Eglises d'Asie

Flores de Mayo : à Manille, les mères des disparus prient le Magnificat

Publié le 02/06/2018




Alors que l’Église a fêté, ce 25 mai, la Visitation de Marie, le Magnificat demeure toujours aussi actuel pour toutes les mères, en particuliers pour les mères des enfants disparus aux Philippines. Le 26 mai, dans les rues de Manilles, le festival des « Flores de Mayo » (les Fleurs de Mai), représente d’une façon théâtrale leur appel pour la justice et la paix. L’évènement fait partie des nombreuses dévotions mariales organisées dans l’archipel tout au long du mois. Commentaire de Mary Aileen Bacalso, secrétaire générale de la Fédération asiatique contre les disparitions involontaires. 

Le mois de mai rappelle aux catholiques philippins les fleurs que les enfants offrent à la Vierge Marie dès le début du mois, jusqu’à la fête de « Santocruzan », un spectacle rituel qui se tient chaque année le 26 mai, lors du dernier jour des « Flores de Mayo », les offrandes des « Fleurs de Mai ». « Santocruzan » commémore la découverte de la « Vraie Croix » par la sainte impératrice romaine Hélène de Constantinople (248-330) et son fils, saint Constantin le Grand (272-337).
Quant au second dimanche du mois, aux Philippines, il est dédié à toutes les mères. Ce jour est l’occasion, pour la population, de rendre hommage aux mères pour les avoir portés, pour leur avoir donné naissance et les avoir nourris, élevés… en participant ainsi à la noble marche de la Création. Mais malgré leur joie d’être mères, certaines sont également confrontées, dans le pays, à la pauvreté, à l’injustice sociale, à la discrimination et autres violations des Droits de l’Homme. Il n’y a pas de plus grande douleur, pour une mère, que de devoir enterrer son propre enfant. Il n’y a non plus de plus grande souffrance, pour elle, que d’ignorer ce qu’est devenu l’enfant qu’elle a élevé.
Durant les quelque trois décennies que j’ai vécues en immersion parmi les familles des disparus, j’ai été témoin de la douleur des mères dont les enfants ont été arrachés à leurs foyers. Edita Burgos, la mère d’un activiste disparu aux Philippines, a témoigné de la recherche inlassable de son fils, Jonas. Durant son témoignage, délivré lors du onzième anniversaire de la disparition de son fils, elle a décrit son expérience comme un « état d’attente permanent ». Bien qu’elle accepte implicitement, d’une façon calme et courageuse, la douloureuse possibilité que son fils soit mort, elle promet qu’elle continuera à le chercher tant qu’elle sera vivante.

Marie Consolatrice des affligés

J’ai eu la chance de travailler avec Marta Ocampo de Vasquez, la défunte présidente de l’ONG des Mères de la place de Mai (Madres de la Plaza de Mayo), jusqu’à sa mort [l’association a été fondée pour venir en aide aux mères des enfants disparus durant la dictature argentine]. C’était l’une des mères les plus infatigables. Elle a continué à chercher sa fille disparue, Maria Marta, jusqu’à la fin de sa vie. Dans une confession que fit Adolfo Scilingo, l’un des coupables de la disparition de Maria Marta, celui-ci avoua à Marta de Vasquez que sa fille et son beau-fils Cesar ont fait partie des victimes des « vols de la mort ». Beaucoup de ces victimes étaient des femmes enceintes qui ont été poussées dans l’océan en plein vol. Marta de Vasquez est morte en décembre 2017 à l’âge de 90 ans. Je me souviens bien de jour béni au cours duquel la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies a présenté, en son honneur, le texte final du traité contre les disparitions forcées. De Vasquez était le symbole du combat des mères des victimes disparues durant la « guerre sale » argentine.
Les disparitions forcées de ces enfants ont transformé leurs mères en victimes puis en protectrices des Droits de l’Homme. Cela a contribué à une meilleure prise de conscience de la cruauté de ces disparitions forcées et de la nécessité d’une action collective. Durant le mois de mai, la société cherche à honorer ces femmes et les nombreuses autres mères des victimes des violations des Droits de l’Homme. La mère philippine Edita Burgos et l’argentine Marta de Vasquez nous rappellent le courage qu’a montré la Vierge Marie par son Magnificat, en parlant des puissants renversés de leurs trônes, des orgueilleux dispersés et des pauvres comblés : « Il élève les humbles ; il comble de biens les affamés » . Contrairement à l’idée préconçue d’une Marie passive, le Magnificat est l’hymne le plus révolutionnaire jamais chanté. La junte militaire argentine l’a même interdit quand il fut affiché lors des manifestations de l’association Madres de Plaza de Mayo.
En créant l’enthousiasme des pauvres du Guatemala, l’amour préférentiel que montre le Magnificat pour les pauvres fut si menaçant pour les autorités au pouvoir que sa récitation publique fut interdite. La Vierge Marie est un modèle de vertu non seulement pour son humilité et pour son obéissance envers Dieu, mais aussi pour son courage qui met en pratique l’option préférentielle pour les pauvres, en les délivrant des chaînes de la misère et de l’impuissance. Le Magnificat reste donc plus actuel que jamais pour toutes les mères, en particulier pour celles des personnes disparues et des victimes des atteintes envers les Droits de l’Homme.

Mary Aileen Bacalso est secrétaire générale de la Fédération asiatique contre les disparitions involontaires (AFAD). Elle a reçu en 2013, pour sa défense des personnes disparues, le prix international des Droits de l’Homme Emilio Mignone.

(Avec Ucanews, Manille)