Eglises d'Asie

Un ancien otage de Marawi s’engage pour la réhabilitation des survivants

Publié le 19/06/2018




L’histoire de Jason est devenue un exemple pour les autres survivants face à leur traumatisme. Jason, qui fait partie des laïcs catholiques capturés par les terroristes lors du conflit de Marawi en 2017, s’est porté volontaire auprès du programme de réhabilitation de l’Église pour les victimes. Il se souvient de l’épreuve de sa captivité aux mains des islamistes, lors du conflit de cinq mois dans le sud des Philippines. Témoignage.

Plus d’un an a passé depuis que les terroristes ont attaqué Marawi, dans le sud de l’archipel philippin, mais pour Jason (nom fictif), qui faisait partie des otages enlevés par les islamistes, c’est comme si c’était hier. Son expérience, entre les mains de ses ravisseurs, a laissé en lui de profondes blessures. « Je fais des cauchemars. J’ai peur que cela se reproduise, et qu’ils reviennent », confie-t-il. Malgré ses peurs, le jeune homme s’est engagé afin d’être un symbole d’espérance et de courage pour les autres survivants des attaques. Jason s’est porté volontaire auprès de Duyog Marawi (Un avec Marawi), un programme de réhabilitation lancé par l’Église de Marawi et par la congrégation rédemptoriste pour la ville dévastée. Ce programme cherche notamment à soutenir et à soigner les anciens otages et les familles de ceux qui ont été tués par les terroristes.
L’histoire de la capture de Jason remonte à la veille de l’attaque du 23 mai, alors qu’il s’était joint à son père et à son frère pour un travail de construction dans Marawi. Sur le chantier, les ouvriers ont entendu des coups de feu à proximité. « Notre employeur nous a dit de nous mettre à l’abri en attendant que les coups de feu s’arrêtent. Il disait que c’était normal et que ça s’arrêterait d’un moment à l’autre. Mais ça ne s’est pas arrêté », ajoute Jason. Ils sont restés cachés avec peu de vivres ou d’eau, jusqu’à ce que leur employeur musulman décide de les conduire en sécurité. « Il nous a dit qu’il nous protégerait. Il était certain que les terroristes l’écouteraient et nous laisseraient partir », explique le jeune homme. Ils ont passé plusieurs points de contrôle, installés dans la ville par les terroristes. Au dernier point de contrôle, les terroristes ont menacé la famille de l’employeur s’il refusait d’abandonner ses ouvriers chrétiens. Les hommes ont saisi Jason et sept autres travailleurs. Ils les ont emmenés dans un bâtiment où plusieurs otages se trouvaient déjà, dont le prêtre catholique Teresito Suganob.

L’épreuve de Jason

« On nous a dit de revêtir des habits noirs, comme ceux qu’ils portaient. Ils nous ont demandé d’aller retirer les corps de leurs camarades », explique-t-il. Jason et les autres otages devaient éviter d’être touchés par les tireurs tout en allant retirer les corps et les terroristes blessés. Un otage, à qui l’on avait demandé d’emporter un sac de riz depuis une boutique pillée, a été tué de cette manière. « Il y avait des corps partout », explique Jason. Certains étaient méconnaissables. Les otages ont dû creuser des tunnels d’un bâtiment à l’autre. Les blessés ont été emmenés dans un bâtiment sécurisé où un hôpital de fortune avait été installé. « La plupart du temps, le père Suganob aidait à soigner les blessés et parlait avec les otages », confie Jason. Il explique qu’il avait fini par accepter le fait qu’il allait mourir entre les mains des terroristes.
Quand il entendait les femmes implorer de l’aide, il lui est même arrivé de prier pour demander la mort. « Les nuits les plus douloureuses et les plus terrifiantes étaient quand ils venaient violer les femmes prises en otage », témoigne Jason. Il se souvient d’une mère qui suppliait pour que sa fille soit épargnée, mais la mère a été attachée à une chaise et forcée à regarder sa fille de quinze ans se faire violer. « Je peux encore entendre leurs cris. Je ne comprends pas pourquoi il y a des gens qui peuvent faire ça à des jeunes filles et à des femmes », confie-t-il. Reynaldo Barnido, directeur général de Duyog Marawi, explique que les conflits ont causé des « blessures irréversibles sur les victimes ». « Leur expérience les a placés dans un état de peur permanente. Cela leur a ôté une part de leur humanité, et c’est ce que nous cherchons à soigner », ajoute Reynaldo. « Ce qui les a blessés le plus a été de voir mourir leurs proches ou leurs amis. » Jason raconte qu’il a vu un cousin se faire tuer par une bombe. « Nous étions juste en train de parler, et il a disparu d’un coup. J’ignore pourquoi je suis toujours en vie. Dieu a peut-être d’autres projets pour moi », confie le jeune homme.

