d’habitants. Donc le catholicisme a un impact, mais malheureusement, davantage sur la société sud-coréenne que sur les relations intercoréennes, en tout cas à court terme.
Antoine Bondaz est chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique et enseignant à Sciences Po. En 2016, il a publié Corée du Nord, Plongée au cœur d’un État totalitaire, aux éditions du Chêne avec Benjamen Decoin.
Retrouvez le podcast d’Orient-Extrême, l’émission des Missions Étrangères de Paris animée par Louis-Auxile Maillard, en partenariat avec Radio Notre Dame : https://radionotredame.net/player/154493/