Eglises d'Asie – Inde
La quête de l’absolu : exposition de photographies entre l’Inde et le Tibet
Publié le 23/04/2018
Depuis dix ans, je suis prêtre et depuis dix ans, je n’ai cessé de photographier l’Inde et son peuple sans égal auquel l’Eglise m’a consacré ad vitam. L’exposition que les Missions Etrangères ont la bonté de consacrer à mon travail artistique reprend le fil d’une décennie de mes noces indiennes. De même qu’à mesure que croît l’intimité avec son épouse, le mari découvre de nouveaux détails dans la courbure du corps ou les mouvements de l’âme de celle qu’il aime, j’ai cherché moi aussi à scruter toujours plus profondément le mystère de mon peuple et, comme l’amant au long cours, je peux dire que j’ai été transformé par lui bien plus que je ne l’aurais imaginé. Ainsi, cette exposition n’a pas d’autre ambition que de parler silencieusement de l’histoire d’un amour dont saint Jean de la Croix dit qu’il est le seul exercice auquel nous devons nous livrer.
La vérité nue
Les missionnaires de jadis conseillaient à leurs benjamins de se livrer à un hobby pour parer à la tristesse qu’engendrent les lenteurs du quotidien en terre étrangère. Pour ma part, les heures consacrées gratuitement à la photographie m’ont procuré beaucoup de joies. En un sens, je voudrais photographier comme je célèbre la messe, et j’aimerais aussi être prêtre comme j’essaye d’être photographe. Entre l’une et l’autre réalité, il me semble n’y avoir que bien peu de différences…
En effet, malgré toutes les longues années de séminaire, je reconnais aujourd’hui que j’ai dû apprendre à vivre mon sacerdoce sur le tas. Je n’étais pas prêt pour le commencer dans la fébrilité internationale de New York, et encore moins pour l’enraciner dans la ferveur des bords du Gange à Bénarès… Mais il y avait en moi une disposition reconnue par l’Eglise, qui ne demandait qu’à se frotter à la réalité pour se déployer. Je n’ai pas la prétention d’être un photographe professionnel. D’ailleurs, je n’ai suivi aucun cours et ne maîtrise aucune technique particulière. Je suis un simple prêtre comme je suis un simple photographe, conscient qu’il y a encore tant à apprendre dans les deux domaines.
Si mes clichés retiennent l’attention de certains, tout le crédit vient de la réalité dont ils voudraient témoigner. Pour le sacerdoce comme pour l’art, la réalité est la seule enseignante. En effet, comme le prêtre doit épouser la réalité à laquelle il est confronté et la prendre à bras-le-corps dans tout son tragique et sa beauté, le photographe doit aussi plonger dans toute la réalité qu’il contemple, sans chercher à lui faire écran par sa propre subjectivité. Le propre de l’un et de l’autre est de s’effacer devant le mystère que le prêtre annonce et que le photographe cherche à capter. À tous les deux s’applique le mot si juste de Jean-Baptiste, le Précurseur du Christ : « Il faut que lui grandisse et que moi je diminue » (Jn 3, 30).
Le regard de l’éveil
La photographie à laquelle je me livre assume entièrement sa dimension spirituelle car le cœur vibrant de l’Inde se trouve dans le monde de l’Esprit. Jules Monchanin et Henri Le Saux écrivaient jadis : « Entre tous les peuples de la terre, l’Inde semble avoir reçu de la divine Providence une mission privilégiée. Il semble qu’un message lui ait été confié, un message à porter dans le monde et a proclamer au travers des temps ; il semble qu’elle ait un témoignage essentiel à rendre devant les hommes et les peuples. Témoignage et message qui portent sur la primauté du mystère de Dieu par rapport au mystère du créé, sur la valeur unique de ‘ce qui ne passe pas’, l’éternel, le spirituel, la vie ‘au-dedans’ ». Depuis vingt ans que je découvrais pour la première fois ma terre promise, je n’ai cessé de me laisser attirer par son mystère et, comme la bien-aimée du Cantique des cantiques, combien de fois je lui ai dit : « Entraîne-moi sur tes pas, courons » (Ct 1, 4). Photographier l’Inde a été, pour moi, prendre le long chemin d’éveil que ses enfants ont emprunté depuis des millénaires. Les sages disent que ce qui apparaît au moment de l’illumination définitive n’est pas autre chose que la réalité dans laquelle nous sommes plongés quotidiennement. L’éveil nous donne simplement de la contempler baignée dans toute sa splendeur éternelle.
