Eglises d'Asie – Indonésie
Malgré la croissance, les inégalités continuent de grandir
Publié le 27/04/2018
Depuis la mort de sa femme l’année dernière, décédée suite à une insuffisance rénale, la vie est devenue triste et difficile pour Udin, 60 ans. Plutôt que de rentrer chez lui, il préfère dormir dans les lieux publics. Il ne voit aucune raison de retourner dans son abri de fortune dans l’est de Jakarta, déjà occupé par d’autres squatteurs, dont l’un de ses propres enfants. Udin est Betawi, une ethnie originaire de la région de Jakarta. Le nom de l’ethnie vient de l’ancien nom de la capitale, Batavia, appelée ainsi sous la domination coloniale néerlandaise. Les Betawi sont de plus en plus marginalisés, face à l’afflux continu d’Indonésiens dans la capitale, arrivant de toutes les régions de l’archipel. Quand Udin était enfant, plusieurs terrains possédés par son père ont été revendus à de nouveaux arrivants. Aujourd’hui, il se retrouve sans éducation et sans ressource. Son seul bien : un chariot en bois, qu’il utilise pour ramasser des morceaux de métal, de plastique et de verre. « Je peine à survivre au quotidien, mêmes en m’appuyant sur l’aide de plusieurs personnes », confie Udin.
De son côté, Abdul Rahman n’avait plus suffisamment de travail à Java, où il manquait de terres agricoles. Il a dû laisser là-bas sa femme et ses cinq enfants pour venir travailler à Jakarta. « Je dois faire vivre ma famille », explique Abdul, 50 ans, dont l’aîné étudie à l’université. Il a eu du mal à trouver du travail, mais il a trouvé, début 2017, un emploi comme vendeur de porridge. Malgré de très faibles revenus, il dispose au moins d’un salaire régulier. « J’en envoie la plus grande partie à ma femme », ajoute Abdul, qui ne peut rentrer chez lui qu’après le mois du Ramadan.
36 % d’Indonésiens touchent moins de 3,1 dollars par jour
Udin et Abdulfont partie des millions d’Indonésiens qui n’ont pas pu profiter du développement économique du pays. Selon les statistiques officielles, plus de 26 millions d’Indonésiens, soit 10,2 % de la population, vivent sous le seuil de pauvreté. De plus, selon l’ONG Oxfam, les véritables chiffres sont encore bien plus élevés. Selon Oxfam, 93 millions d’Indonésiens touchent moins de 3,10 dollars par jour (le seuil « modéré » fixé par la Banque mondiale), soit 36 % de la population. Les prévisions annoncent une croissance économique de 5,3 % pour 2018, après une croissance de 5,1 % en 2017. Mais Enny Sri Hartati, directeur général de l’Institut indonésien pour le Développement Économique et Financier (Indef), affirme que c’est bien peu, au regard de la forte croissance démographique du pays. L’Indonésie compte déjà plus de 260 millions d’habitants. Pour lui, si aucune politique efficace n’est mise en place, les inégalités risquent de s’aggraver. D’autant plus que la croissance de la population menace les tentatives de réduire le chômage, qui touche actuellement 5,5 % des 128 millions d’actifs.
Prabowo Subianto, président du parti Great Indonesia Movement, également connu sous le nom de Gerindra, dénonce le fait que 80 % des ressources du pays sont contrôlées par une poignée de personnes. L’Indonésie occupe le sixième rang mondial en termes d’inégalités. Parmi les pays d’Asie du Sud Est, c’est aussi dans l’archipel indonésien que les inégalités progressent le plus rapidement. Selon Oxfam, parmi les facteurs qui menacent la cohésion sociale du pays, on trouve les bas revenus et l’accès inégal à l’éducation, à l’électricité ou encore aux infrastructures comme les routes, pas toujours entretenues.
Le magazine Forbes a publié en 2018 sa liste des 2208 personnes les plus riches au monde, parmi lesquelles on compte dix Indonésiens, qui cumulent à eux seuls une fortune de 596 milliards de dollars. Le magnat de la cigarette Robert Budi Hartono et son frère banquier Michael Bambang Hartono sont ainsi classés respectivement au 69e et 75e rang. Selon Oxfam, les quatre hommes les plus riches du pays possèdent davantage que
les 100 millions d’Indonésiens les plus pauvres. Mais Syarkawai Rauf, président de la Commission de contrôle indonésienne de la concurrence commerciale, affirme au contraire que les inégalités commencent à baisser. Cela dit, Syarkawai ajoute que la politique du gouvernement devrait se concentrer davantage sur les disparités entre riches et pauvres. Pour lui, le gouvernement se focalise trop sur le développement de Java, l’île la plus peuplée du pays.
Une économie en manque de souveraineté
Pour Enny Sri Hartati, directeur de l’Indef (Institut indonésien pour le développement économique et financier), l’Indonésie, dont l’économie repose en grande partie sur ses importations, a perdu beaucoup de sa souveraineté. En février 2018, la dette du pays était de 352,2 milliards de dollars, soit 34 % du PIB ; une somme empruntée en grande partie dans le secteur public. Selon Enny, près de 50 % des secteurs stratégiques de l’économie indonésienne, dont l’exploitation minière et l’approvisionnement en eau, sont contrôlés par des investisseurs étrangers. Pour elle, il faut que le gouvernement se concentre davantage sur les industries qui peuvent stimuler la productivité et la créativité. Hamong Santono, cadre supérieur de l’ONG Forum on Indonesian Development, demande au gouvernement de coopérer davantage avec les groupes de la société civile, pour mieux faire face aux inégalités.
Hamong précise que les huit Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), approuvés en 2000 par 193 États membres de l’ONU, incluent l’éradication de toutes les formes de pauvreté et de famine dans le monde. Les OMD précisent des objectifs spécifiques comme l’eau potable, l’hygiène, l’éducation, l’égalité des genres ainsi qu’une croissance économique inclusive et le combat pour la défense de l’environnement. Pour lui, il est important que ces problèmes clés se reflètent dans les choix politiques indonésiens, en prévision des élections régionales de juin et de l’élection présidentielle en 2019.
Le président indonésien Joko Widodo s’est engagé à combattre les inégalités. Le gouvernement s’est d’ailleurs concentré sur un meilleur accès à l’éducation dans les régions pauvres, notamment dans les provinces du Nusa Tenggara Oriental et de la Papouasie, dont la population est en majorité chrétienne. Le gouvernement a également accordé des titres fonciers à des millions d’agriculteurs et a fait construire des barrages pour améliorer leur productivité.
(Avec Ucanews, Jakarta)