Eglises d'Asie

Des musiciens hindous traditionnels menacés pour avoir chanté des hymnes chrétiens

Publié le 21/08/2018




Depuis deux semaines, des musiciens hindous du sud de l’Inde sont attaqués sur les réseaux sociaux pour avoir inclus des chants chrétiens à leurs répertoires. À Chennai, la capitale de l’État du Tamil Nadu, la tradition des musiciens carnatiques perpétue des chants composés par des poètes hindous du XVIIe siècle, dans un genre qui s’intègre à la musique classique du sud de l’Inde. Certains artistes ont élargi leur répertoire à des hymnes chrétiens, dans une expression de fusion musicale, et se produisent à l’occasion dans des églises. Cette tradition n’est pas nouvelle. Mais ces musiciens sont soudain devenus la cible de courants extrémistes qui les accusent d’être des « traîtres de l’hindouisme ».

La controverse a débuté avec une série d’attaques visant le chanteur carnatique O. S. Arun, lorsqu’il a annoncé son prochain concert prévu le 25 août, intitulé « Yesuvin sangama sangeetham » (« Musique fusion du Christ »). Suite à l’opposition de hautes castes hindoues qui se disent garantes de la tradition carnatique, et après une campagne sur les réseaux sociaux, le chanteur a dû annuler son concert. L’artiste a été accusé sur Twitter d’être « un mercenaire » travaillant « pour les larbins du Vatican ». D’après la presse indienne, Rashtriya Sanathana Sewa Sangam, le fondateur d’un obscur groupe hindou, lui aurait directement téléphoné pour le sommer d’annuler son concert, accusant l’artiste de « chanter contre la foi hindoue ».
« Ces attaques vicieuses m’ont beaucoup éprouvé », a déclaré O. S. Arun à la BBC, ajoutant que ses producteurs avaient même annulé une série de concerts prévus aux États-Unis. O. S. Arun a rappelé qu’il interprétait souvent des musiques « d’autres religions », en accord avec sa conviction que la musique est d’une « nature universelle et inclusive ». Son répertoire comprend également des chants militants dédiés à la défense des « dalits » (« Intouchables »), des musiques inspirées de la tradition soufie ou des chorales chrétiennes. « Cela me semble ridicule de nous soumettre ainsi à une pression mentale pour nous empêcher de chanter », a-t-il déclaré.
La musique carnatique du sud de l’Inde est pourtant une tradition riche et reconnue, portée par des compositeurs à succès. En gage d’harmonie communautaire, les emprunts religieux en musique indienne classique sont régulièrement expérimentés par les artistes. O. S. Arun n’est ainsi pas le seul à avoir été pris pour cible. D’autres artistes comme Nithyasree Mahadevan, T. M. Krishna, Aruna Sairam ou Sriniva ont aussi reçu leur lot de menaces via les réseaux sociaux. Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que des critiques soulignent la mainmise des hautes castes hindoues sur l’industrie de la musique classique du sud de l’Inde. Ces personnes influentes auraient demandé à des directeurs de salles de concert de Chennai de boycotter les chanteurs carnatiques dont le répertoire inclurait des influences chrétiennes.

Avancée d’un courant hindouiste radical

Depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 des nationalistes hindous, incarnés par le parti du BJP (Parti du peuple indien) et par le Premier ministre Narendra Modi, un courant d’hindouisme radical se développe en Inde. Ces forces fondamentalistes, parfois représentées par des brigades militantes, visent à défendre une image conservatrice et sectaire des valeurs hindoues, que ce soit au niveau alimentaire (en se rassemblant autour de la défense de la vache sacrée), des mœurs (en prônant les règles patriarcales) ou de l’expression artistique (en bridant la liberté artistique), etc. Elles visent régulièrement les minorités, en particulier les musulmans et les chrétiens, perçus comme des « étrangers » qui profaneraient leurs valeurs. Dans le cas précis de la musique carnatique, ces extrémistes hindous semblent avoir soudainement compris que cette ancienne tradition hindoue puisait dans différentes influences religieuses. Le chanteur T. M. Krishna a quant à lui décidé de ne pas céder aux pressions. Sur son compte tweeter, il a déclaré : « Compte tenu des menaces et des commentaires abjects proférés par beaucoup sur les réseaux sociaux à propos des compositions carnatiques sur Jésus, j’annonce que je vais désormais sortir tous les mois une chanson carnatique dédiée à Jésus ou à Allah. » Sur sa page Facebook, le chanteur Srinivas a quant à lui ironisé : « Mes hymnes chrétiens sont en train de devenir célèbres. Je suis très heureux que les gens les écoutent. »
Mais d’autres chanteurs, comme Aruna Sairam, se sont sentis obligés de se justifier pour leurs emprunts musicaux chrétiens. « Certaines rumeurs prolifèrent sur les réseaux sociaux et disent que j’ai modifié des morceaux carnatiques traditionnels pour les chanter dans des buts évangéliques, a-t-elle écrit. J’aimerais préciser que je ne compromettrai jamais le contenu classique pour des raisons personnelles ou commerciales. » La chanteuse Nithyashree, quant à elle, s’est même publiquement excusée : « Si j’ai blessé vos sentiments involontairement, je demande pardon. » À présent, les prochains grands festivals de musique carnatique seront l’occasion concrète de mesurer la portée ou la faillite des pressions exercées par les fondamentalistes hindous, dans une Inde où ce type de menaces ne cesse de se multiplier.

(EDA / Vanessa Dougnac)