C’est ainsi que, me mêlant aux foules innombrables avec mon appareil photographique, j’essaye patiemment de saisir la grâce inouïe de l’instant qui passe, l’épiphanie de gloire d’un visage humain ou encore le reflet éphémère de la lumière qui traverse nos existences en une seconde et leur laisse à jamais une empreinte indélébile, pleine de nostalgie… Tel est le darshan, la vision divine que désire obtenir l’Inde dans sa quête inassouvie de l’Absolu.
Regardant de nouveau tous les clichés pris depuis dix ans, je me suis aussi demandé si je n’avais pas été infidèle au mot d’ordre d’affronter la réalité nue, car j’aurais dû photographier la misère, la saleté repoussante ou encore la cohue insupportable des villes. Ai-je péché par idéalisme, oubliant la boue hors de laquelle s’épanouit le lotus ? Ou peut-être me suis-je situé dans le « moment d’après » – celui de la transfiguration de l’Inde – qui rejoint le « moment d’avant », le moment originel où, dans la brise du soir, Dieu contemplait l’œuvre de ses mains et voyait que « cela était bon » (Gn 1, 9). J’aimerais – mais est-ce une folle prétention ? – que la photographie nous fasse retrouver l’émerveillement divin devant la beauté virginale des premiers jours et qu’elle puisse ainsi participer au geste créateur afin d’apporter un peu de consolation à nos yeux fatigués.
Magnanimité catholique
Au bout du compte, à part quelques images des religieuses chrétiennes avec lesquelles je vis sur les bords du Gange, je n’ai photographié que des croyants hindous, musulmans, bouddhistes ou jaïns. Peut-être un tel choix surprendra-t-il de la part d’un prêtre missionnaire ? Mais il n’a été dicté que par la réalité humaine dans laquelle j’exerce mon sacerdoce à Bénarès, avec l’infime minorité chrétienne qui est témoin, dans la ville sainte, du cheminement spirituel de nos frères non-chrétiens.
Je crois que le propre du témoin réside dans sa capacité de s’émerveiller face à ce qui est différent de lui. Ceci est une qualité profondément catholique, comme l’a enseigné le Concile Vatican II : « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans les religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes ».
Après tant d’années passées comme hôte dans le quotidien d’autres religions, j’ose dire que, d’une façon unique, le catholicisme a la capacité d’accueillir en son sein la prière de l’autre. Telle est la manifestation la plus profonde de la magnanimité à laquelle le Seigneur appelle son Eglise : non pas annexer la quête spirituelle de ceux qui ne sont pas chrétiens, mais plutôt se laisser interroger par elle, et même recevoir d’elle une « leçon » la sortant de la tiédeur qui la menace toujours (cf. Ap 3, 16). Vivre alors une « émulation de sainteté » et rendre grâce pour l’œuvre de « l’Esprit » qui « emplit l’univers », « lui qui tient ensemble tous les êtres » et « entend toutes les voix. » (Sg 1, 7).
Telles sont les raisons d’une telle exposition de photographies aux Missions Etrangères de Paris. Qu’il me soit enfin permis de demander au visiteur de ne pas passer trop vite, mais de se laisser imprégner par chaque image afin de rejoindre le désir de Dieu qu’elle exprime, cette présence silencieuse de l’Esprit Saint devant laquelle « l’œil écoute ».
L’inauguration de l’exposition La quête de l’absolu – Photographies entre l’Inde et le Tibet (du 24 avril au 22 septembre 2018) aura lieu le jeudi 26 avril à 11 h 30, en présence du P. Gilles Reithinger, supérieur général des MEP, du P. Lucien Legrand, du groupe MEP de l’Inde, et de Violaine Vaganay, commissaire de l’exposition. Missions Etrangères de Paris – 128 rue du Bac 75007 Paris.