Eglises d'Asie

L’indépendance du Sultanat en péril face à Riyad et Pékin

Publié le 19/05/2018




Si la colossale manne pétrolière a permis à quelques-uns, au Sultanat de Brunei, de vivre un train de vie hors du commun, cette situation pourrait toucher à sa fin d’ici quelques années, les ressources du pays semblant se réduire. Mais cette richesse a permis au Sultanat d’apporter du poids à ses revendications sur la scène internationale, notamment face à Pékin en mer de Chine méridionale, mais aussi face à l’influence de l’Arabie Saoudite. Entre la presse muselée et la Charia imposée, les chrétiens continuent de subir une répression sévère. 

Les richesses pétrolières ont apporté beaucoup à Brunei, garantissant au pays un haut niveau de vie et l’indépendance économique, et permettant au Sultanat de poursuivre son propre agenda politique et religieux. Mais cette indépendance est menacée par la diminution des réserves de pétrole et de gaz du pays, qui pourraient disparaître d’ici vingt ans. Le Sultan Hassanal Bolkiah a réagi en entamant des réformes économiques et en recherchant les investissements étrangers. Des rapports estiment que la Chine aurait investi près de 6 milliards de dollars dans le Sultanat, tandis que la recherche du « think thank » American Enterprise Insitute indique que les investissements chinois à Brunei sont à hauteur de 4,1 milliards de dollars. D’autres investissements arrivent d’Arabie Saoudite. Des chiffres astronomiques pour le Sultanat de Brunei, qui compte seulement 440 000 habitants. Des rumeurs affirment qu’en retour, Brunei resterait passive face aux conflits en mer de Chine méridionale, et que le pays serait prêt à s’incliner face à l’Arabie Saoudite et au wahhabisme.

Le poids de l’or noir en mer de Chine

L’expansionnisme chinois en mer de Chine méridionale, connue également comme la mer orientale à Hanoï ou comme la mer des Philippines occidentales à Manille, a sapé l’unité des dix pays membres de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), alors que le Cambodge et le Laos soutiennent Pékin. En 1984, Brunei a revendiqué ses droits sur des territoires maritimes, dont le récif Louisa ainsi que les bancs d’Owen, de Rifleman et de Bombay Castle, tous situés dans sa Zone exclusive économique (à moins de 200 milles nautiques des côtes). Sa principale revendication, le récif Louisa situé dans les îles Spratly, est contestée par la Chine et le Vietnam. Les deux pays maintiennent une présence militaire dans la région, tandis que Brunei reste traditionnellement silencieux sur ces conflits. Mais le Sultanat est parvenu à défendre sa position dans cette arène diplomatique où se disputent les intérêts des Philippines, du Vietnam, de la Malaisie et de l’Indonésie face aux ambitions maritimes de la Chine.
Toutefois, Ahmed Mansoor, un ancien journaliste basé de Brunei, a écrit récemment que les recettes publiques du pays ont chuté de 70 % entre 2013 et 2016. Brunei a ensuite indiqué ce qui devait suivre, en défendant un « accord important » avec le Cambodge, le Laos et la Chine, et en demandant que ces conflits n’affectent pas les relations entre Pékin et l’Asean. La chute des recettes publiques a entraîné une baisse inquiétante du pouvoir d’achat et la hausse du chômage. Selon Ahmed Manssor, « en échange des 6 milliards de dollars d’investissements chinois et des promesses de la Chine de soutenir le commerce et la coopération agricole, Brunei a accepté de rester silencieux face aux revendications de Pékin en mer de Chine méridionale, refusant de critiquer son plus gros investisseur malgré ces conflits d’intérêts ».

