Eglises d'Asie

La crainte du « meiwaku », ou le comportement étonnant des supporteurs japonais

Publié le 30/06/2018




Des supporteurs japonais, à la fin d’un match en pleine coupe du monde de football, ont été surpris à deux reprises en train de nettoyer le stade. Une initative qui a surpris – voire choqué, dans le bon sens du terme – beaucoup de témoins, mais qui ne serait pas inhabituelle pour la culture japonaise. C’est ce que souligne le père William Grimm, MM, depuis Tokyo, où il constate le refus absolu du « meiwaku », ou le fait de déranger ou irriter autrui. Une tradition de civilité qu’il juge évangélique, et qui remonterait à l’histoire et au contexte de ce pays où les 85 % de régions montagneuses poussent les Japonais vers les villes. 

Il y a quelques années, un slogan contre les excès de vitesse était affiché à l’entrée d’une autoroute et demandait : « Le Japon est un petit pays. Où courrez-vous ainsi ? » Au Japon, il ne faut en effet pas tant de temps pour arriver à destination, d’où cet appel original à la civilité des conducteurs. De nombreux spectateurs de la coupe du monde de football ont été témoin de cette civilité japonaise. Ils ont même été particulièrement surpris, amusés voire embarrassés, en voyant les supporteurs japonais nettoyer le stade après chaque match auquel ils participent. Un journaliste a d’ailleurs décrit ces scènes comme « choquantes », mais dans le bon sens du terme. Pour l’instant, les supporteurs japonais ont agi ainsi par deux fois. La deuxième fois, ils ont été rejoints par les supporteurs sénégalais, dont l’équipe venait tout juste d’affronter l’équipe japonaise.
Ce pays, en un sens, a commencé à décliner depuis son apogée il y a quelques décennies, quand les experts prédisaient la toute-puissance du Japon (« Japan as Number One » – Le Japon numéro un). Et il est probable que cela continue, alors que la population devient plus âgée et diminue, tandis que d’autres pays, à commencer par la Chine, prennent les devants sur les plans économique, politique et militaire. Malgré cela, le Japon demeure, et restera probablement l’une des principales puissances économiques mondiales. Face à cette puissance, il est facile d’ignorer deux éléments majeurs de la culture japonaise : la pauvreté et la surpopulation.

« Où courrez-vous ainsi ? »

Il est également facile d’oublier, ou d’ignorer, que le Japon a été un pays très pauvre durant la plus grande partie de son histoire. Par ailleurs, le pays a peu de ressources naturelles. C’est un archipel montagneux, où les terres arables sont limitées. Le pays est exposé aux tremblements de terre, aux typhons, aux tsunamis, aux volcans, à la famine et aux autres catastrophes naturelles qui ont toujours rendu la vie difficile même aujourd’hui, malgré l’apport des nouvelles technologies. Il y a moins de dix ans, plus de 18 000 personnes sont mortes lors d’un tsunami dans le nord du Japon, provoqué par un séisme. En grande partie, la simplicité de l’architecture et de la vie japonaise, admirée à l’étranger, vient de la pauvreté. Des coutumes comme l’assaisonnement léger de la cuisine japonaise, la consommation de légumes et de poisson crus ou encore les bains publics, viennent sans doute davantage d’un manque de vivres et de bois de chauffage que de la gastronomie ou de l’esthétique.
Il y a également la surpopulation. C’est non seulement un petit pays, mais il est rendu encore plus étroit par ses 85 % de régions montagneuses. Les gens sont donc forcés de s’amasser dans les villes. La zone métropolitaine de Tokyo, qui compte 38 millions d’habitants, est la plus grande du monde. Dès le XVIIIe siècle, durant l’ère Edo, la ville était déjà l’une des plus grandes villes au monde. La vie misérable qu’amenaient la pauvreté et la surpopulation auraient pu conduire à une culture égoïste. D’autres cultures ayant traversé les mêmes épreuves ont d’ailleurs eu tendance à rejeter les demandes sortant du cercle familial, dans un objectif de survie.
En tant que chrétien, je ne peux m’empêcher de penser que l’Esprit Saint a joué un rôle dans le développement de la culture japonaise, pour prendre un chemin complètement différent. Dans la culture japonaise, le péché qui est sans doute le plus réprouvé est le « meiwaku », le fait de déranger ou irriter autrui. Afin d’éviter le « meiwaku », chacun doit donc veiller à tout moment à la présence, aux besoins et au confort de son entourage. C’est une façon de maintenir l’harmonie dans la société, dans des situations de conflits d’intérêts. Durant le siècle dernier, en Corée, en Chine et dans le Pacifique, dans sa quête désespérée de nouvelles ressources agricoles et industrielles, le Japon est paradoxalement devenu un « meiwaku » international, une expérience qui a fini par pousser le pays à s’engager vers une vie pacifique. Un autre exemple de l’enracinement de cette nécessité d’éviter le « meiwaku » est la campagne anti tabac japonaise. D’autres pays se concentrent sur les dégâts que provoque le tabac pour la santé. Mais la campagne japonaise évoque la fumée et l’odeur des cigarettes qui gênent l’entourage et les mégots de cigarette qui traînent… Et ça marche : le tabagisme diminue.
Les déchets sont, bien sûr, un « meiwaku ». C’était donc presque une seconde nature pour les supporteurs japonais de nettoyer derrière eux à la fin d’un match. Dans un monde hyperurbanisé, chaque société doit apprendre à vivre avec la surpopulation, avec le fait que beaucoup de personnes vivent dans un espace réduit. La solution japonaise offre une réponse au problème en maintenant l’harmonie et le respect dans la société.

Le père William Grimm, MM, est basé à Tokyo 

(Avec Ucanews, Tokyo)