Eglises d'Asie

Le retour des enfants perdus est-timorais

Publié le 25/04/2018




Entre 1974 et 1999, lors des conflits violents qui ont secoué la région entre troupes séparatistes et indonésiennes, 4500 enfants est-timorais ont été arrachés à leurs foyers et emmenés de force en Indonésie. Plus de vingt ans plus tard, certains d’entre eux ont pu retrouver leur famille. Malgré leur deuil, ils ont refusé d’oublier leur identité. À leurs côtés, les deux pays continuent leur travail de recherche.

Il y a plus de vingt ans, au Timor Leste, environ 4500 enfants ont été arrachés à leurs familles et emmenés en Indonésie. Aujourd’hui, ils essaient de rentrer chez eux. L’exode de ces enfants est survenu lors des conflits violents qui ont opposé les groupes séparatistes et l’armée indonésienne, entre 1974 et 1999. Un rapport de la Commission pour l’accueil, la vérité et la réconciliation remarque que les enlèvements étaient courants. Une mentalité répandue considérait « qu’en prenant le contrôle du Timor Leste, l’Indonésie avait aussi autorité sur ses enfants. » L’armée indonésienne, et même les autorités civiles du Timor Leste, s’en sont pris à des enfants est-timorais, emmenés de force en Indonésie.
En 2015, Mary Aileen Bacalso, secrétaire générale de l’Afad (Fédération asiatique contre les disparitions involontaires) a eu la chance d’assister personnellement à l’évènement le plus gratifiant pour toute personne travaillant pour les Droits de l’Homme, contre les disparitions forcées : l’identification et la réunification d’enfants longtemps disparus, aujourd’hui adultes, avec leurs familles biologiques. Ils étaient quatorze dans l’avion qui les ramenait au Timor Leste aujourd’hui indépendant, nouveau membre des Nations Unies et États signataire de la Convention relative aux Droits de l’Enfant. C’est la première fois, depuis plusieurs décennies, qu’ils faisaient ce voyage et qu’ils retrouvaient leurs familles. Ce jour-là, ils ont livré plusieurs témoignages saisissants.

4 500 disparitions forcées entre 1974 et 1999

Ce sont des histoires de deuil, de nostalgie et de refus d’oublier leur identité. Des histoires de travail forcé et d’exploitation sexuelle ; de pauvreté et de manque d’éducation ; de mémoire et de reconstitution de leurs souvenirs. Isabelinha Pinto a été arrachée à ses parents à l’âge de cinq ans. Un soldat l’a enlevée parce qu’il n’avait pas de fille. En Indonésie, Isabelinha n’a pas oublié ce que son père lui avait dit : « Tu dois être forte, honnête et courageuse. » Elle a pris les propos de son père à cœur, et elle a survécu. Un de ses cousins l’a retrouvée. Après avoir été réunie avec ses parents, Isabelinha s’est portée volontaire pour retrouver d’autres enfants comme elle. Elle est devenue un élément clé de la recherche des enfants Timorais disparus.
Victor da Costa, qui travaille pour l’ONG indonésienne Kontras, a été enlevé du Timor quand il avait quatre ans. Quand il est devenu majeur, il est retourné au Timor-Leste pour constater qu’il avait déjà été déclaré mort. « Quand j’ai appris que j’avais déjà ma propre tombe, j’étais partagé entre la tristesse et la colère », regrette-t-il. Une étude appelée Long journey home recense les témoignages de 65 enfants qui ont retrouvé leurs parents. Ces témoignages évoquent leur isolement, la nostalgie omniprésente et la déception face à la perte de leur identité. Ils parlent aussi du traumatisme de la guerre, de l’esclavage, de la torture, des mauvais traitements et du combat pour retrouver leurs familles.
Marco Antonio Garavito Fernandez, psychologue, souligne l’urgence de soigner les cœurs brisés des enfants et de leurs familles biologiques. Le jour où les quatorze enfants Est-Timorais sont retournés chez eux, Marco a découpé des cœurs en papier, dont il a donné la moitié à chacun des membres des familles qui attendaient le retour des leurs, et l’autre moitié aux enfants. Quand les deux moitiés ont été rassemblées, on pouvait toujours voir une cicatrice, mais elles étaient réunies. Plusieurs groupes du Timor-Leste et d’Indonésie ont continué les travaux de recherche, tout en cherchant à accompagner la guérison des enfants et de leurs familles. Par leurs efforts, les deux pays doivent soutenir un travail de mémoire. Le fait de se pencher sur les violations des Droits de l’Homme durant l’occupation indonésienne peut aider panser les blessures, quelle que soit leur profondeur. Ce serait faire un cadeau précieux à ces enfants.

Par Mary Aileen Bacalso, secrétaire générale de l’Afad, la Fédération asiatique contre les disparitions involontaires. Pour son engagement au service des Droits de l’Homme, le gouvernement argentin lui a remis le prix international des Droits de l’Homme Emilio Mignone en 2013.

(Avec Ucanews, Manille)