Riyad dans la mêlée

L’Arabie Saoudite est elle aussi entrée dans la mêlée, avec une visite historique du roi Salmane ben Abdelaziz, destinée à renforcer ses liens dans le monde islamique autour des valeurs religieuses. Une rencontre qui cachait bien sûr des enjeux majeurs comme la lutte contre le terrorisme, la promotion du tourisme ou la volonté de servir leurs intérêts mutuels sur le marché mondial du pétrole. De plus, l’Arabie Saoudite voit Brunei comme un centre stratégique, qui peut être utilisé pour renforcer ses liens avec la Chine et son expansion en Asie de l’Est, après le retrait des États-Unis du Partenariat Trans-Pacifique (TPP). Riyad soutient farouchement la Charia à Brunei, ce qui implique un contrôle sévère des autres religions. Brunei, qui a interdit la fête de Noël en 2015, exige des chrétiens de demander l’autorisation à l’avance avant l’organisation de toute festivité.
Mais le respect de la Charia n’a jamais été la priorité à Brunei, même pour les proches de la famille royale. Les jeunes princes ont été trop souvent repérés dans les casinos ou les bars branchés de Londres, et une bonne partie de la manne pétrolière s’est évaporée. Un juge londonien a un jour déclaré comment Mariam Aziz, ancienne femme du sultan, a perdu un demi-million de livres sterling dans les casinos. Celle-ci a nié avoir dépensé trois millions de livres en un seul coup de folie du jeu. Le prince Azim – également surnommé le « prince playboy » – aime organiser des fêtes grandioses pour le Nouvel An, par exemple dans l’hôtel de luxe londonien du Dorchester, en invitant des célébrités comme Jerry Hall, Sophia Loren ou Faye Dunaway. Mariah Carey aurait même été payée 900 000 livres pour venir chanter. Mais le plus dépensier est le prince Jefri Bolkiah, le grand frère du Sultan, qui a gaspillé près de 14 milliards de dollars et s’est accordé un harem de quarante femmes. Sans compter la luxueuse pompe royale de la capitale de Brunei, Bandar Seri Begawan, et ses somptueux palais.

La fin d’une manne pétrolière ?

La Chine et l’Arabie Saoudite ont cherché à contrôler, ou au moins influencer, la presse à Brunei quand cela les arrangeait. Reporters Sans Frontières a rangé Brunei au 153e rang de son Classement mondial de la presse 2 018 (sur 180 pays), indiquant une intervention régulière du gouvernement. « Mais dans la plupart des cas », ajoute le rapport de RSF, « la rigueur de la législation, rendue encore plus sévère par l’introduction d’une version très stricte de la Charia, suffit à dissuader tout commentaire pouvant être interprété comme blasphématoire ou critique envers le Sultanat. En 2017, plusieurs chefs religieux ont appelé à renforcer la censure afin de contrer ce qu’ils considèrent comme une décadence morale. » L’Arabie Saoudite est intervenue quand sont apparues des critiques contre Riyad, notamment à propos du Hadj ou des prix du pétrole. Ahmed Mansoor remarque : « Même des rapports critiques de la presse locale ont suffi à déclencher les récriminations de l’ambassade chinoise, qui a fait pression sur le gouvernement pour renforcer le contrôle de la presse. »
The Brunei Times, un quotidien anglophone, a été forcé de supprimer les commentaires de son site internet. Les publications déjà dociles ont été forcées de censurer toute critique, et les lois sur les médias, déjà restrictives, ont été renforcées après l’ajout de mesures supplémentaires contre tout blasphème ou crime de lèse-majesté. Toute personne étant perçue comme une menace peut être emprisonnée indéfiniment et sans jugement, et les personnes qui s’autorisent à se plaindre sur les réseaux sociaux se voient averties qu’elles aussi peuvent être poursuivies. Malheureusement, ce genre d’attitude se répète à travers l’Asie du Sud-Est et s’attaque à la liberté d’expression.
Les fabuleuses richesses pétrolières du pays ont permis à quelques-uns de mener un train de vie hors du commun. C’est aussi cette richesse qui a permis au Sultanat de donner poids à ses revendications sur la scène internationale – en s’affranchissant des influences financières étrangères ou des conflits d’intérêts –, en particulier au cours des longs conflits en mer de Chine méridionale. Mais la situation pourrait bientôt basculer.

(Avec Ucanews, Bangkok)

Luke Hunt, journaliste australien basé à Bangkok, est l’auteur de Punji Trap, un récit historique sur le Vietnam et sur les guerres au XXe siècle.