L’évasion

Le matin du 18 octobre, Jason s’est retrouvé au milieu de violents combats. Des balles volaient partout autour de lui. Les terroristes s’étaient repliés dans un coin de la ville, et les troupes du gouvernement manœuvraient pour récupérer du terrain. Jason, son père et un autre otage ont trouvé l’opportunité de s’échapper. Quand ils ont rejoint les militaires, quelqu’un a crié « que personne ne bouge ! ». « Les militaires nous ont emmenés à l’écart des combats. On nous a bandé les yeux et attaché les mains », raconte Jason. Les otages ont été amenés dans des quartiers militaires où, selon Jason, ils ont été torturés à plusieurs reprises afin de les forcer à avouer qu’ils étaient terroristes. « Nous avons été soumis à des interrogatoires cruels. Les soldats insistaient pour dire que nous étions des membres du groupe terroriste. » On leur a montré des photographies de leaders et de membres présumés du groupe, ainsi qu’une carte pour qu’ils montrent la situation des tireurs et des otages. Durant un interrogatoire, Jason a été battu sauvagement. Un coup d’un soldat a disloqué sa mâchoire.
Son père, de son côté, commençait à perdre la raison. « Il a essayé de se suicider plusieurs fois dans le camp militaire, parce qu’il pensait que j’étais mort », explique-t-il. Le 2 novembre, les soldats ont relâché Jason et ses compagnons en l’absence de preuves les reliant au groupe terroriste. Le colonel Romeo Brawner, commandant militaire adjoint de Marawi, déclare que tous ceux qui sortaient de la zone de combat étaient « considérés comme des combattants ». « C’est pourquoi nous avons conduit des interrogatoires approfondis, pour vérifier leur identité », ajoute-t-il. Il reconnaît que des erreurs ont pu être commises par les militaires à cause d’un « manque de protocole ». « S’il y a eu des défaillances, c’étaient des cas isolés, cela ne représente pas l’ensemble de notre combat contre le terrorisme », affirme-t-il. Jason et sa famille ont décidé de ne pas porter plainte contre les terroristes. « Cela ne ferait qu’empirer la situation. C’est quelque chose que notre famille ne peut pas se permettre. Nous n’avons rien et nous ne sommes rien, par rapport à eux », explique le jeune homme.

Aller de l’avant

Jason et sa famille sont parmi les premiers à avoir bénéficié du programme de soutien de l’Église. En plus d’un accompagnement psychologique, Duyog Marawi a également aidé la famille à se réintégrer dans la communauté. Le programme compte plus de 400 jeunes volontaires musulmans et chrétiens qui, d’une façon ou d’une autre, ont également été victimes du conflit. « Ces jeunes sont venus vers nous, parce qu’ils veulent aider à reconstruire la paix, pas uniquement dans leur ville mais également dans les relations entre chrétiens et musulmans », confie le prêtre rédemptoriste Ariel Lubi. Le prêtre explique que des survivants comme Jason « se sont levés avec courage, malgré leur traumatisme, pour aider les autres victimes ». « Nous ne pouvons pas tout défaire, mais nous pouvons les aider à soulager leur douleur », ajoute Reynaldo Barnido. Le programme a déjà accompagné quatre groupes d’anciens otages et leurs familles. L’histoire de Jason est devenue un exemple pour tous ceux qui ont été confrontés à la même expérience. Il a permis à d’autres comme lui de comprendre qu’ils ne sont pas seuls, qu’il y a une vie après la souffrance. Jason s’est engagé à faire de son mieux pour éviter que l’histoire se répète à Marawi. « Je veux aider les gens à se libérer de la haine et des préjugés », ajoute-t-il. « Ce ne sont pas des musulmans qui nous ont fait souffrir, mais des gens qui se sont égarés. »

(Avec Ucanews, Manille)