Eglises d'Asie

Avant les élections régionales, les Indonésiens luttent contre l’oligarchie

Publié le 26/05/2018




Un an avant les élections législatives et présidentielles de 2019, les Indonésiens commencent déjà à vivre des remous électoraux, alors qu’approchent les élections régionales de juin prochain. Vingt ans après l’éviction du président Suharto, qui fut au pouvoir dans l’archipel durant plus de trente ans, l’Indonésie a connu une longue période de réformes démocratiques. Pourtant, le processus est loin d’être terminé, face à la mainmise sur le pouvoir d’une poignée d’élus locaux corrompus. Le pays espère des élections justes, libres de toute manipulation sectaire.

Il y a vingt ans, quand les Indonésiens ont chassé le régime autoritaire de Suharto soutenu par l’armée, lors d’un coup d’État sanglant, ce fut le début d’une nouvelle ère, connue comme la « Reformasi ». Il y a alors eu les promesses d’un retour démocratique. Le point culminant de ce basculement de l’histoire indonésienne fut le 21 mai 1998, quand le président Suharto finit par abdiquer après plus de trente ans au pouvoir. Malgré tout, ce fut aussi un moment tragique de l’histoire de l’Indonésie. Des atrocités ont été perpétrées, non seulement à Jakarta, la capitale, mais aussi à travers tout le pays, tuant plus de cinq cents personnes, et forcant des milliers d’autres à fuir une répression violente. Des dizaines de personnes sont toujours introuvables aujourd’hui. Le vice-président Bacharuddin Jusuf Habibie, qui prit la relève en tant que président, se sentit bien vite forcé de lancer des réformes en adoptant les principes démocratiques, bâillonnés durant plus de trente ans sous la présidence du Suharto.
Durant le mandat du président Habibie (1998-1999), des dizaines de lois ont été votées. Certaines ont été promulguées durant son mandat, d’autres durant les années suivantes. Ces lois sont considérées, aujourd’hui, comme la fondation d’une nouvelle démocratie. Parmi les priorités qui furent fixées, on compte avant tout la liberté de la presse, la décentralisation, la volonté de laisser le champ libre aux nouveaux partis politiques et aux syndicats, ainsi que la libération de prisonniers politiques. Parmi les autres principaux objectifs de ces réformes, figurent la volonté d’empêcher le président de garder ses fonctions plus de dix ans, la diminution du rôle des militaires dans la politique indonésienne, et le maintien d’élections équitables. La grande question demeure : aujourd’hui, vingt ans après, qu’est-ce qui a pu être réalisé ?
Beaucoup de facteurs sociaux, politiques et économiques ont changé pour le mieux, mais beaucoup reste à faire, face aux obstacles et aux échecs à maintenir une démocratie authentique. Ainsi, en 1999, une nouvelle loi débridait la liberté de la presse, muselée durant plusieurs décennies, mais beaucoup de journalistes sont toujours la cible de personnes corrompues. Par ailleurs, malgré la vive opposition de l’armée, Habibie a voulu mettre fin aux conflits sanglants au Timor oriental. Le référendum de 1999 offrait au Timor-Leste l’opportunité de choisir l’indépendance. Aujourd’hui, cela peut être considéré comme un succès. L’Indonésie s’est développée jusqu’à devenir l’un des plus grands pays démocratiques au monde – et l’une des quinze plus grandes économies au monde – grâce aux efforts des deux dernières décennies. Les élections de juin 1999 furent considérées comme les secondes élections les plus démocratiques qu’a connu le pays après celles de 1955, avec la participation de 48 anciens et nouveaux partis politiques.

Décentraliser pour mieux régner sur 17 000 îles

Les réformes ont apporté de nouvelles méthodes de gouvernement, en donnant plus d’autorité aux gouvernements locaux. Durant cette période de réformes, trois lois relatives à l’autonomie des provinces ont été votées, dont la dernière remonte à 2015, sous l’égide du président actuel, Joko Widodo. L’idée était de laisser plus de liberté aux périphéries du pays, pour qu’elles puissent gérer leurs propres affaires et améliorer leur niveau de vie. Si la décentralisation convient bien à un pays comprenant plus de 17 000 îles, sa mise en œuvre ne s’est pas faite sans surprises. Bien des responsables locaux ont abusé de leur pouvoir, en se construisant leur empire personnel pour devenir des sortes de rois et reines locaux. Les pires d’entre eux ont sacrifié le bien commun pour s’enrichir et étendre les oligarchies politiques.
Dans beaucoup de cas, des permis d’exploitation minière ou d’autres ressources naturelles sont accorddés en échange d’un soutien politique. Pour les élus malhonnêtes, les élections leur donnent l’occasion de négocier avec les plus riches pour financer leurs campagnes. En conséquence, la population locale, même dans les régions riches en ressources naturelles, se retrouve lésée. Grâce à l’autonomie régionale, dans l’idéal, l’administration locale est censée gouverner de façon indépendante et améliorer la vie de ses concitoyens. Mais nombre d’élus préfèrent amasser le plus d’argent possible afin de garder le pouvoir.
Contrairement aux années précédentes, quand les scandales de corruption touchaient principalement le gouvernement central, de plus en plus de fonctionnaires et de parlementaires locaux sont arrêtés pour corruption. La démocratie indonésienne risque donc de stagner, à cause d’une mauvaise gouvernance, d’abus généralisés et de conflits sectaires. Les tensions communautaires peuvent être attisées par certains mercenaires manipulateurs, en particulier durant les élections. On ne peut nier que la noble réforme démocratique a été détournée par une poignée de personnes, qui continuent de chercher le moyen de perpétuer les oligarchies.

Des élections libres pour une saine démocratie

En juin prochain, plus de 160 millions d’habitants de 171 provinces, municipalités et districts vont devoir choisir de nouveaux élus lors des élections régionales. L’année prochaine, en 2019, près de 85 % des 196 millions d’électeurs devraient participer aux élections législatives et présidentielles, pour choisir les membres du parlement et un nouveau président. Beaucoup craignent que la guerre électorale ne pousse certains groupes ou individus à intimider et exploiter les sentiments ethniques ou religieux. Cela risque d’entraîner des alliances basées davantage sur un pragmatisme politique cherchant le pouvoir, que sur une volonté d’améliorer la vie sociale et économique de la population. Toutefois, il demeure un certain espoir que la majorité musulmane – sous l’égide des deux principales organisations islamiques, Nahdlatul et Muhammadiyah – accueille mieux qu’avant les idéaux démocratiques.
Le scandale des élections du gouverneur de Jakarta, en 2017, ne doit pas se répéter durant les prochaines élections. Celles-ci avaient été entachées par des idées anti chinoises et anti chrétiennes, chassant l’ancien gouverneur Ahok, un chrétien d’origine chinoise. Espérons que la majorité s’oppose au sectarisme en acceptant que les élections ne doivent pas se contenter d’élire de nouveaux leaders, mais aussi refléter une volonté de changer et d’améliorer la démocratie indonésienne. Les pères fondateurs de l’Indonésie et les principaux partisans de la réforme rêvent d’une société dont la gestion économique et politique puisse être conduite de façon harmonieuse. Pour cela, il faut des élections libres et justes.

(Avec Ucanews, Siktus Harson, Jakarta)

Siktus Harson est responsable du bureau de Jakarta pour Ucanews